Les dessous du pacte de Lafarge avec le groupe Etat islamique en Syrie

Auteur:
 
Par AFP
Publié le 06 octobre 2017 - 12:11
Image
Une cimenterie du groupe français Lafarge, le 7 avril 2014 à Paris
Crédits
© FRANCK FIFE / AFP/Archives
Une cimenterie du groupe français Lafarge, le 7 avril 2014 à Paris
© FRANCK FIFE / AFP/Archives

"Soit on acceptait le racket, soit on partait": d'ex-responsables du groupe Lafarge, soupçonné d'avoir financé indirectement des organisations jihadistes dont le groupe Etat islamique, ont dévoilé devant les enquêteurs les raisons qui ont poussé le cimentier franco-suisse à se maintenir à tout prix en Syrie.

Un an après l'ouverture d'une enquête par le parquet de Paris, confiée depuis à trois juges d'instruction, les investigations sont accablantes pour la direction en France, suspectée d'avoir "validé" les paiements effectués par sa branche syrienne (Lafarge Cement Syria, LCS), en produisant "de fausses pièces comptables".

Octobre 2010: Lafarge commence à faire tourner son usine de Jalabiya (nord), pour laquelle il a déboursé 680 millions de dollars. Mais six mois plus tard les premiers troubles éclatent. Rapidement, l'Union européenne adopte un embargo sur les armes et le pétrole syrien et l'ONU déclare le pays en état de guerre civile.

A partir de 2013, la production de la cimenterie s'effondre et l'EI devient incontournable dans la région. Mais contrairement au pétrolier Total ou à d'autres multinationales, le cimentier décide de rester.

"Pour moi, les choses étaient sous contrôle. Si rien ne me remontait, c'est que rien de matériel ne se produisait", a assuré en janvier, selon une source proche du dossier, l'ex-PDG du groupe, Bruno Lafont, aux enquêteurs des douanes judiciaires.

D'autres ex-responsables ont avancé un argument différent pour justifier le maintien de l'activité: conserver un avantage stratégique afin d'être en première ligne pour participer à la reconstruction de la Syrie une fois la guerre terminée.

Cette volonté de rester aurait reçu l'aval des autorités françaises. "Le quai d'Orsay nous dit qu'il faut tenir, que ça va se régler (...) On allait voir, tous les six mois, l'ambassadeur de France pour la Syrie et personne ne nous a dit : +Maintenant il faut que vous partiez+", a relevé Christian Herrault, ex-directeur général adjoint opérationnel.

- '100.000 dollars par mois' -

Se maintenir dans le pays a un prix: LCS monnaye la sécurité de ses employés en versant "de 80.000 à 100.000 dollars" par mois à un intermédiaire, Firas Tlass, ex-actionnaire minoritaire de l'usine, qui ventile ensuite les fonds entre différentes factions armées, a relaté Bruno Pescheux, directeur de la cimenterie de 2008 à 2014. Cela représentait pour l'EI "de l'ordre de 20.000 dollars" par mois, a-t-il précisé.

En contre-partie, l'organisation d'Abou Bakr al-Baghdadi édite en mai 2014 un laissez-passer: "Prière d'autoriser le ciment venant de Lafarge à passer les barrages", d'après une source proche de l'enquête. Et, le 29 juin, le jour-même où l'organisation autoproclame "le califat", une rencontre est organisée entre un de ses cadres et le responsable de la sécurité de la cimenterie.

Les enquêteurs soupçonnent aussi LCS de s'être, sous couvert de faux contrats de consultants, approvisionné en pétrole auprès de l'EI qui contrôle, à partir de juin 2013, la majorité des réserves stratégiques.

"Le gouvernement syrien n'est plus détenteur des raffineries, on achète à des organisations non gouvernementales (...) en toute illégalité", a reconnu Frédéric Jolibois, directeur du site à partir de juillet 2014.

Autre interrogation: le cimentier a-t-il tout fait pour assurer la sécurité de ses employés syriens?

A l'été 2012, la direction de l'usine quitte Damas pour Le Caire et, quelques mois plus tard, les expatriés sont évacués par vagues successives.

Rester? "Techniquement c'est un exploit, et la fierté des employés syriens d'avoir maintenu cette usine. Pour eux, c'était un acte de résistance", d'après M. Jolibois.

Mais onze anciens salariés et l'association anticorruption Sherpa font état, dans une plainte déposée en 2016, de pressions (menaces de licenciement et de suspension de salaires) sur le personnel, qui se serait sauvé par ses propres moyens lorsque l'EI a finalement pris le contrôle de la cimenterie en septembre 2014. Trois ex-salariés ont été entendus fin septembre à Paris par les juges.

Jeudi, plusieurs bouteilles d'essence avec un "dispositif d'allumage rudimentaire" ont été retrouvées sous trois camions du cimentier à Paris, déclenchant l'ouverture d'une enquête. On ignore à ce stade s'il existe un quelconque lien avec le dossier syrien.

Sollicité, Lafarge, qui a fusionné avec le suisse Holcim en 2015, a de nouveau assuré "regretter et condamner les erreurs inacceptables commises en Syrie."

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Dessin de la semaine

Portrait craché

Image
ARA
Décès de ARA, Alain Renaudin, dessinateur de France-Soir
Il était avant toute chose notre ami… avant même d’être ce joyeux gribouilleur comme je l’appelais, qui avec ce talent magnifique croquait à la demande l’actualité, ou...
07 novembre 2024 - 22:25
Portraits
Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.