Lunettes de marque : comment les géants du luxe reprennent la main
Longtemps fabriquées sous licence, les lunettes de marque réintègrent peu à peu le giron des géants de luxe, qui veulent reprendre la main sur ce produit incontournable pour leur image et encore accessible en termes de prix.
De soleil comme de vue, la monture haut de gamme est historiquement italienne. C'est logiquement dans la province de Belluno, berceau de la lunette, que LVMH a inauguré mardi sa première manufacture dédiée à cet accessoire, en partenariat avec le fabricant local Marcolin.
Seules les lunettes de la maison Céline - une des 70 marques du groupe de Bernard Arnault - sont pour l'instant produites sur ce site baptisé Thélios, mais Loewe et Fred suivront courant 2018.
Depuis des années, les grands groupes de mode nouaient presque systématiquement des accords de licence avec des entreprises tierces, qui fabriquaient, mais se chargeaient aussi de distribuer leurs lunettes griffées, en échange de commissions sur les ventes.
Cette stratégie est en train d'être chamboulée, les marques reprenant la main sur la filière, notamment pour accélérer le rythme de la production et mieux sélectionner les canaux de vente.
"Il y a de moins en moins de licences dans les lunettes car les délais sont incroyablement longs chez les fabricants, qui ne sont pas calés sur le cycle de la mode" et le renouvellement permanent des collections, résume à l'AFP Jean-Baptiste Voisin, directeur de la stratégie de LVMH, en marge de l'inauguration du site de Longarone.
"Ils ont leur vitesse, qui n'est plus la nôtre. Sans compter que notre niveau d'exigence augmente sans cesse", indique-t-il.
Pour Luca Solca, analyste Luxe pour Exane Paribas, "c'est la fin du modèle des licences, mais seulement pour les très grands groupes, car il faut avoir une taille importante pour pouvoir réaliser une stratégie de ce type".
Avec Thélios, "LVMH expérimente d'une façon prudente car la plupart de ses marques sont encore sous licence: il démarre avec Céline et si ça marche, après peut-être ce sera Dior dont la licence a été renouvelée pour trois ans seulement, puis il passera aux marques les plus importantes", selon lui.
- un luxe encore "accessible" -
L'explosion des ventes en ligne a aussi joué dans cette rupture avec le système des licences, "amenant LVMH et Kering à s'organiser directement", juge Luca Solca.
"Cela a tout changé: avant, il fallait disposer d'une distribution très bien développée dans l'optique, mais aujourd'hui les lunettes se vendent de plus en plus facilement en direct sur internet, avec une marge conséquente", souligne-t-il.
Concurrent de LVMH, le groupe français Kering (Gucci, Bottega Veneta, Saint Laurent, etc.) a décidé dès 2014 d'internaliser le contrôle de cette activité: l'entité "Kering Eyewear" a repris en direct le design ou encore la commercialisation des modèles de ses maisons, pour ne confier que la seule production à une vingtaine de petits fabricants, majoritairement italiens.
Ce pôle Optique, basé à Padoue, gère désormais toute la chaîne de valeur des lunettes pour quinze marques différentes - les propres maisons de Kering comme Saint Laurent, Alexander McQueen, Bottega Veneta ou Boucheron, mais aussi Cartier via un partenariat avec le géant suisse Richemont, ou encore Alaïa.
Pour Gucci cependant, sa plus grosse source de profits, le groupe de François-Henri Pinault a procédé différemment en raison des volumes importants dont il a besoin: après avoir payé 90 millions d'euros au fabricant Safilo pour rompre avant terme leur partenariat, Kering continue de lui faire produire une partie des lunettes Gucci.
Cette stratégie est-elle payante? Après des pertes opérationnelles lors la montée en puissance du dispositif, Kering Eyewear a réalisé l'an dernier 352 millions d'euros de ventes, et affirme que sa contribution au résultat opérationnel du groupe est "légèrement positive".
Si une paire de lunettes fait rentrer moins d'argent qu'un sac ou une robe, cet accessoire reste le meilleur ambassadeur en termes d'image pour une marque en raison de son prix, qui en fait un luxe encore "accessible".
Pour Luca Solca, "si on veut toucher des clients qui ont un peu moins de capacité d'achat, on commence par vendre un rouge à lèvres, puis un parfum et ensuite des lunettes qui démarrent à 200/250 euros".
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