120 ans après, Rennes n'a pas oublié la fièvre du procès Dreyfus

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Par Benjamin MASSOT - Rennes (AFP)
Publié le 13 septembre 2019 - 10:04
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Reproducton de la Une de l'Aurore du 13 janvier 1898 avec insertion d'un portrait non daté du romancier Emile Zola
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© - / AFP/Archives
Reproducton de la Une de l'Aurore du 13 janvier 1898 avec insertion d'un portrait non daté du romancier Emile Zola
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"Rennes est devenue la capitale du monde pendant plusieurs semaines!" Durant le procès en révision de Dreyfus en 1899, la capitale bretonne, alors petite ville de province, s'est retrouvée propulsée sur le devant de la scène, un épisode de son histoire toujours présent 120 ans après.

Condamné en 1894 par un tribunal militaire pour avoir transmis des documents à l'Allemagne, Dreyfus, d'une famille de juifs alsaciens, est déporté en Guyane. Dans le sillage du "J'accuse" d’Émile Zola, la Cour de cassation, en juin 1899, casse le jugement de 1894 et un nouveau procès doit avoir lieu... Mais pourquoi à Rennes ?

Depuis que la capitale bretonne a perdu son parlement d'Ancien régime, la ville s'est assoupie et "a la réputation d'être une ville calme" avec moins de 70.000 habitants, loin de la fièvre parisienne, explique Philippe Bohuon, animateur-adjoint au patrimoine, et qui prépare les visites guidées "voyage au temps de l'affaire Dreyfus".

Autres atouts: la ville possède un tribunal militaire, de multiples garnisons quadrillent la capitale d'une région à la réputation rebelle, une voie de chemin de fer la relie à Paris en six heures et elle est située à proximité d'un port d'où Dreyfus peut débarquer après son long voyage depuis l'île du Diable.

Dès fin juin, tous les hôtels sont pris d'assaut par plusieurs centaines de journalistes, certains venant des États-Unis, d'Italie ou encore d'Argentine tandis que des ingénieurs viennent de Paris pour installer de nouvelles lignes téléphoniques au bureau de Poste. Plusieurs grandes figures de l'époque font le déplacement pour le procès qui, contrairement à celui de 1894, n'est pas à huis-clos: Jean Jaurès, Maurice Barrès, Octave Mirbeau, Jean Casimir-Perier, le lieutenant-Colonel Picquart (qu'incarne Jean Dujardin dans le "J'accuse" de Roman Polanski) ou encore Georges Méliès. Émile Zola, lui, préfère ne pas venir.

"Au moment de l'arrivée de Dreyfus et pendant tout l'été, tous les yeux sont tournés vers Rennes qui devient la capitale du monde", explique l'historien Vincent Duclert, auteur de multiples ouvrages sur "L'Affaire".

Alfred Dreyfus est incarcéré dans la prison militaire: il n'a que quelques mètres à faire au milieu d'une haie de soldats pour gagner la salle d'audience installée de l'autre côté de la rue, dans la salle des fêtes (!) du grand lycée de Rennes, imposante bâtisse construite sous le Second empire, baptisé désormais lycée Émile Zola.

- Tentative d'assassinat -

Tout au long du procès qui se tient du 7 août au 9 septembre, de nombreux Rennais accourent pour assister aux audiences, souvent en vain en raison de l'affluence. Aussi, le propriétaire d'un petit lopin dresse une estrade dans son jardin - à l'accès payant - d'où l'on peut apercevoir Dreyfus faire le court chemin entre la prison et le lycée...

Preuve du climat de fièvre, un des avocats de Dreyfus, le bouillant Fernand Labori, est victime d'une tentative d'assassinat, non loin du tribunal, recevant une balle dans le postérieur, inspirant une chanson anti-dreyfusarde: "la seule chose qu'on regrette/en fait d'moralité/c'est qu'ce plomb, un peu bête/ en chemin soit arrêté".

Dreyfusards et journalistes se donnent rendez-vous au Grand café de la Paix, situé... juste en-dessous du cercle militaire, donnant lieu à plusieurs joutes verbales entre défenseurs et opposants du capitaine.

Le jour du verdict, près de 3.000 télégraphes - un record - sont envoyés pour annoncer au monde entier la condamnation de Dreyfus à dix ans de prison avec circonstances atténuantes, par cinq voix contre deux, dont celle du président du conseil de guerre qui vote l'acquittement, "signe fort d'une perte de vitesse des anti-dreyfusards", souligne M. Duclert. Et à peine dix jours après le jugement de Rennes, le président de la République Émile Loubet, en raison de la pression internationale et du risque d'un boycottage de l'exposition universelle de 1900, gracie Dreyfus.

Les 120 ans du procès sont l'occasion pour Rennes de proposer jusqu'au 29 novembre visites guidées, expositions, pièces de théâtre, conférences - dont l'une avec le petit-fils d'Alfred Dreyfus.

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