14-18 : à Spincourt, un "cimetière oublié" livre ses premiers secrets
Rotules, fémur, tibia, clavicules, côtes... À l'Institut national d'archéologie préventive (Inrap) à Metz, l'archéo-anthropologue Frédéric Adam reconstitue le squelette presque entier d'un soldat découvert l'an dernier dans un "cimetière oublié" de la Première Guerre mondiale à Spincourt (Meuse).
Dans ce lieu étaient regroupés, entre 1919 et 1924, les corps des soldats avant d'être rendus à leur famille ou transférés dans une nécropole. Mis au jour au hasard d'un projet de construction, des cercueils ont alors refait surface dans la glaise.
D'après le registre, 864 corps étaient répartis dans 617 sépultures. Quelque 200 cercueils restent inaccessibles, enfouis sous la route et une construction.
"Historiquement, on sait que les soldats sont morts en masse tel jour, sur tel secteur lors de tirs d'artillerie ou sous les obus, mais on ne sait pas comment ils sont morts individuellement", explique M. Adam. Sur une table, cinq crânes et une mandibule sont alignés.
Le travail mené, ajoute-t-il, vise à déterminer "qui sont ces personnes, à quel régiment elles appartenaient, comment elles étaient habillées, quel était leur état sanitaire et comment elles sont décédées".
"Seuls les archéologues peuvent le savoir avec leurs observations", relève-t-il.
L'Inrap a exhumé 450 cercueils en bois, dont un tiers renfermait la dépouille d'un ou de plusieurs soldats - jusqu'à une douzaine, parfois.
Les agents ont aussi récupéré une quantité d'objets: baïonnettes, cartouches, monnaies, crucifix, médailles pieuses et chapelets, ceinturons, miroirs de poche publicitaires ou encore "du nécessaire à coudre pour rafistoler son uniforme"...
M. Adam montre un couteau comportant plusieurs encoches: "C'est soit les mois passés au combat, soit le nombre d'ennemis tués".
Parmi d'autres objets, un couteau du "Père-Cent" avec un mécanisme permettant de "décompter les jours à tirer" et un pendentif rouillé, composé de trois balles Lebel enchâssées. "Ce sont des souvenirs de régiment, que les soldats avaient encore sur eux", glisse l'archéo-anthropologue.
- Sépulture 127 -
Des brodequins par centaines ont été sortis de la glaise, souvent intacts, avec sur la semelle le nom de l'usine de fabrication. "On va travailler sur l'économie de la guerre, savoir quelles entreprises avaient les marchés", dit-il.
M. Adam note que "la gestion de tous ces corps a été compliquée, car il fallait faire vite, travailler avec des entreprises, relancer l'économie du pays et honorer tous ces morts pour la patrie".
L'un des crânes trouvés présente un trou de chaque côté: la tête a vraisemblablement été traversée par un éclat d'obus. "Pour tuer, un éclat de 3 mm suffit: avec la vélocité de la ferraille, ça perce le casque".
Il reste à donner un nom à ces Poilus, en s'appuyant sur le registre militaire et la comparaison ADN. "C'est la première fois qu'on a autant de corps à identifier. On est aux prémices de l'étude, mais de nombreux corps le seront", espère l'archéo-anthropologue.
Dans la sépulture 127, le squelette avait sur une cuisse un morceau de plaque en marbre avec l'inscription: "Louis-Stanislas Chaumont, 330e régiment d'infanterie".
En comparant archives militaires et observations morphologiques, il s'est avéré impossible qu'il s'agisse de ce Poilu, mort à 30 ans le 24 août 1914, lors de la bataille de Spincourt.
Selon le registre du cimetière, la sépulture 127 était occupée par un fantassin mort lors de cette même bataille à 25 ans. Certains de ses ossements - crâne, jambe gauche et autres - reposent à la nécropole de Pierrepont (Meurthe-et-Moselle), mais son identité n'a pas été dévoilée.
Un appel d'un homme à M. Adam lui a confirmé que ce n'était pas le soldat Chaumont, dont le nom avait été diffusé dans la presse.
"Sa grand-mère lui avait raconté qu'elle avait récupéré le corps de son mari, derrière une barrière de voie de chemin de fer à Spincourt, sans prévenir les autorités", relate M. Adam. Il a été enterré dans le caveau familial, sans que son nom n'apparaisse.
"Après la guerre, les familles voulaient récupérer leur défunt tout de suite...", souligne-t-il.
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