Affaire Grégory : 33 ans après, trois suspects et toujours un mystère
C'est un des plus longs feuilletons judiciaires français, revenu avec fracas sur le devant de la scène. Trente-trois ans après l'assassinat du petit Grégory, trois personnes sont désormais mises en cause. Mais sans la moindre preuve, selon leurs avocats.
Cette véritable saga, dont chaque rebondissement déchaîne les passions, est "une enquête emblématique que la justice et la gendarmerie n'ont jamais abandonnée", rappelaient le parquet général de Dijon et les militaires le 14 juin.
Quelques heures plus tôt, les gendarmes avaient interpellé dans les Vosges Marcel et Jacqueline Jacob, un couple de septuagénaires jamais inquiétés auparavant, grand-oncle et grand-tante du garçonnet de quatre ans retrouvé pieds et poings liés dans la rivière la Vologne le 16 octobre 1984.
Mis en examen pour enlèvement et séquestration suivis de mort, brièvement écroués, ils ont été placés sous un strict contrôle judiciaire, obligés de résider séparément et loin de chez eux.
Deux semaines plus tard, Murielle Bolle était arrêtée à son tour. De témoin clé il y a trois décennies, elle est devenue suspecte et passe cinq semaines en prison avant d'être placée sous contrôle judiciaire.
Âgée de 15 ans à l'époque des faits, elle avait accusé son beau-frère Bernard Laroche du rapt de l'enfant, avant de se rétracter - sous la contrainte de sa famille selon l'accusation, ce qu'elle conteste.
L'hypothèse privilégiée aujourd'hui est celle d'un "acte collectif": Bernard Laroche aurait enlevé l'enfant, avec l'adolescente dans sa voiture, pour le remettre aux Jacob.
- Alibi -
Ces derniers, soupçonnés d'avoir joué les corbeaux dans une affaire qui foisonne de lettres anonymes, seraient directement impliqués dans la mort de Grégory. Leurs avocats rétorquent que le couple se trouvait au travail au moment des faits, un "alibi en béton" qu'ils disent vérifié à plusieurs reprises.
Avec ces mises en examen, le "clan" des proches de Bernard Laroche - neveu de Marcel Jacob - revient au cœur de l'enquête. Le premier suspect de l'affaire avait été tué en 1985 par son cousin Jean-Marie Villemin, le père de l'enfant.
Il venait alors d'être remis en liberté, tandis que les soupçons se reportaient sur la mère de Grégory, Christine Villemin. Inculpée et écrouée à l'été 1985, elle fut blanchie en 1993 dans un arrêt retentissant de la cour d'appel de Dijon, où le dossier est instruit depuis 1987.
Dans cette décision, où la justice semblait rendre les armes, les magistrats relevaient aussi qu'il n'existait pas "en l'état", à l'encontre des époux Jacob, "de présomptions suffisantes pour justifier de nouvelles investigations et a fortiori une inculpation" ; et une mise en cause leur semblait "impossible" pour Murielle Bolle.
En juin, le procureur général Jean-Jacques Bosc a justifié la relance de l'affaire par de nouvelles expertises en écriture et une nouvelle analyse du dossier à l'aide d'un logiciel de la gendarmerie, Anacrim. Depuis les années 2000, les progrès scientifiques sur l'ADN et des centaines de comparaisons ont déjà nourri l'espoir de résoudre l'énigme.
- 'Patience et confiance' -
Dramatique, l'affaire Grégory l'est devenue plus encore le 11 juillet avec le suicide du premier juge chargé de l'instruction, Jean-Michel Lambert, tenu pour responsable depuis des errements d'un dossier aux 12.000 pièces. Dans une lettre laissée derrière lui, il a écrit que les derniers rebondissements étaient voués "à l'échec".
La défense martèle de son côté qu'il n'y a rien de nouveau. Les avocats de Murielle Bolle réclament la nullité de sa mise en examen et ceux des Jacob s'y préparent après avoir obtenu que Jacqueline, l'épouse, puisse rentrer chez elle. Son mari, Marcel, demandera à son tour, mercredi, la levée de son contrôle judiciaire.
S'achemine-t-on vers un nouveau fiasco judiciaire ? Me Thierry Moser, conseil historique des parents Villemin, estime qu'il faut laisser le temps aux nouvelles investigations, qui pourraient durer selon lui jusqu'en 2019.
"J'ai de la patience et j'ai confiance", assure celui qui espère un renvoi devant la cour d'assises dans cette affaire où le seul procès criminel, jusqu'ici, fut celui de Jean-Marie Villemin, condamné à quatre ans de prison ferme en 1993 pour le meurtre de Bernard Laroche.
Interrogé en 1985 sur son geste, le père de Grégory expliquait avoir eu peur "que l'affaire se termine comme celle de Bruay-en-Artois", allusion à l'assassinat d'une adolescente dans le Pas-de-Calais qui avait défrayé la chronique en 1972. Mystère jamais résolu depuis, comme celui de la Vologne.
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.