Affaire Théo : un an après, Aulnay entre oubli et tensions avec la police

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Par Sarah BRETHES, Tiphaine LE LIBOUX - Aulnay-sous-Bois (AFP)
Publié le 31 janvier 2018 - 14:57
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Manifestation à Paris contre les violences policières, le 18 février 2017
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© ALAIN JOCARD / AFP/Archives
Manifestation à Paris contre les violences policières, le 18 février 2017
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2 février 2017 : l'interpellation violente de Théo dans la cité des 3.000 choquait Aulnay-sous-Bois. Un an après, les forces de l'ordre restent l'"ennemi" dans ce quartier miné par les trafics, mais le souvenir de l'agression s'estompe peu à peu.

Une voiture de police remonte la rue Edgar-Degas. "Pu! pu! pu!", crient les "guetteurs" pour avertir les dealers. Il y un an, c'était "policiers violeurs" que l'on entendait à chaque passage de gyrophares: Théodore Luhaka, jeune Noir de 22 ans, venait d'être gravement blessé à l'anus par la matraque d'un policier, lors d'un contrôle ayant dégénéré à quelques mètres de là.

Quatre policiers ont été mis en examen, dont un pour viol, dans cette affaire qui continue de diviser: une nouvelle vidéo de l'interpellation a aiguisé les tensions et l'annonce de la réintégration de trois des agents mis en cause a provoqué la colère de la famille de Théo.

"Comment voulez-vous qu'on respecte l'uniforme ?", s'est émue dimanche sa soeur Éléonore lors d'un rassemblement pour dénoncer cette réintégration. Théo, qui a dû subir plusieurs interventions chirurgicales et porte toujours une poche médicale, en a été très affecté, dit-elle: "Il fait bonne figure mais il n'est pas bien, ni moralement, ni physiquement".

Le rassemblement n'a toutefois réuni qu'une poignée de proches, là où des centaines de personnes avaient marché un an plus tôt pour dire leur soutien au jeune homme et leur "ras-le-bol des cow-boys". A Bobigny, un autre rassemblement avait violemment dégénéré quelques jours plus tard, malgré l'appel au calme lancé par Théo depuis son lit d'hôpital, où il venait de recevoir la visite du président François Hollande.

Faut-il y voir le signe d'un retour à la normale aux 3.000 ? Un vieil habitant assure que "les gens oublient". "Une bavure, deux bavures, un excès de zèle de la police, c'est la routine". Pour une autre, "le seul souvenir de cette affaire, c'est un hashtag +Théo+ tagué dans un hall".

- "C'est Harlem!" -

Certains jeunes restent pourtant marqués. A l'arrêt de bus, Ines, Keesha et Fatou estiment que l'affaire a "accentué" les tensions avec les forces de l'ordre. Bien sûr, "tous les policiers ne sont pas malpolis", dit d'emblée une des ados, lunettes sages et appareil dentaire. Mais "quand ils arrêtent les grands dans le quartier, ils font leurs coups de Flash-Ball alors qu'il y a des enfants partout. Ils font courir tout le monde, même les mamans".

"C'était du racisme et de l'injustice", clame aussi Ness, élève au collège du quartier. Même si lui et ses amis Adam et Carl ne "parlent plus trop" de l'affaire, "les flics c'est des ennemis maintenant".

Désireux d'enrayer la "dégradation" des relations avec la police et d'"améliorer la vie dans les quartiers", les proches de Théo ont élaboré une série de propositions, qui vont des relations avec les forces de l'ordre à l'accompagnement des jeunes entrepreneurs. Ces "Accords d'Aulnay" doivent bientôt être présentés aux "institutions et habitants".

Mais dans le quartier, au-delà de l'affaire, c'est surtout l'ambiance tendue et le deal omniprésent qui occupent les esprits. Arrivée de Guyane il y a six mois, Nadège Auguste se dit "choquée" par "l'agressivité" qui y règne. Pour cette mère de famille, il "faut des structures pour les jeunes". "Ils ne font rien, n'ont pas de travail, alors la drogue, c'est l'argent facile".

Les 3.000, c'est "Harlem, c'est la merde", lance aussi Soufiane Beldi. "Ici tout se trafique, la drogue, les cigarettes et même le (jus de fruit) capri sun".

Sur le plan judiciaire, des expertises sont en cours dans le cadre de l'instruction ouverte à Bobigny. L'enjeu: déterminer si la matraque a été utilisée dans les règles et évaluer la gravité des séquelles de Théo. Si le jeune homme se voit reconnaître une infirmité permanente, l'affaire pourrait passer aux assises, même si la qualification de viol n'était pas retenue faute d'éléments prouvant l'intentionnalité du geste.

Mais Daniel Merchat, avocat d'un des policiers mis en cause, a déjà prévenu qu'il demanderait une contre-expertise médicale. Pour lui, l'affaire va prendre la forme d’une longue "querelle d'experts". Le tout sous l'oeil attentif des 3.000. Pour les ados de l'arrêt de bus, seule une "vraie justice" permettra d'apaiser le quartier.

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