Arme ou danger pour la démocratie ? L'Assemblée divisée sur la loi anti-fake news
Lutte contre un "fléau" démocratique ou risque de "censure" : les députés ont débattu jeudi, sans aller au bout et dans une ambiance parfois électrique, deux textes LREM controversés contre "la manipulation de l'information" en période électorale, voulus par Emmanuel Macron.
Après huit heures de discussions, la séance a été levée à 1h du matin. L'examen des 157 amendements restants continuera à une autre date, peut-être en juillet.
"L’attitude liberticide, face aux dangers actuels, c’est la passivité", a défendu la ministre de la Culture Françoise Nyssen. Aux critiques, elle a opposé son "ADN de permettre à chacun de s'exprimer", soulignant avoir publié comme éditrice Salman Rushdie ou Asli Erdogan.
Ces deux propositions de loi - ordinaire, et organique pour la présidentielle - visent à permettre à un candidat ou parti de saisir le juge des référés pour faire cesser la diffusion de "fausses informations" durant les trois mois précédant celui d'un scrutin national. Elles imposent aux plateformes (Facebook, Twitter, etc) des obligations de transparence lorsqu'elles diffusent des contenus contre rémunération.
Le texte "ne cible pas les auteurs des contenus (...) mais ceux qui les diffusent (...) principalement les plateformes numériques", dont le "modèle contribue à une gigantesque économie de la manipulation", selon la ministre.
Moteurs de ces textes, annoncés par Emmanuel Macron début janvier, "les tentatives de déstabilisation, notamment de l'extérieur" par "la diffusion virale de fausses informations", selon la rapporteure LREM Naïma Moutchou. La Russie a ainsi été accusée d'ingérence lors de la présidentielle aux Etats-Unis mais aussi en France.
M. Macron a été la cible de rumeurs sur internet, dont la détention supposée d'un compte aux Bahamas, citée par Marine Le Pen pendant le débat d'entre-deux-tours.
Coeur de la polémique : la volonté de définir une "fausse information", droite et gauche craignant une "atteinte à la liberté d'expression" alors que "l'arsenal législatif existe".
La rapporteure a fait voter, passé minuit, une nouvelle réécriture : "Toute allégation ou imputation d’un fait, inexacte ou trompeuse, constitue une fausse information". Si elle s'en est remise à la sagesse de l'Assemblée, la ministre a jugé sa portée trop générale et espéré que la navette avec le Sénat permettra une définition "plus satisfaisante".
Toujours opposées, droite et gauche ont regretté la "confusion" et "l'impréparation".
"Depuis toujours, c'est une grande dispute que celle des apparences et de la vérité", a lancé en début de soirée Jean-Luc Mélenchon, convoquant Socrate, Platon ou Camus. "Pensez-vous que cette loi (...) puisse être mise entre toutes les mains", a demandé Hervé Saulignac (PS). Elsa Faucillon (PCF) a évoqué notamment "le risque de judiciariser le débat politique".
Constance Le Grip (LR) a jugé "l'enfer pavé de bonnes intentions", avec "le risque de voir des allégations qualifiées de +fake news+ par le juge, fondées quelques jours plus tard".
Aux détracteurs, Erwann Balanant (MoDem) a reproché leurs "fantasmes".
Dans une série d'orateurs RN, Marine Le Pen, virulente, a vu cette loi comme "une tache indélébile" pour le pouvoir actuel, "des gens dangereux". Pour Nicolas Dupont-Aignan, Mme Nyssen devrait "avoir honte de cette loi liberticide".
"Mme Le Pen, en matière de fausses informations, il est vrai que vous détenez une grande expertise", a répliqué la ministre, vantant "une grande loi" dans une ambiance agitée.
Des syndicats de journalistes et des médias ont dénoncé une loi "inutile" ou "potentiellement dangereuse", avec le risque également de légitimer une fausse information si le juge n'a pas les éléments pour l'interdire.
Avant de prendre des mesures "proportionnées et nécessaires", comme le blocage du site, le juge des référés devra apprécier, sous 48 heures, si ces fausses informations sont diffusées "de manière artificielle ou automatisée" et "massive".
Pour Mme Nyssen, ces conditions sont "les garde-fous" protégeant les journalistes. Evoquant Mediapart sur un possible financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, elle a affirmé que ce "travail d’enquête journalistique" n'aurait "aucunement été concerné".
Quant aux plateformes, elles devront notamment indiquer la somme versée, instaurer un système permettant aux utilisateurs de signaler de fausses informations, être plus transparentes sur leur algorithme, sous l'oeil du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA).
Elles devront "fournir à l’utilisateur une information loyale, claire et transparente sur l’utilisation de ses données personnelles" en période électorale, selon un des ajouts portés par Bruno Studer (LREM).
Le CSA pourra aussi empêcher, suspendre ou interrompre la diffusion de services de télévision contrôlés "par un État étranger ou sous l’influence de cet État", et portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.
Plusieurs dispositions visent enfin à renforcer l'éducation aux médias.
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