Au procès de militants Greenpeace, la sécurité nucléaire n'échappe pas aux débats
Au procès de 22 militants de Greenpeace, le tribunal a tenté jeudi de limiter les débats aux faits - leur intrusion en novembre dans le site nucléaire de Cruas-Meysse (Ardèche) - sans pouvoir éluder la question de la sécurité des centrales, que l'ONG remet en cause.
Cette action, précédée d'une première à Cattenom (Moselle), avait le même objectif pour ses auteurs: montrer des failles dans la sécurité des piscines d'entreposage du combustible usé.
L'audience s'est déroulée sous haute protection policière tandis qu'un rassemblement de soutien à ces "lanceurs d'alerte" avait lieu toute la journée face au palais de justice.
D'entrée de jeu, le président du tribunal correctionnel, Jacques Vuillet, a tenu à cadrer les choses en évoquant "un procès de la forme". Mais à de multiples reprises, les débats ont dévié sur le fond, au grand dam du procureur de la République, Pierre-Yves Michau.
"On ne va pas régler aujourd'hui la question de la sécurité nucléaire", a-t-il répété, s'en tenant aux faits: quels sont les modes de sélection des militants ? Comment être certain qu'un terroriste ne s'infiltre pas parmi eux ?
Ceux qui participent aux intrusions échangent longuement avec des personnes rodées à ce type d'actions, répond Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France, représentant l'association poursuivie comme personne morale.
Et pourquoi ce mode d'action?, enchaîne le président. "Des beaux rapports, il y en a plein les tiroirs mais généralement, ils sont très peu suivis de faits", justifie Yannick Rousselet, responsable de la campagne nucléaire de l'ONG, jugé pour complicité.
"Depuis 47 ans", Greenpeace essaie d'imposer certains sujets dans le débat public avec des "actions non violentes" et "ça ne changera pas", assume Jean-François Julliard.
Et l'ONG de citer des témoins pour enfoncer le clou. Un physicien nucléaire, Bernard Laponche, souligne notamment que dans un EPR (centrale de nouvelle génération), on a prévu la même protection pour le réacteur et la piscine, tandis qu'un des prévenus affirme que le mur du bâtiment abritant ces piscines ne mesure que 30 centimètres à Cruas.
Faux, répond le directeur de la centrale, Christophe Chanut. Une piscine est une cuve en béton de plusieurs dizaines de centimètres d'épaisseur, recouverte d'inox et située dans un bâtiment conçu pour résister à un crash d'avion sur le côté. Il ajoute au passage qu'EDF va investir "plus de 300 millions d'euros" pour installer des capteurs sur la "première ligne de défense" des centrales, afin de "détecter, ralentir et permettre l'arrestation" de tout intrus.
Interrogé par l'AFP, le groupe a précisé que "dans le cadre de son programme de renforcement de la sécurité, EDF investit 720 millions d'euros entre 2015 et 2023 sur l'ensemble des sites".
- "Procès de société" -
"Ce que fait Greenpeace, c'est du grand carnaval" et "pas une vraie intrusion" puisque la "zone vitale" du site n'a pas été franchie, s'agace le procureur, pour qui l'affaire pose seulement une question de société, celle de la "désobéissance civile". Et pour lui, "il est temps que ça s'arrête".
Le magistrat a réclamé six mois de prison avec sursis pour 19 des militants ayant pénétré dans l'enceinte - ainsi que pour Yannick Rousselet qui était resté à l'extérieur - et quatre mois fermes pour les trois autres, déjà sous le coup d'un sursis. Pour Greenpeace France, il a requis une amende de 30.000 euros.
L'avocat d'EDF, Me Thibault de Montbrial, a réclamé 1,2 million d'euros de préjudices, estimant que Greenpeace, avec son budget de 20 millions, a "des moyens considérables".
"Je ne m'attendais pas à un procès de société", a soupiré l'avocat de l'association, Me Alexandre Faro.
Fin février, des militants ont été condamnés pour la première fois à de la prison ferme (deux mois) après leur intrusion à Cattenom en octobre. Ils ont fait appel du jugement.
Les sanctions avaient été renforcées par le législateur en 2015. "Si les peines contre les militants viennent à se renforcer (…) bien sûr que sans doute ils vont se décourager", estime l'un des prévenus.
Jugement le 28 juin à 13H30.
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