Blessure à l'oeil du "gilet jaune" Jérôme Rodrigues : ce que l'on sait

Auteur:
 
Par Anne-Sophie LASSERRE - Paris (AFP)
Publié le 27 janvier 2019 - 16:29
Image
France-Soir
Crédits
©DR
Municipale 2014
©DR

Eclat de grenade ou projectile tiré d'un Lanceur de balles de défense (LBD)? La grave blessure à l'oeil samedi à Paris d'une figure du mouvement des "gilets jaunes", Jérôme Rodrigues, relance la controverse sur l'usage d'armes dites "intermédiaires" par les forces de l'ordre lors de manifestations.

- 16H45: il filme sa chute en direct -

Samedi vers 16H45, la tension monte place de la Bastille entre certains manifestants "gilets jaunes" et forces de l'ordre. Jérôme Rodrigues s'effondre au sol alors qu'il filme avec son téléphone en direct.

"Médic, médic, médic. (...) En plein oeil... Appelez les médics!", entend-on hurler à l'image, devenue fixe et cadrée sur le sommet de la colonne de la Bastille. Le blessé sera finalement pris en charge par les pompiers et hospitalisé.

Vingt secondes avant sa chute, sa vidéo montre des policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) passer en courant devant lui. Resté immobile près de la colonne, Jérôme Rodrigues fait face à d'autres forces de l'ordre, positionnées à une dizaine de mètres.

Toujours sur sa vidéo, on voit un projectile du type grenade jetée au sol à la main et qui roule vers ses pieds. Selon une autre vidéo vue sous un autre angle et postée sur son compte Twitter par le journaliste indépendant Clément Lanot, deux bruits sont entendus: l'explosion sourde d'une grenade puis le tir sec d'un LBD (doté de balles de caoutchouc de 40 mm de diamètre).

- LBD ou grenade ? -

"J'ai subi deux attaques: une grenade en bas des pieds qui m'étourdit et, 3 secondes après, l'impact de la LBD 40 qui m'arrive à l’œil", a affirmé dimanche Jérôme Rodrigues lors d'une conférence de presse à l'hôpital Cochin où il est soigné. "Je tiens à préciser qu'une grenade, ça déchiquette. Je n'ai pas l’œil en lambeaux, j'ai un impact de balle sur l’œil", a-t-il ajouté.

L'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui l'a entendu deux heures dimanche, "m'a confirmé que sur les vidéos qui ont été vues il y a bien le +boom+ de la grenade et le +poc+, qui suit derrière, du tir de LBD", a-t-il dit, précisant avoir remis à la "police des polices" la balle du LBD qui l'a touché et a été "ramassée" par des témoins.

Une version contestée par le secrétaire d'Etat à l'Intérieur, Laurent Nuñez, qui a déclaré dimanche soir à LCI n'avoir "aucun élément qui (lui) permet de dire qu'il y a eu un usage d'un LBD qui aurait touché M. Rodrigues". Il a en revanche confirmé l'utilisation d'une grenade de désencerclement au même moment, s'appuyant sur le rapport d'un policier ayant lancé ce projectile.

- Caméra-piéton ? -

Cette blessure est intervenue le jour où face à la polémique sur les lésions graves causées par les LBD - qui ont remplacé les Flash-balls dans l'arsenal policier - le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner avait décidé d'équiper pour la première fois de caméras-piétons les forces de l'ordre dotées de ces armes dites "intermédiaires".

M. Nuñez a souligné dimanche que 32 tirs de LBD avaient été réalisés samedi à Paris. "Les 32 tirs ont été filmés, y compris les 18 qui ont eu lieu sur la place de la Bastille", a-t-il affirmé.

"Il n'y avait pas de caméras (piétons), ni de sommations", quand Jérôme Rodrigues a été blessé, a de son côté affirmé son avocat Philippe de Veulle, sur BFMTV. "C'est un non respect de la déontologie et des règles en vigueur", a-t-il déploré.

Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour "recherche des causes des blessures", qui ne présage pas à ce stade du type d'arme utilisée ni même d'une implication des forces de l'ordre. Peu après l'hospitalisation de M. Rodrigues, la préfecture de police puis M. Castaner avaient annoncé dans des tweets la saisine de l'IGPN.

Au 24 janvier, depuis le début du mouvement des "gilets jaunes" le 17 novembre, l'IGPN a été saisie de 101 enquêtes judiciaires, dont au moins 31 pour des blessés "sérieux ou graves" lors des manifestations.

Grenades de désencerclement, LBD: le débat sur l'usage de ces armes en maintien de l'ordre, décriées depuis plusieurs années, a rebondi à mesure des témoignages relayés sur les réseaux sociaux de graves blessures, de mains arrachées et d'énucléations.

- "Pacifique" et "pas casseur" -

Jérôme Rodrigues, qui aura 40 ans en mai, père d'une fille de 13 ans, va devoir rester 5 jours à l'hôpital pour éviter une infection à l’œil. "Il faut attendre que l'hématome se résorbe pour déterminer si ma vision est toujours opérationnelle ou pas", a-t-il indiqué.

"C'est un membre emblématique du mouvement, apprécié de tous, qui est tout à fait pacifique. (...) Il filme les manifestations, ça s'arrête là", selon Me de Veulle. "Ce n'est pas un casseur", a également affirmé sa soeur. Jérôme Rodrigues est un proche d'Eric Drouet, l'une des figures historiques du mouvement, habitué à faire des directs lors des manifestations.

Sur sa vidéo d'une dizaine de minutes de samedi avant sa blessure, l'homme à la barbe poivre et sel très fournie, souvent vêtu d'un chapeau, très populaire auprès des "gilets jaunes" qui suivent ses directs, incite à plusieurs reprises des "gilets jaunes" à "partir" de la place de la Bastille car "les +black blocs+ vont attaquer (la police)". C'est aussi lui qui a été parmi les premiers initiateurs des manifestations déclarées auprès de la préfecture de police.

"On lâchera rien", a répété dimanche notamment sur Facebook le blessé, né à Montreuil d'une mère française et d'un père portugais, postant plusieurs photos de lui sur son lit d'hôpital ou dans un fauteuil roulant, le poing levé, l'oeil droit recouvert d'un grand pansement.

"Je serai à des manifs dès que mon état me le permettra", a assuré cet ancien commerçant reconverti depuis peu comme plombier.

L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.

Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement  car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.

Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.

Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.

Je fais un don à France-Soir

Les dessins d'ARA

Soutenez l'indépendance de FS

Faites un don

Nous n'avons pas pu confirmer votre inscription.
Votre inscription à la Newsletter hebdomadaire de France-Soir est confirmée.

La newsletter France-Soir

En vous inscrivant, vous autorisez France-Soir à vous contacter par e-mail.