Enseignement de l'arabe : la France veut rattraper le retard, au-delà des polémiques

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Par Clare BYRNE - Le Kremlin-Bicêtre (France) (AFP)
Publié le 31 octobre 2018 - 12:43
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Une professeure d'arabe écrit au tableau dans un cours pour enfants à l'école Lissane, au Kremlin-Bicêtre en région parisienne, le 3 octobre 2018
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© Philippe LOPEZ / AFP
Une professeure d'arabe écrit au tableau dans un cours pour enfants à l'école Lissane, au Kremlin-Bicêtre en région parisienne, le 3 octobre 2018
© Philippe LOPEZ / AFP

Dans la ville multiculturelle du Kremlin-Bicêtre, voisine de Paris, des enfants sont tranquillement assis à leur pupitre tandis que, dehors, leurs camarades de classe se prélassent sous le soleil d'automne.

"Ayna yaskunu Adel? ("Où vit Adel?"), demande le professeur, Hanan, pointant du doigt un dessin représentant un garçon et une fille. Les mains se lèvent et une jeune écolière répond qu'il vit derrière la "madrassa" (l'école).

Bienvenue à Lissane, une des écoles privées qui sont de plus en plus nombreuses en France, où enfants et petits-enfants d'immigrés maghrébins vont apprendre l'arabe classique les mercredis après-midi ou les week-ends.

Tandis que les élèves de Hanan, qui ont entre 7 et 10 ans, s'initient aux pronoms interrogatifs, un groupe d'enfants de 4 ans dans une pièce attenante entonne une comptine sur les parties du corps humain.

Lissane ressemble à tous les autres établissements de France sauf qu'ici, les enseignantes portent le foulard islamique, interdit dans les écoles publiques du pays comme tout autre symbole religieux.

Mais c'est surtout l'enseignement des "sciences islamiques" ou cours de religion, qui a suscité la polémique dans un pays où, sur fond de vif débat sur l'immigration. Une partie de la population entretient des rapports méfiants avec l'islam. La France compte près de six millions de musulmans.

La composante religieuse de l'enseignement est "très légère", assure le cofondateur de Lissane, Abdelghani Sebata, Algérien de 37 ans, diplômé en droit. "Nous laissons aux familles le côté religieux", explique-t-il à l'AFP.

- Deuxième langue parlée en France -

Un rapport sur la radicalisation, qui a suscité des critiques, publié le mois dernier par l'Institut Montaigne, groupe de réflexion libéral, affirme que les cours d'arabe sont "devenus pour les islamistes le meilleur moyen d’attirer des jeunes dans leurs mosquées et écoles".

En réponse, le ministre français de l'Education, Jean-Michel Blanquer, a estimé que l'arabe devrait être considéré comme les autres "grandes langues" que sont le chinois ou le russe, promettant de développer son enseignement au sein du public afin de combattre "les dérives communautaristes" de certains établissements privés.

Ses mots ont suscité l'ire de l'extrême droite. "Nous sommes dans une idéologie de soumission", a dénoncé Louis Alliot, député du Rassemblement national (RN, ex-FN), en référence au roman controversé de l'écrivain Michel Houellebecq, intitulé "Soumission" et qui dépeint une France gouvernée par les islamistes.

"Est-ce qu'il s'agit de lutter contre l'islamisme ou de le faire entrer dans l'Education nationale? (...) Je pense que c'est une fausse bonne idée", a jugé Luc Ferry, ancien ministre de l'Éducation nationale sous des gouvernements de droite.

Selon Hakim El Karoui, auteur du rapport de l'Institut Montaigne, le nombre restreint d'écoles enseignant l'arabe, pourtant deuxième langue parlée en France et utilisée par plus de 430 millions de personnes dans le monde, serait dû à la réticence de développer un enseignement parfois associé à des populations immigrées perçues par certains comme "problématiques".

Seuls 567 élèves d'écoles primaires ont choisi l'an dernier l'arabe comme langue étrangère obligatoire, soit un tiers du nombre de ceux qui ont opté pour le chinois. La plupart prennent l'anglais. Dans les écoles secondaires, ils sont 11.200 à étudier l'arabe.

La demande étant largement supérieure à l'offre, les parents se sont tournés vers les mosquées, les associations religieuses et les écoles privées comme Lissane. A elles trois, elles représentent 80.000 élèves, selon une estimation officielle citée dans le rapport de l'Institut Montaigne.

Inès Kridaine, une Tunisienne de 35 ans qui vit en France depuis 13 ans, a inscrit sa fille Ikram à Lissane à l'âge de quatre ans. Aujourd'hui, soit cinq ans plus tard, elle peut comprendre sa famille tunisienne, suivre les programmes télés en arabe et lire le Coran.

Mais Inès, qui porte le foulard islamique et une abaya (robe ample qui cache les formes féminines) préfèrerait que l'arabe soit enseigné à l'école publique, "comme les autres langues".

Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe et ancien ministre de l'Education, défendait le mois dernier dans le journal Le Monde l'arabe comme "la langue des Arabes chrétiens, juifs, musulmans ou athées, des blogueurs, de la jeunesse, des chanteurs et hip-hopeurs, des scientifiques, des créateurs...".

Une opinion partagée par Jérôme Gercet, proviseur d'une école internationale secondaire à Grenoble, dans les Alpes françaises, qui se voit contraint de refuser des candidatures pour sa section d'arabe chaque année. La plupart de ceux qui réussissent à suivre ces cours vont par la suite étudier les sciences politiques, la médecine, ou rejoindre les classes préparatoires des Grandes écoles.

La preuve, selon lui, que l'arabe est "une matière d'excellence".

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