A Fleury-Mérogis la série noire de suicides se poursuit
Perspective de lourdes peines, choc carcéral voire contagion suicidaire... A la prison de Fleury-Mérogis, dix détenus se sont suicidés depuis le début de l'année, une série noire que les autorités peinent à expliquer.
Samedi matin, Lucas, 21 ans, a rendez-vous au parloir avec sa mère. En la quittant pour regagner sa cellule, et alors qu'il subit une fouille intégrale, il s'en prend à deux surveillants. Un coup de poing, un coup de pied : il est envoyé au quartier disciplinaire. En fin d'après-midi, il est découvert pendu dans sa cellule.
Condamné à dix mois de prison, le jeune homme devait sortir en septembre. Sa mère refuse de croire au suicide. "Il n'avait aucune raison. Il était apprécié en détention, il avait une petite amie, des projets de formation", dit-elle.
Comme toujours en cas de suicide de détenu, une enquête a été ouverte. L'entretien réalisé pour évaluer les risques de passage à l'acte des détenus à leur entrée en quartier disciplinaire ou quartier nouveaux arrivants, n'a pas permis de détecter de vulnérabilité.
Dix détenus se sont suicidés depuis début 2018 dans cette prison - la plus grande d'Europe avec plus de 4.200 écroués - soit déjà deux fois plus que pour l'ensemble des deux années précédentes. Soixante détenus se sont suicidés dans les prisons françaises en 2018, selon un décompte de l'administration pénitentiaire, contre 55 pour la même période en 2017 et 70 en 2016.
En 2017 à Fleury-Mérogis (Essonne), seuls trois détenus s'étaient donné la mort. Un écart que les autorités peinent à expliquer : les effectifs de surveillants sont similaires, comme la surpopulation carcérale, moindre par rapport à d'autres prisons d'Ile-de-France (143% d'occupation à Fleury contre 182% à Fresnes ou 187% à Villepinte). Les bâtiments sont modernes et les conditions de détention y sont plutôt meilleures que dans d'autres prisons d'Ile-de-France.
"Il n'y a pas un élément factuel qui permette à lui seul d'expliquer ce chiffre plus important que l'année précédente", reconnaît une source pénitentiaire.
- Troubles psychologiques -
Le parquet d'Evry, en charge des enquêtes, parle "d'actes isolés", pas d'un "phénomène de malaise global". "Chaque cas est différent, chaque parcours est différent", même si en grande majorité, les suicides se sont produits dans "des circonstances plus propices au passage à l'acte".
Trois se trouvaient à l'isolement au quartier disciplinaire. Deux étaient au quartier des nouveaux arrivants, le "sas d'entrée" avant qu'une cellule soit attribuée aux détenus, où ils "subissent le choc carcéral". Un autre, à la situation familiale "compliquée", exécutait une peine de trois mois pour "voyage habituel sans titre de transport".
Trois, enfin, étaient en détention provisoire et risquaient des peines très lourdes : l'un pour une tentative assassinat, un autre pour viol sur mineur, et le dernier pour des violences sur un bébé.
Sept des détenus étaient très jeunes (21-23 ans). Ils étaient plusieurs à être suivis pour des troubles psychologiques. La plupart se sont suicidés par pendaison.
Pour François Bès, coordinateur du pôle enquête de l'Observatoire international des prisons (OIP), la prévention du suicide n'est pas encore satisfaisante. "Elle empêche les gens de passer à l'acte, avec par exemple des rondes toutes les heures mais on ne soigne pas la racine du mal-être".
Comme l'administration pénitentiaire, il évoque l'"effet Werther", ou suicide mimétique. "Quand un détenu se suicide, l'idée peut faire son chemin chez un autre", dit-il. "Il faut désamorcer cela" par un travail de "communication" avec les détenus.
Les surveillants, de plus en plus jeunes, "n'ont plus cette culture pénitentiaire" qui permet de détecter les détenus à risques, déplore Thibault Capelle, du syndicat FO. La "gestion de masse" - un surveillant pour 80 détenus à Fleury - et l'accent "plutôt mis" sur la détection de la radicalisation islamiste, jouent également selon lui.
La vague de suicides pèse sur l'atmosphère carcérale, selon les surveillants. Lundi, une soixantaine de détenus du bâtiment de Lucas ont refusé de réintégrer leurs cellules après la promenade.
Les surveillants sont tenus pour "responsables" par les autres détenus, explique Alexandre Caby, de l'UFAP-UNSA. "Pour eux, c'est de notre faute, on les a poussés au bout. Parfois ils disent que c'est nous qui les avons tués".
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