Il y a un an, deux immeubles s'écroulent à Marseille révélant le drame du mal-logement

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Par Estelle EMONET, Julie PACOREL - Marseille (AFP)
Publié le 04 novembre 2019 - 13:05
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Des pompiers inspectent les façades d'immeubles dans la rue d'Aubagne à Marseille, le 8 novembre 2018 quelques jours après l'effondrement de deux immeubles voisins
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© GERARD JULIEN / AFP/Archives
Des pompiers inspectent les façades d'immeubles dans la rue d'Aubagne à Marseille, le 8 novembre 2018 quelques jours après l'effondrement de deux immeubles voisins
© GERARD JULIEN / AFP/Archives

5 novembre 2018, deux immeubles s'écroulent comme un château de cartes au coeur de Marseille: huit personnes meurent, des milliers doivent être évacuées. Un an plus tard, l'enquête révèle un drame du logement insalubre largement prévisible.

A quelques encablures du Vieux-Port, les passants se pressent à nouveau dans le quartier populaire de Noailles où se côtoient dans un joyeux capharnaüm taxiphones, magasins d'épices, poissonneries, coiffeurs afros, et stands proposant aussi bien tomates de Provence que bananes plantains.

Mais au milieu de la rue d'Aubagne, un espace béant surveillé par deux gardiens rappelle la catastrophe qui a mis brutalement en lumière l'ampleur du mal-logement à Marseille et en France.

C'était un lundi. Une pluie diluvienne s'abattait depuis plusieurs jours. A 09H05, deux immeubles mitoyens s'effondrent: le 65 rue d'Aubagne, avec une partie de ses habitants et le 63, à l'abandon depuis des années. Un troisième, le 67, muré, tombe quelques heures plus tard.

A la main, les sauveteurs mettront cinq jours pour sortir des gravats les corps de cinq hommes et trois femmes.

Sous le choc, des locataires rescapés de la copropriété privée du 65 s'insurgent contre une catastrophe selon eux évitable au vu des multiples signalements sur le délabrement des bâtiments.

Murs qui bougent et se fissurent, portes d'entrée qui ne ferment plus, eau qui suinte dans les appartements, stagne dans les arrière-cours et les caves: le rapport d'expertise remis aux trois juges d'instruction et que s'est procuré l'AFP est accablant.

- "J'ai peur" -

"Tous les experts (...) intervenus depuis 2005 avaient unanimement signalé la gravité de la situation", souligne ce document.

"De 2005 à 2018, l'aggravation des désordres avait conduit en différentes occasions à leur signalement, tant auprès des intéressés concernés (syndic-propriétaires) qu'auprès des services de sécurité de la ville de Marseille, sans qu'aucune action technique, efficace et adaptée à la gravité évidente de la situation (...) ne soit finalisée", enfonce-t-il.

La dernière alerte est lancée seulement deux semaines avant les effondrements meurtriers.

Le 18 octobre, les habitants du 65 sont évacués à la hâte car une cloison du hall d'entrée gonflée par l'eau menace de céder. Le premier étage fait alors l'objet d'un nouvel arrêté de péril imminent comme en 2017 avec interdiction d'y habiter.

Les locataires des étages supérieurs sont invités à regagner leurs logements. Un arrêté municipal préconise une série de travaux d'urgence à réaliser avant le 9 novembre.

"T'inquiète pas maman, on nous a assuré qu'on était en sécurité", dit Julien, un jeune locataire franco-péruvien à sa mère. "J'ai peur", dans cet immeuble, écrira pourtant Simona, étudiante italienne, dans un texto à sa voisine deux jours avant l'effondrement.

Ils mourront tous les deux.

- "Cette catastrophe me hante" -

"L'urgence, plusieurs fois soulignée et signalée de mettre en œuvre des travaux réparatoires (...) n'a pas été prise en considération", tranche le rapport d'expert.

Il reproche aux différents acteurs --syndics, propriétaires, services municipaux-- d'avoir poursuivi "des conflits juridiques" pour se rejeter la responsabilité.

Une attitude qui pourrait perdurer jusqu'au procès, selon les avocats.

L'enquête ouverte pour "homicides involontaires aggravé par manquement aux obligations de prudence ou de sécurité" promet d'être longue, "cinq ans minimum", prédit Me Brice Grazzini, avocat de trois familles endeuillées.

"Il y a eu de l'indifférence à tous les échelons et c'est gravissime", estime Me David Metaxas, qui défend le frère de Marie Blanc, une artiste-verrière de 55 ans morte dans les effondrements. "En fait on s'en moquait de ces immeubles modestes avec des gens modestes dedans", ajoute-t-il.

Comme nombre d'habitants de la tour de logements sociaux Grenfell à Londres où plus de 70 personnes sont mortes dans un incendie en 2017, les résidents de Noailles ont accusé la mairie d'abandonner les plus pauvres.

Des "marches de la colère" ont réuni des milliers de personnes dans une ville marquée par de profondes inégalités, le taux de pauvreté variant de 54% dans le 3e arrondissement à 11% dans le 8e avec ses luxueuses résidences fermées.

Dans un premier temps, le maire Les Républicains Jean-Claude Gaudin, aux manettes depuis 24 ans, avait dit "ne rien regretter" sur l'action de ses équipes contre l'habitat indigne. Aujourd'hui, il confie à l'AFP que "le drame et les huit personnes décédées le 5 novembre 2018 constituent une véritable tragédie".

"Cette catastrophe inimaginable me hante tous les jours", poursuit-il.

- 3.000 délogés -

Dans une tribune, des personnalités comme le rappeur Soprano, le cinéaste Robert Guédiguian et Xavier Emmanuelli, cofondateur de Médecins sans Frontières, dénoncent en février une "catastrophe honteuse dans la deuxième ville de France, aujourd'hui capitale de l'indignité".

Ils réclament "un plan extraordinaire contre le mal-logement". A Marseille, 100.000 personnes vivent encore dans "des taudis" et sur la France entière ils sont 1,3 million dans "des logements qui menacent leur santé et leur sécurité", selon la Fondation Abbé Pierre.

"A ce jour, la ville de Marseille a déjà engagé plus de 14 millions d'euros pour la gestion de cette crise", se défend M. Gaudin.

Au total, depuis le 5 novembre, plus de 3.000 personnes ont été évacuées dans toute la ville par principe de précaution de 356 immeubles en mauvais état. Aujourd'hui, 1.000 d'entre eux ont réintégré leur logement, 1.700 ont été relogés et 300 sont encore à l'hôtel, selon la mairie.

A Noailles, le quartier se prépare à commémorer le 1er anniversaire du drame. Les photos des victimes sont affichées à plusieurs endroits. "On n'oublie pas, on pardonne pas", rappelle une affichette sur un volet.

Linda Larbi est la cousine de Cherif Zemar, un Algérien de 36 ans mort dans l'effondrement en laissant orpheline une fillette de quatre ans. Elle fait confiance à la justice pour désigner les responsables: "On attend qu'ils payent pour ces huit vies qui sont parties et qui n'auraient pas dû partir de cette manière-là".

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