Journal de bord d'un réanimateur : "personne n'a envie d'y retourner"
Praticien dans un hôpital de la région parisienne, en première ligne depuis janvier pour traiter les patients atteints de formes graves du Covid-19, un anesthésiste-réanimateur livre chaque semaine pour l'AFP, sous couvert d'anonymat, son journal de la crise sanitaire.
"La dernière fois, c'était il y a cinq mois... Un petit goût amer se fait sentir. Personne n'a envie d'y retourner.
Pourtant, il y a 15 jours, nous nous sommes de nouveau réunis, tôt le matin, à la demande de notre chef de service pour une réunion d'information et d'organisation Covid-19.
Les cinq derniers mois ont été particuliers à l'hôpital. Après le confinement et la +première vague+, il a fallu faire face à une autre forme de vague : la reprise d'activité. Le service de réanimation fonctionne depuis février à flux tendu.
Nous avons également constaté tout ce que l'on place sous le triste terme de +dommages collatéraux+ du Covid. Des diagnostics de cancer trop tardifs, des patients qui se sont aggravés pendant le confinement et à qui on ne peut plus proposer de traitements curatifs, des retards d'examens parfois primordiaux, des patients perdus de vue dont malheureusement quelques-uns probablement décédés.
Heureusement, les personnels ont pu se reposer un peu cet été. Certains autres se sont arrêtés, ont démissionné, ont changé de vie...
Le jour du déconfinement a signé la fin d'une forme de rêve hospitalier. Le 11 mai, les respirateurs, les scopes, les lits, les infirmiers et aides-soignants que nous avons eus pendant deux mois se sont volatilisés. Et nous avons repris notre quotidien. Plus soudés et résilients qu'auparavant probablement.
Depuis un mois maintenant, on attend la fameuse deuxième vague tant redoutée. On la voit arriver. On tente de résister. Mais ça ne suffit pas. Là où en mars les services de réanimation se déployaient dans tous les sens pour tenter d'accueillir le maximum de patients, en octobre, notre niveau de motivation est très différent. On freine le plus possible avant d'y retourner. Une sorte de stress post-traumatique ?
On a voulu ne pas y croire. On était content de ne pas y croire. Mais l'entre-deux-guerres n'a pas duré longtemps. Depuis 10 jours, les patients Covid sont de retour dans notre service de réanimation. On dit qu'ils sont moins graves qu'avant, qu'on sait mieux les soigner. On s'est peut-être un peu habitués aussi.
Du côté des traitements, il est vrai qu'on est un peu plus sereins quand même. Les corticoïdes aident probablement. Et la part d'incertitude sur le fonctionnement de cette maladie a été en partie réduite.
Mais ce coup-ci, on fonctionne en vase clos. Avec nos soignants, notre matériel, et les moyens du bord.
On commence à déprogrammer quelques interventions chirurgicales. On essaye de perturber le moins possible le fonctionnement du service, de l'hôpital et les vies personnelles de chacun. Et surtout d'éviter la panique du mois de mars.
On n'a pas envie, on est un peu dépité, ça nous fait peur, mais on va y retourner quand même. C'est notre rôle."
L'article vous a plu ? Il a mobilisé notre rédaction qui ne vit que de vos dons.
L'information a un coût, d'autant plus que la concurrence des rédactions subventionnées impose un surcroît de rigueur et de professionnalisme.
Avec votre soutien, France-Soir continuera à proposer ses articles gratuitement car nous pensons que tout le monde doit avoir accès à une information libre et indépendante pour se forger sa propre opinion.
Vous êtes la condition sine qua non à notre existence, soutenez-nous pour que France-Soir demeure le média français qui fait s’exprimer les plus légitimes.
Si vous le pouvez, soutenez-nous mensuellement, à partir de seulement 1€. Votre impact en faveur d’une presse libre n’en sera que plus fort. Merci.