La politique budgétaire d'Emmanuel Macron a-t-elle plombé la croissance ?
Le ralentissement de la croissance française, confirmé mercredi par l'Insee, rend inconfortable la position du gouvernement, accusé d'avoir contribué à ce trou d'air par ses choix budgétaires et son calendrier fiscal, jugés défavorables au pouvoir d'achat.
"La fin des illusions": voilà comment l'ancien ministre de l'Economie et des Finances Michel Sapin a condamné, dans une tribune publiée vendredi dans Libération, la politique économique de l'exécutif, jugé responsable de l'"atonie" actuelle de l'activité.
En cause selon lui: les décisions prises au début du quinquennat, destinées à créer un "choc d'offre" favorable aux entreprises et aux entrepreneurs.
"Le péché originel de la politique d'Emmanuel Macron se trouve dans cette décision de faire adopter à marche forcée une fiscalité en faveur des très riches", financée "par un prélèvement sur l'ensemble des ménages français", estime M. Sapin.
"Allégée de plus de cinq milliards, la fiscalité des plus grandes fortunes françaises n'a eu aucun effet ni sur la consommation ni sur l'investissement: la théorie du +ruissellement+ est une fable pour milliardaires", poursuit l'ancien ministre.
Une vengeance politique de la part de celui qui n'a jamais caché son agacement envers son ex-collègue de Bercy, accusé d'avoir trahi son ami François Hollande? Sans doute. Mais "on ne peut pas nier que le calendrier fiscal a joué négativement sur la croissance", estime Mathieu Plane, économiste à l'OFCE.
Dans son premier projet de loi de finances, le gouvernement a choisi en effet de réduire massivement l'imposition du capital (flat tax, suppression de l'ISF), avec en retour un calendrier moins favorable aux contribuables (hausse de la CSG, compensée de façon progressive par la suppression des cotisations salariales).
"A moyen terme, la consommation devrait repartir, car c'est uniquement un effet de calendrier. Mais à court terme, ça a plombé le pouvoir d'achat", souligne le chercheur.
- "Long terme" -
Le ralentissement, de fait, est spectaculaire. Selon l'Insee, la croissance a plafonné à 0,2% au premier comme au deuxième trimestre, après 0,7% fin 2017. Dans le même temps, le produit intérieur brut (PIB) de la zone euro a augmenté de 0,4%, soit un rythme deux fois supérieur.
"L'économie française décroche nettement de celle de ses partenaires", relève Olivier Passet, directeur des synthèses chez Xerfi. "On peut se demander si le gouvernement n'a pas commis une erreur lourde de pilotage budgétaire", ajoute-t-il.
Un avis nuancé par Denis Ferrand, directeur de l'institut de recherche Rexécode. "Le premier trimestre a concentré beaucoup de prélèvements fiscaux, notamment sur le pétrole et le tabac", mais "on ne peut pas attribuer le trou d'air à ce seul et unique facteur", estime l'économiste.
Plusieurs éléments extérieurs sont ainsi venus pénaliser l'activité, comme l'appréciation de l'euro vis-à-vis du dollar, qui a pesé sur les exportations, ou la remontée des prix du pétrole, qui a rogné le pouvoir d'achat des consommateurs.
En outre, "le gouvernement précédent a lui aussi sa part de responsabilité", juge M. Ferrand. "Des problèmes structurels n'ont pas été réglés lors du précédent quinquennat", notamment sur le plan de la formation: "ça aussi, ça a joué sur la croissance", assure-t-il.
Responsable mais pas coupable? Interrogé sur le sujet, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a réfuté lundi toute "erreur de politique économique", appelant les "commentateurs" à juger la stratégie du gouvernement "sur le long terme".
"Les aléas de la conjoncture, le fait qu'à un moment donné il puisse y avoir une croissance un peu plus faible ou un peu plus forte, ça fait partie de la vie économique d'un pays", a-t-il déclaré lors d'une rencontre avec l'Association des journalistes économiques et financiers (Ajef).
"Notre politique est une politique de l'offre" qui "vise à augmenter les capacités de production des entreprises". "Forcément, les résultats seront plus longs à venir que si nous faisions une politique de redistribution de la dépense publique, qui se solderait par l'augmentation de la dette", a-t-il ajouté.
Un pari sur l'avenir qui risque de susciter de l'impatience, au-delà d'une possible déception. "Pour savoir si cette stratégie a marché ou pas, il faudra attendre plusieurs trimestres, voire plusieurs années", prévient Mathieu Plane.
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