Meurtre de Vanesa Campos : au Bois de Boulogne, les prostituées terrorisées par une "mafia"
Le spot aveuglant de sa camionnette blanche fatiguée perce la canopée: au Bois de Boulogne, Romina, prostituée trans équatorienne, attend dans la "peur" le client, devenu rare depuis deux semaines et le meurtre de sa "compañera" Vanesa Campos, commis "par une mafia".
"Ce fut une nuit horrible", se souvient Romina, 38 ans, dont la longue chevelure noire boucle jusque sur son opulente poitrine.
Ce jeudi 16 août, route du Pré Catelan, à une encablure du huppé Lagardère Paris Racing, plusieurs détonations déchirent l'air aux alentours de 23H00.
Vanesa, une travailleuse du sexe péruvienne de 36 ans, s'époumone : "Chicas todas !" ("toutes les filles !"), le cri de ralliement de ces prostituées sud-américaines dès qu'un problème survient.
La jeune femme est retrouvée peu après agonisante près de son abri de fortune, quelques draps tendus dans un bosquet à la végétation chaotique.
Cinq de ses agresseurs présumés ont depuis été mis en examen pour "meurtre commis en bande organisée" et "vols en réunion avec dégradations", et placés en détention provisoire.
Arrivée en France en 2016, Vanesa "était venue chercher une meilleure situation pour aider sa famille et sortir de la misère", explique à l'AFP sa compatriote Sandra. Egalement prostituée, mais dans un autre secteur du Bois de Boulogne, elle partageait avec la victime un studio à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine).
"La seule chose qui l'embêtait, c'était le danger au travail. Elle n'y allait jamais seule. Le bois, c'est obscur, tu rentres dedans sans jamais savoir si tu vas en sortir", explique la jeune femme.
Depuis le vote en 2016 de la loi prostitution, l'achat d'un acte sexuel est passible d'une amende de 1.500 euros - 3.750 euros si récidive.
Pour échapper à la police, les clients contraignent désormais les travailleuses du sexe à exercer dans des endroits plus isolés où elles sont davantage exposées aux agressions, ont dénoncé plusieurs organisations présentes aux rassemblements en hommage à Vanesa Campos. Le dernier s'est tenu mercredi soir à Paris.
- "Vous attendez quoi, un mort ?" -
Selon les premiers éléments de l'enquête, Vanesa Campos a été tuée alors qu'elle tentait d'empêcher des "roulottiers" de dépouiller l'un de ses clients. L'un des suspects est même soupçonné de s'être servi d'une arme dérobée à un policier une semaine plus tôt dans le bois.
Romina fait remonter les premières agressions à 2013, date à laquelle elle a commencé à se prostituer. "Au début, il n'y avait qu'un homme", qui cassait les vitres des voitures des clients pendant les passes pour dérober leurs affaires.
Puis, "il y a de plus en plus de gens, c'est devenu quasiment une mafia", dit-elle : "Ils avaient fait de cet endroit leur territoire". L'un d'eux, passant son pouce sur sa gorge, l'avait déjà menacée de mort.
"Les filles étaient agressés tous les jours. Certaines étaient même violées", affirme Kouka Garcia, présidente de Pari-T, une association de soutien aux personnes transgenres.
Des clients ont même fini par s'attaquer aux prostituées, leur demandant de "rappeler leur +mac+", persuadés qu'elles étaient de mèche avec les agresseurs, raconte Romina.
Plusieurs fois, elle et ses "compañeras" ont alerté la police qui, faute de preuves, n'a pas mené d'investigations approfondies. "Vous attendez quoi pour faire quelque chose, un mort ?", a-t-elle lancé un jour à une policière.
Depuis le drame, les forces de l'ordre ont intensifié leurs rondes, comme l'a constaté l'AFP sur place. Une présence à double tranchant, souligne Romina : "C'est bien que la police fasse plus attention à nous", mais les clients sont "beaucoup moins" nombreux.
Les interpellations des suspects n'ont pas suffi à rassurer les prostituées. "Les filles se sentent complètement perdues, elles se demandent qui va les protéger. Certaines n'arrivent plus à dormir, ni même à parler", explique Giovanna Rincon, directrice d'Acceptess-T, une autre association de défense des personnes trans.
"Les filles ont très peur", renchérit Kouka Garcia. Si certaines ont déserté le bois ces derniers jours, la militante sait que plupart y reviendront, la peur au ventre : "Elles n'ont pas le choix, il faut bien qu'elles se payent à manger et la chambre d'hôtel".
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