Pédophilie : pour une victime, le film d'Ozon montre que les abusés sont "des bombes à retardement"
Cofondateur de l'association "La Parole libérée", François Devaux estime que le film de François Ozon "Grâce à Dieu", qui sort mercredi en France, permet de comprendre à quel point les victimes de pédophilie sont "des bombes à retardement".
L'association a été fondée à Lyon en 2015 par d'anciens scouts abusés par un prêtre pédophile, Bernard Preynat. Neuf d'entre eux sont à l'origine du procès contre le cardinal Barbarin et cinq anciens responsables du diocèse pour ne pas avoir dénoncé les agissements du père Preynat à la justice.
Q : Comment s'est faite la rencontre avec François Ozon ?
R : On a été contactés il y un an et demi, au départ François Ozon envisageait de faire un documentaire mais on avait participé à déjà cinq documentaires et on ne voyait pas l'intérêt d'en faire un de plus, tout François Ozon qu'il était. De fil en aiguille, il a changé d'avis pour une fiction, bâtie à partir d'une enquête journalistique, de rencontres. Mais on n'a pas voulu être partie prenante, on n'a jamais été impliqués dans la forme et le scenario.
La motivation de François Ozon, à la base, était la fragilité masculine et son approche est très humaine, très passionnée. C'est une rencontre fabuleuse de plus, comme on en a eu avec des journalistes, des avocats, des enquêteurs, des écrivains. C'est bluffant de voir à quel point tous ceux qui se sont impliqués dans ce dossier, de près ou de loin, se sont passionnés.
Q : Qu'avez-vous ressenti en voyant le film ?
R : C'est très, très troublant. On n'a jamais voulu exister au travers de tout cela, on a toujours été animés par des convictions profondes, en mettant en avant l'intérêt commun et pas nos identités personnelles. J'avais très peur de la dimension héroïque qu'il pouvait nous donner parce que ce n'est pas ça. Je ne veux pas passer pour ça. On a juste fait ce qu'on devait faire.
Le gros intérêt de ce film, je crois, et donc de la fiction, c'est que François Ozon a pu prendre des libertés sur la mise en lumière de notre intimité et de nos réactions personnelles, ce qu'on ne s'est jamais autorisé à faire, au nom de l'intérêt commun. Ozon a pu exprimer ces choses-là, qu'on n'avait pas du tout envie, qui sont assez désagréables pour nous mais qui présentent un intérêt assez fort et qui permettent de prendre la mesure des choses. Ces quadras qui ont plutôt bien réussi, à qui la vie a souri, en fait, eux aussi ils portent des séquelles profondes et ça a eu un impact non négligeable sur eux et sur leur famille et c'est, quand même, des bombes à retardement.
Q : Pourquoi votre combat a-t-il eu un tel écho ?
R : J'ai l'impression que le concept de "parole libérée" est un concept moderne et caractéristique de l'évolution de notre société actuelle. On est un peu en phase avec les "gilets jaunes", la +blockchain+, où on essaie d'enlever les responsabilités auprès d'autorités uniques et de la repositionner dans une responsabilité collective. Et il n'y a pas de tête là-dedans, personne ne cherche à exister au travers de cela. On reste centrés sur la cause. J'ai le sentiment que ça redonne à ces différents acteurs - journalistes, écrivains, cinéastes, avocats - du sens à leur métier et à leur investissement. A quoi sert le média sinon à interpeller ? C'est le coeur de métier d'un journaliste, c'est pareil pour un cinéaste, de contribuer à quelque chose d'utile et de fondé. On s'est retrouvé comme le point de rencontre de tout cela.
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