Des succès mais le spectre d'une crise : le paradoxe de la lutte contre le sida
La lutte contre le sida est en plein paradoxe: la proportion de séropositifs qui ont accès aux traitements n'a jamais été aussi élevée mais un relâchement dans la prévention et la baisse des financements font craindre un rebond de l'épidémie.
Près de trois séropositifs sur cinq dans le monde — 21,7 millions sur 36,9 millions au total — prennent des traitements antirétroviraux, soit la plus haute proportion jamais atteinte, selon un rapport de l'Onusida publié mercredi.
L'an dernier, 940.000 personnes dans le monde sont mortes de maladies liées au sida, selon ces chiffres publiés avant la conférence internationale sur le sida d'Amsterdam (23-27 juillet).
À titre de comparaison, au pic de l'épidémie en 2005, 1,9 million de décès dans le monde étaient liés au sida, selon l'instance de l'ONU chargée de la lutte contre cette maladie.
A l'époque, seuls 2 millions de porteurs du virus de l'immuno-déficience humaine (VIH) sur 30 millions au total avaient accès aux traitements antirétroviraux, qui préviennent le développement du sida.
"Personne n'aurait cru que nous aurions pu mettre 22 millions de personnes sous traitement en 2018. C'était un rêve", a rappelé le directeur exécutif de l'Onusida, Michel Sidibé, lors d'une conférence de presse à Paris.
"Malheureusement, nous sommes un peu victimes de ces résultats", a-t-il nuancé, en déplorant une "crise de la prévention": "il y a une complaisance qui se crée, qui risque de mettre en cause ces acquis. Ce n'est pas le moment de baisser la garde".
Au premier rang des inquiétudes, la question du financement. "Il manque 7 milliards de dollars par an (...) pour nous permettre de maintenir nos résultats", a indiqué M. Sidibé à l'AFP.
L'an dernier, 20,6 milliards d'euros étaient consacrées à des programmes de lutte contre le sida dans les pays à faible et moyen revenu, qui en financent eux-mêmes 56%, selon le rapport.
Mais sous l'administration Trump, les Etats-Unis, qui sont historiquement le contributeur majeur de la lutte contre le sida, ont prévu des coupes budgétaires.
- Enfants "laissés pour compte" -
"La crainte est que la diminution des contributions des bailleurs internationaux n'entraîne une diminution des investissements internes des pays touchés", selon M. Sidibé. Or, "au moins 44 pays dépendent à 75% de l'aide internationale pour combattre l'épidémie".
"Si l'on ne dispose pas de ces ressources, il y a un risque important de rebond de l'épidémie, avec un risque de résistance grandissante et d'augmentation de la mortalité due au sida", a-t-il prévenu.
Cela compromet l'objectif que s'est fixé l'ONU pour 2020: que 90% des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut, que 90% de ces dernières soient sous traitement, et que parmi celles-ci, 90% aient une charge virale indétectable.
"Nous n'allons pas au rythme que nous nous étions assigné. Pour briser la colonne vertébrale de cette épidémie il faut arriver à 30 millions de patients traités en 2020", a martelé le patron malien de l'Onusida.
Il y a eu 1,8 million de nouvelles infections l'an dernier, un nombre stable par rapport aux années précédentes.
Les résultats globaux dévoilés mercredi cachent de fortes disparités. En Afrique de l'Ouest et centrale notamment, seuls 40% des porteurs du virus ont accès aux traitements.
"Certains pays continuent à nous inquiéter, comme le Nigeria, qui représente à lui seul environ la moitié de toutes les nouvelles infections d'Afrique de l'Ouest", selon M. Sidibé.
Autre source d'inquiétude: "l'épidémie en Russie est en train de se généraliser. Alors qu'elle était concentrée sur les populations qui s'injectent des drogues, elle touche de plus en plus la population générale".
M. Sidibé a par ailleurs reconnu des insuffisances dans la lutte contre le sida chez les enfants, qui sont "laissés pour compte".
"Même si on a évité 1,4 million de nouvelles infections chez les enfants depuis 2010, on constate malheureusement que nous n'avons pas fait suffisamment de progrès", a-t-il noté.
"On continue à avoir plus de 50% des enfants qui n'ont pas accès aux traitements, et il y a eu l'année dernière 110.000 décès et 180.000 nouvelles infections. C'est inadmissible".
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