SNCF : une grève longue peut mettre l'opinion du côté des cheminots, selon un historien

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Par Elisabeth ROLLAND - Paris (AFP)
Publié le 14 mars 2018 - 14:28
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Des cheminots en grève à Lyon, le 1er juin 2016
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© JEFF PACHOUD / AFP/Archives
Des cheminots en grève à Lyon, le 1er juin 2016
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Une grève "forte et dans la durée" peut mettre la population du côté des cheminots car, au-delà du mécontentement initial des usagers, elle peut favoriser le débat et retourner l'opinion, explique l'historien Michel Pigenet, spécialiste des mouvements sociaux.

QUESTION: Les Français jugent "injustifiée" une éventuelle grève à la SNCF, selon un récent sondage. Lors de la grande grève de 1995, les cheminots avaient reçu le soutien de la population. Qu'est-ce qui peut mettre les usagers du côté des grévistes?

REPONSE: "Les grèves de cheminots ont souvent été longues. Si la grève dure, d'un côté elle peut exacerber le mécontentement des usagers, mais d'un autre côté elle est l'occasion d'un débat et, à ce moment-là, une argumentation peut être entendue. Et quand la grève se prolonge, l'obstination des gouvernants ou des dirigeants de la compagnie peut aussi être mise en cause. Cela s'est fréquemment passé dans l'histoire. C'était le cas en 1995. Dans un premier temps, il y avait une incompréhension, outre que les cheminots n'étaient pas seuls en cause.

La durée est une arme à double tranchant pour un pouvoir. En 1953, une grève éclate en plein mois d'août. Les gens ne comprennent pas, mais comme la grève dure, l'opinion se retourne contre le gouvernement. La grève se terminera par un succès puisque le gouvernement, qui avait tenté de passer par décrets-lois, l'équivalent des ordonnances d'aujourd'hui, ne les appliquera pas.

Les grèves de cheminots sont corporatistes, professionnelles, mais en même temps touchent un service public. Il y a là indéniablement pour les cheminots un argument fort car la défense de leur statut renvoie à la notion de service public. Les deux sont liés. Cet argument fort se couple aujourd'hui avec l'arrivée de la concurrence. Pour le moment, les syndicats n'ont pas la main pour l'expliquer, mais une action forte et dans la durée peut modifier cela."

QUESTION: En 2008, Didier Le Reste, alors leader de la CGT Cheminots, avait dit que le statut était "le ciment de la famille cheminote". Ce "ciment" existe-t-il vraiment?

REPONSE: "Indéniablement le statut unifie le monde divers, hétérogène des cheminots. Le statut des cheminots en tant que tel date de 1920 et il y a eu ensuite différentes adaptations. Avant, il y avait déjà eu toute une série d'acquis donnés par les compagnies ferroviaires pour fidéliser, stabiliser un personnel compétent, en accordant un certain nombre d'avantages, comme la retraite, les congés payés.

Le statut va plus loin car il a aussi les caractéristiques d'une convention collective, c'est-à-dire qu'il détermine les conditions d'embauche, d'avancement à l'ancienneté. Ce sont des protections tout à fait avantageuses, qui ont inspiré les revendications d'autres salariés.

Le monde des chemins de fer est professionnellement hétérogène, avec une bonne centaine de métiers différents entre les guichetiers, les conducteurs, les contrôleurs, les agents des voies... Le seul point commun de tous ces personnels, c'est de faire fonctionner les trains et rendre ce service qui est un facteur de fierté, d'attachement à la compagnie. Le statut contribue à cette unité, par-delà toutes les différences, professionnelles, régionales. Ce qui unifie tout cela, c'est une compagnie -la SNCF depuis 1938-, un statut et le service public. Tout cela est intimement lié."

QUESTION: La mise à l'index du statut comme source de privilèges date-t-elle de ses débuts?

REPONSE: "C'est très ancien cet argument des privilèges. En 1909, Eugène Guérard, grande figure du syndicalisme cheminot et de la CGT, disait lui-même à ses camarades: +Vous ne pouvez nier que vous êtes privilégiés au point de vue de la retraite+ Et il leur conseillait, +pour maintenir les avantages acquis+, d'+aider toutes les corporations à obtenir des conditions de retraite analogues+.

La première fois où cet argument est explicité à la radio, c'est en juin 1947. Une grève un peu inattendue démarre à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) et se propage très vite. Le ministre des Transports Jules Moch s'adresse aux Français à la radio. Il oppose les cheminots au reste de la population et les cheminots entre eux. On présente les grévistes comme des privilégiés égoïstes. Loin d'apaiser le conflit, ça le durcit. Cela reviendra par la suite. En 1953, +regardez le statut des uns et l'absence de statut des autres+, c'était un leitmotiv."

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