Whatsapp, Facebook, fake news : les administrateurs, petites mains 2.0 des "gilets jaunes"
Ils échangent des centaines de messages Whatsapp, passent des heures à relire des commentaires, organisent blocages et manifestations: ce travail de fourmi dans les coulisses a fait des administrateurs et modérateurs des groupes Facebook de "gilets jaunes" des piliers du mouvement qui agite la France depuis deux mois.
"Quand j'ai vu l'annonce d'Eric Drouet sur Facebook, je me suis dit +ça, c'est pour nous+". Fin octobre, dès que le chauffeur routier controversé appelle à un "blocage national" le 17 novembre, Arnaud, fonctionnaire territorial de 48 ans, créé avec son frère jumeau une page : "Gilets jaunes de Seine-et-Marne".
Au même moment, quatre personnes font de même dans le nord de ce département périurbain, en pointe de la contestation. Rapidement, ils décident de se rassembler dans un groupe commun: "blocage 77 Nord", plus de 4.000 membres aujourd'hui.
Partout en France, des dizaines de groupes locaux de "gilets jaunes" essaiment sur le réseau social. Les membres affluent, post et commentaires se multiplient, les revendications s'élargissent.
Vincent, 34 ans, était l'un des organisateurs de la manifestation du 17 novembre à Dijon. Il gère une page en Côte-d'Or et a été rejoint par deux autres administrateurs, et quelques modérateurs. "Ca devenait très compliqué de répondre à tout le monde. Je recevais des centaines de messages privés tous les jours".
"En ce moment, je travaille de nuit. Ca me laisse un peu de temps pour valider des contenus, répondre à des messages, à la pause et en rentrant du travail vers 4H00" du matin, poursuit cet ouvrier dans la pétrochimie. Ses enfants disent "avoir marre des +gilets jaunes+. Mais il faut continuer le combat, c'est pour eux qu'on le fait".
- Réunions au Mcdo -
En Seine-et-Marne, plusieurs administrateurs ont aujourd'hui quitté le navire, pour raisons professionnelles ou personnelles. Il en reste cinq, qui continuent à s'échanger des "milliers de messages" par jour, explique Arnaud.
Modérer les commentaires, vérifier les publications, échanger sur la logistique des manifestations, lui prennent "minimum cinq heures par jour". A cela s'ajoute "deux réunions par semaine", "chez l'un ou l'autre", parfois dans des cafés ou au Mcdo en périphérie de Meaux, qui a longtemps été leur QG.
Trentenaires salariés, auto-entrepreneurs, étudiants, retraités: à l'image des manifestants vus dans les cortèges ou sur les ronds-points, ceux qui consacrent des heures à la gestion des réseaux sociaux ont des profils divers.
Certains vivent leur premier engagement. D'autres sont déjà membres d'associations, ou anciens militants. "Ca faisait plusieurs années que je ne faisais plus rien, mais je me suis retrouvée dans ce ras-le-bol", explique ainsi Sylviane, ancienne syndicaliste CGT. A 61 ans, la retraitée passe aujourd'hui "six heures par jour" à modérer une page Facebook des gilets jaunes du Val-d'Oise.
En Seine-et-Marne, personne n'a jamais contesté aux administrateurs leur statut, assure Arnaud. "On reçoit chaque jour des messages de remerciements. Les gens ont besoin de nous, qu'on passe du temps, qu'on organise". D'autant que lors des actions locales "on a jamais eu de blessés, de heurts avec la police ou qui que ce soit, et ça les gens en sont fiers".
Beaucoup d'administrateurs se muent en effet en organisateurs de terrain. A Lyon, Tim, 25 ans, professeur et créateur de la page "Universités Jaunes", est l'un de ceux qui mènent la marche le samedi. Le tracé, établi au préalable par une dizaine d'organisateurs, est connu d'eux seuls, pour maximiser l'effet de surprise auprès des forces de l'ordre.
- "Premiers arrivés, derniers partis" -
Blocages de centres commerciaux, opérations péages gratuits: "on est les premiers arrivés, les derniers partis", ajoute Arnaud. Idem lors des manifestations à Paris, où "200 à 300" "gilets jaunes" du département ont pu défiler ensemble. "On essaie d'encadrer plus ou moins notre cortège", explique-t-il. "On est que administrateurs mais au fond de nous on se sent un peu responsables des gens qui nous accompagnent. Il y a des femmes, des enfants, on ne se voit pas les envoyer au front."
Après deux mois d'un mouvement parfois critiqué pour son complotisme, les administrateurs disent aussi vouloir lutter contre les "Fake news". Ils s'efforcent de vérifier l'authenticité d'une vidéo, la source d'une information. Peuvent attendre dans certains cas qu'elle soit confirmée par les médias avant de publier sur la page Facebook.
Sur la question des "violences policières" par exemple. "On fait le tri, mais c'est dur", raconte ainsi Yoann, 25 ans, un des sept administrateurs du groupe "Colère 44" (plus de 16.000 membres). Il explique "parler aux gens, demander à quel endroit ça s'est passé". S'il s'avère que c'est faux, il supprime.
"Ca nous est arrivé de mettre dehors des gens qui avaient des propos racistes, homophobes, réitérés" ou qui proféraient insultes et propos violents à l'égard du mouvement, ajoute Sylviane. Elle dit avoir exclu 34 personnes.
Mais sur les groupes de discussion instantanées, créées au fil du mouvement, la suppression des messages n'est pas possible et tout le monde peut "poster tout et n'importe quoi", relève Arnaud.
Les administrateurs ont en effet ouvert récemment de nouvelles pages ou des boucles de discussion, avec les membres "actifs". Quand ils échangent sur les réseaux sociaux, certains donnent désormais un nom de code à leurs actions. Objectif: être "moins surveillés" et éviter notamment "flics ou gendarmes infiltrés".
Il y a eu "des appels à aller sur des messageries privées, à se protéger, à ce que le mouvement devienne davantage souterrain", constate ainsi Brigitte Sebbah, qui a mené avec des chercheurs de l'université Toulouse 3 une étude sur les contenus numériques échangés par les "gilets jaunes". Une structuration dans laquelle les administrateurs continuent de jouer un rôle clé, petites mains 2.0 d'un mouvement social inédit.
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