Yannick Haenel remporte le prix Médicis pour "Tiens ferme ta couronne"
Le Médicis, un des derniers prix littéraires de la saison, a célébré jeudi les noces entre la littérature et le cinéma en donnant son prix à Yannick Haenel, finaliste malheureux du Goncourt et du Grand prix du roman de l'Académie française, pour "Tiens ferme ta couronne".
"J'ai deux passions dans la vie : le cinéma, notamment le cinéma américain et la littérature. J'ai essayé avec ce livre d'assouvir ma cinéphilie avec des phrases", a réagi le romancier, âgé de 50 ans.
"Tiens ferme ta couronne" (Gallimard) est un roman inclassable où l'on croise le cinéaste américain Michael Cimino (disparu en 2016), la déesse Diane, un dalmatien nommé Sabbat et un maître d'hôtel irascible sosie d'Emmanuel Macron.
Le jury du Médicis, très affecté par la disparition cette année de deux de ses membres, la romancière et scénariste Emmanuèle Bernheim et la romancière et comédienne Anne Wiazemsky, semble avoir voulu rendre hommage à ces deux femmes, liées à la littérature et au cinéma, en choisissant comme lauréat le cinéphile Yannick Haenel.
Le romancier, par ailleurs chroniqueur pour le magazine de littérature et de cinéma Transfuge et à Charlie Hebdo, a tenu à saluer la mémoire d'Anne Wiazemsky. "Comme mon livre porte sur les noces entre le cinéma et la littérature, si quelqu’un l’a incarné merveilleusement c’est elle. Baisers à Anne Wiazemsky", a-t-il dit.
Il a été choisi au 4e tour par 5 voix contre une à François-Henri Désérable ("Un certain M. Piekielny", Gallimard).
Le prix Médicis étranger a été attribué au romancier italien Paolo Cognetti pour "Les huit montagnes" (Stock), traduit par Anita Rochedy et le Médicis essai a récompensé l'Américain Shulem Deen pour "Celui qui va vers elle ne revient pas" (Globe), traduit par Karine Reignier-Guerre.
"A cette époque, j'étais fou", prévient Jean Deichel, le narrateur (double de l'écrivain) dès la première ligne de "Tiens ferme ta couronne".
Les plus fidèles lecteurs de Yannick Haenel auront reconnu une figure familière. C'est ce même Jean dont on entendait la voix dans "Introduction à la mort française" (2001) puis dans "Cercle" (2007), un roman récompensé par le prix Décembre et prix Roger Nimier.
- L'innocence perdue -
Jean ne va pas bien. Il vit quasi cloîtré dans son appartement de l'est parisien. Surtout, il a sur les bras un scénario de 700 pages sur la vie solitaire de Herman Melville dont aucun producteur ne veut. Quand on lui demande de résumer son scénario, Jean répond qu'il traite de "l'intérieur mystiquement alvéolé de la tête de Melville", une phrase que l'on trouve presque à l'identique dans "Moby Dick".
Selon Jean, seul Michael Cimino, le réalisateur maudit de "Voyage au bout de l'enfer" et de "La porte du paradis", pourrait adapter son scénario au cinéma. En attendant, Jean regarde en boucle "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola en vidant consciencieusement les alcools de son frigo.
Jean finira par rencontrer Michael Cimino à New York. Le cinéaste a les traits d'une femme ? Qu'importe puisque nous baignons dans la fiction. Tout livre de Yannick Haenel est habité par des visions.
On se délecte du récit (imaginaire) d'Isabelle Huppert racontant son expérience dans un bordel du Wyoming pendant le tournage de "La porte du paradis". On découvre un cheval nommé Visconti. On relit les métamorphoses d'Ovide et "Le rameau d'or" de Frazer.
Le roman, souvent drôle, devient tragique quand il résonne du fracas des attentats commis à Paris, des images d'otages égorgés par des jihadistes.
Face à ce monde qui part en miettes, Jean, roi de rien, en quête de l'innocence perdue, trouvera une réponse en Italie, dans les eaux du lac de Némi, le lieu du sanctuaire de la déesse Diane (et endroit où Yannick Haenel tourna son premier film, "La reine de Némi").
La beauté a-t-elle le pouvoir de changer le monde ? C'est le pari de l'écrivain.
L'an dernier, le Médicis avait récompensé Ivan Jablonka pour "Laëtitia ou la fin des hommes" (Seuil), Jacques Henric ("Boxe", Seuil) dans la catégorie essai et Steve Sem-Sandberg ("Les élus", Robert Laffont) dans la catégorie romans étrangers.
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