En négociant avec le régime, les Kurdes syriens vont tenter de sauver leur autonomie
Après des années d'une autonomie de facto acquise à la faveur de la guerre, les Kurdes de Syrie, acculés à des négociations avec le régime, vont tenter de sauver leurs acquis face à un pouvoir réticent à toute idée d'autogestion.
Minorité longtemps opprimée en Syrie, les Kurdes ont proclamé une semi-autonomie dès 2013, deux ans après le début de la guerre qui ravage ce pays.
Ils ont ensuite proclamé une vaste "région fédérale", le Rojava, sur les territoires du Nord récupérés après le retrait des forces du régime de Bachar al-Assad ou conquis en chassant les jihadistes du groupe Etat islamique (EI) avec le soutien des Etats-Unis.
Les Kurdes se sont dotés d'une Constitution et ont établi des écoles dispensant des cours dans leur langue.
S'ils contrôlent désormais environ 30% du territoire syrien --dont d'importants champs pétroliers--, l'avancée du régime qui a maintenant la main sur les deux-tiers restants du pays, les a forcé à négocier avec Damas. Cette décision s'est également imposée à l'aune d'une volonté affichée des Etats-Unis, leur principal soutien, de se retirer du pays.
Le 26 juillet, une première réunion officielle a eu lieu à Damas.
"Nous essayons de préserver tout ce que nous avons construit en terme d'autonomie, qu'il s'agisse des institutions, de la démocratie", explique à l'AFP Saleh Mouslem, l'un des principaux dirigeants kurdes.
"La mentalité ambiante (en Syrie) n'est pas favorable" à l'instauration "dans l'immédiat" de ce type de gouvernance, d'où la nécessité d'y procéder "par étapes", ajoute-t-il.
Jusqu'en 2011, un seul parti était autorisé en Syrie, pays au pouvoir très centralisé où le président Bachar al-Assad a succédé à son père Hafez.
Les Kurdes ont subi des décennies de marginalisation politique et culturelle. Ils ne pouvaient pas enseigner leur langue ni célébrer leurs fêtes et traditions, certains étant même privés de nationalité.
- "L'équation a changé" -
Mais "la Syrie ne sera pas comme avant. Un système démocratique et décentralisé doit être adopté (...)", veut croire M. Mouslem.
Damas insiste de son côté sur le rétablissement de son autorité sur l'ensemble du pays. Le président Bachar al-Assad a même menacé de recourir à l'option militaire, faute d'un accord négocié en ce sens avec les autorités kurdes.
Pour Mutlu Civiroglu, un analyste indépendant basé à Washington qui commente régulièrement les évolutions liées aux Kurdes syriens dans les média internationaux, "d'une manière ou d'une autre, régime et forces kurdes trouveront une solution, soit de manière pacifique, soit en se combattant".
Les Kurdes, fer de lance de la lutte anti-EI, comptent sur leurs propres gains sur le terrain pour imposer certaines conditions.
"Nous n'étions même pas pris en compte (par le régime) auparavant (...) Mais l'équation a changé grâce à notre volonté, notre organisation et notre autodéfense", estime M. Mouslem.
Selon lui, les pourparlers avec le régime n'aboutiront pas à une simple "passation de pouvoir" dans les zones kurdes.
"Nous réclamons que chacun puisse vivre et s'exprimer librement indépendamment de sa couleur (politique ou ethnique). Les droits culturels, politiques ainsi que l'administration autonome n'ont pas besoin d'être négociés", et "constituent un modèle pour toute la Syrie", dit-il.
Selon certains analystes, le régime envisagerait lui une simple reconnaissance des droits culturels de la minorité kurde exigeant en contrepartie la fin du système autonome mis en place depuis cinq ans.
Mais Ilham Ahmad, qui a mené la délégation kurde aux premières négociations avec le régime fin juillet, souligne: l'autogestion est l'un des "gains de notre guerre contre Daech" (acronyme arabe de l'EI).
- "Ligne rouge" -
"L'Etat syrien n'acceptera jamais une administration autonome", estime Bassam Abou Abdallah, directeur du Centre de Damas pour les études stratégiques. Il soutient que les Kurdes devraient se satisfaire d'une réactivation de la loi syrienne no. 107 datant de 2012 qui prévoit d'accorder davantage de prérogatives aux municipalités.
Pour cet analyste, les forces kurdes syriennes devront être démantelées mais Ilham Ahmad dément elle toute discussion à ce sujet.
Les Kurdes "gèrent leurs propres affaires avec brio depuis plusieurs années (...) Ils n'accepteront pas un retour en arrière, c'est pour eux une ligne rouge", estime de son côté M. Civiroglu.
Le fossé entre les positions des deux camps rendront les pourparlers très longs, estime Haid Haid, analyste au groupe de réflexion britannique Chatham House.
Et de poursuivre: "Enhardi par ses récents acquis militaires, le régime semble plus que jamais déterminé à empêcher la création de centres de pouvoir parallèles en Syrie"
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