A Berlin, le combat d'une femme pour les graffitis de l'Armée rouge
Berlin a conservé de multiples traces des destructions de la Seconde guerre mondiale. Parmi les plus impressionnantes, les graffitis dessinés par des soldats de l'Armée rouge dans le bâtiment du Reichstag, qui abrite aujourd'hui la chambre des députés allemands.
Lors de sa restauration par l'architecte britannique Norman Foster, dans la foulée de la réunification allemande en 1990, les autorités avaient décidé de ne pas effacer ces messages pour la postérité, insultes et railleries.
Leurs auteurs sont les soldats soviétiques qui ont mené la bataille de Berlin pour anéantir définitivement le régime d'Adolf Hitler en 1945.
Aujourd'hui encore, les députés qui se rendent dans la grande salle des débats, inondée de lumière par une grande coupole de verre, passent devant des centaines d'inscriptions en alphabet cyrillique. Certaines sont sentimentales, d'autres franchement grivoises.
"Vous récoltez ce que vous avez semé", peut-on lire par exemple, non loin du bureau d'Angela Merkel, chancelière et députée du Bundestag. "C'est bien fait pour vous, fils de chiens", a inscrit un autre laissant libre cours à sa colère.
Un gribouillis en forme de menace à caractère sexuel dirigée contre Hitler a aussi été conservé.
La plupart de ces inscriptions faites au charbon récolté dans les décombres calcinés du Reichstag ne portent toutefois qu'un nom, des dates et les itinéraires de marche suivis par les soldats jusqu'à la bataille finale de Berlin, avant la capitulation du 8 mai 1945.
- Pister les auteurs -
L'Allemande Karin Felix, 68 ans, a fait de la recherche des auteurs de ces graffitis le travail de sa vie.
En pistant sans répit les hommes et les histoires derrière ces inscriptions, elle fait œuvre de réconciliation à un moment où les relations entre la Russie et les pays occidentaux sont plus que fraîches.
La sexagénaire a répertorié et traduit tous les messages en russe. Elle a rédigé un ouvrage à partir des histoires d'une trentaine de soldats de l'Armée rouge et espère désormais que son livre sera publié en allemand, en russe et en anglais.
"Il faut penser à ce que la guerre fait aux gens. C'étaient presque des enfants encore quand on les a envoyés au combat, à 15, 16, 17 ans", explique-t-elle à l'AFP en déambulant le long de la centaine de mètres de murs parsemés de graffitis.
"A travers mon travail, j'ai appris ce qu'avaient enduré ces soldats", poursuit-elle, "et quand ils sont arrivés ici, toute la rage et la joie (...) se sont manifestées dans ces graffitis".
Ces messages, longtemps dissimulés, ont été redécouverts en 1995 quand les travaux de rénovation du Reichstag, situé à quelques centaines de mètres de la Porte de Brandebourg, ont débuté. Norman Foster, en accord avec les autorités allemandes et l'ambassade de Russie, décida d'en restaurer autant que possible, tout en effaçant les plus virulents.
- Un signe de vigueur nationale -
Mme Felix n'est ni universitaire, ni diplomate. Elle parle couramment le russe, ayant grandi dans l'ex-RDA communiste. Et a rencontré plusieurs des anciens soldats et leurs descendants en proposant des visites dans le Reichstag où elle a travaillé durant 25 ans jusqu'en 2014.
L'un d'eux, Boris Zolotarevski, à ce jour décédé, n'était encore qu'un adolescent lorsqu'il a entamé sa longue marche vers l'Allemagne.
Il a témoigné de sa peur durant la terrible bataille finale, au cours de laquelle 2.000 soldats russes et des centaines d'allemands ont péri. Pour lui, laisser intactes ces traces du passé héritées des vainqueurs est un signe de vigueur nationale.
"Il m'a dit qu'il était heureux de la manière dont les graffitis avaient été conservés avec soin et que l'Allemagne semblait être le pays qui a le plus appris de la guerre", souligne Mme Felix.
- Coeur percé -
En poursuivant sa visite, elle montre un coeur percé par une flèche et deux noms inscrits à l'intérieur.
"Anatoli n'a jamais oublié sa Galina et aurait sans doute préféré l'embrasser sur le banc d'un parc plutôt que de participer à cette guerre stupide", poursuit-elle un sourire aux lèvres.
Même si l'importance stratégique du Reichstag était toute relative pour Hitler, c'est ce bâtiment que Staline visait tout particulièrement comme symbole du pouvoir nazi.
"Il est devenu le symbole de la victoire dans la guerre", analyse l'historien américain Michael Cullen, établi à Berlin. "Les Russes ne considéraient pas la chancellerie du Reich où se trouvait véritablement le pouvoir, où Hitler est resté jusqu'à son suicide le 30 avril 1945, comme un symbole majeur."
Ensuite, des réparations effectuées dans le contexte de la Guerre froide ont conduit à ce que les graffitis disparaissent derrière des plaques de plâtre, selon M. Cullen qui a écrit plusieurs ouvrages sur le Reichstag.
"Personne, pas même Foster, n'avait idée du nombre d'inscriptions toujours là", souligne Mme Felix.
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