Violences sexuelles lors des conflits : les victimes réclament justice, l'ONU patine

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Par Philippe RATER - Nations unies (Etats-Unis) (AFP)
Publié le 24 avril 2019 - 00:52
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L'avocate Amal Clooney avec les prix Nobel de la Paix 2018 Nadia Murad et Denis Mukwege, devant le Conseil de sécurité le 23 avril 2019.
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© Drew Angerer / GETTY/AFP
L'avocate Amal Clooney avec les prix Nobel de la Paix 2018 Nadia Murad et Denis Mukwege, devant le Conseil de sécurité le 23 avril 2019.
© Drew Angerer / GETTY/AFP

Les Nobel de la Paix 2018 congolais Denis Mukwege et yazidie Nadia Murad ont réclamé mardi à l'ONU justice pour les victimes de violences sexuelles dans les conflits, lors d'un débat paradoxal qui a vu l'adoption d'une résolution amputée de sa substance par les Etats-Unis et la Russie.

"Nous déplorons que des menaces de veto aient été agitées par des membres permanents de ce Conseil pour contester 25 ans d'acquis en faveur des droits des femmes dans des situations de conflits armés", a lancé l'ambassadeur français à l'ONU, François Delattre, après l'adoption du texte par le Conseil de sécurité par 13 voix et 2 abstentions (Russie et Chine).

En recul sur l'avortement et opposés à la Cour pénale internationale, les Etats-Unis ont voté pour la résolution mais après en avoir fait retirer lors des négociations ses mentions liées aux droits sexuels et reproductifs. La création d'un "mécanisme" facilitant la poursuite en justice des auteurs de violences sexuelles a aussi été rejetée par Washington, Moscou et Pékin.

"Nous sommes consternés par le fait qu'un Etat ait exigé le retrait de la référence à la santé sexuelle et reproductive pourtant agréée" dans de précédentes résolutions en 2009 et 2013, a précisé François Delattre en visant les Etats-Unis.

"Il est intolérable et incompréhensible que le Conseil de sécurité soit incapable de reconnaître que les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles en temps de conflit et qui n'ont évidemment pas choisi d'être enceintes, ont le droit d'avoir le choix d'interrompre leur grossesse", a-t-il insisté.

Dans son texte d'origine, l'Allemagne voulait créer un groupe de travail formel - idée abandonnée -, pousser à la création d'un organisme international pour aider à faire juger les coupables, et développer la protection des survivants, notamment les femmes violées tombant enceintes.

- Veto américain -

Les négociations ont été ardues, selon des diplomates. Outre la menace d'un veto américain, Russie et Chine ont été jusqu'à proposer un texte concurrent à celui de l'Allemagne sans aller jusqu'à demander un vote.

Moscou et Pékin ont expliqué vouloir combattre les violences sexuelles dans les conflits mais dénoncé "des interprétations laxistes" dans le texte allemand et des "manipulations" pour créer de nouvelles structures et "outrepasser" des mandats existants.

En définitive, cette triple opposition américano-russo-chinoise a conduit l'Allemagne à réduire à la "portion congrue" son texte, selon un diplomate. "Les Américains ont pris en otage une négociation à partir de leur idéologie, c'est scandaleux", abonde un autre diplomate.

Interrogé sur ce recul, l'ambassadeur allemand à l'ONU Christoph Heusgen a reconnu que son pays aurait préféré "un langage fort". Le choix était de renvoyer le texte à plus tard ou d'accepter les suppressions demandées. Denis Mukwege et Nadia Murad ont opté pour la mise au vote, s'est-il justifié.

Dans un communiqué, plusieurs pays nordiques (Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède) ont "profondément regretté" l'absence de référence dans le texte adopté aux droits sexuels des victimes "en raison d'une menace de veto" américain.

"Les aides pour les survivantes, comme l'accès à la contraception d'urgence ou l'interruption de grossesses en toute sécurité, doivent être renforcées", a souligné l'ambassadrice norvégienne Mona Juul.

Lors du débat, les deux Nobel de la Paix avaient pourtant mis clairement le Conseil de sécurité devant ses responsabilités, en réclamant des progrès substantiels en matière de justice et de protection des survivantes.

"Pas une seule personne n'a été traduite en justice pour esclavage sexuel", a souligné Nadia Murad en évoquant sa communauté yazidie détruite par le groupe jihadiste Etat islamique en Irak et Syrie. "Nous prononçons des discours à l'ONU mais aucune mesure concrète ne suit" en matière de justice et "rien n'a été fait", a-t-elle insisté.

"Qu'attend la communauté internationale pour rendre justice aux victimes", s'est aussi interrogé Denis Mukwege, en demandant l'établissement de tribunaux nationaux ou internationaux dédiés au jugement des coupables de violences sexuelles dans les conflits.

Avocate de victimes yazidies, Amal Clooney a aussi déploré la faiblesse de la réponse internationale. Elle a accusé les Etats-Unis et la Russie de s'opposer à la création d'une justice internationale contre ces crimes. Sierra Leone, Cambodge, Rwanda, Bosnie, Nuremberg... Une justice a été rendue pour ces dossiers, a-t-elle rappelé au Conseil de sécurité.

"Si nous n'agissons pas maintenant, il va être trop tard", a-t-elle aussi dit, en rappelant la détention actuelle de milliers de combattants du groupe Etat islamique, qui pourraient être relâchés et n'auraient alors qu'à se couper la barbe pour se fondre dans les populations en toute impunité, selon elle.

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