Le Douanier Rousseau ou la naïveté du rêve (DIAPORAMA)

Auteur(s)
Raphaëlle de Tappie
Publié le 21 mars 2016 - 20:33
Mis à jour le 22 mars 2016 - 14:52
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La charmeuse de serpents
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©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Le Douanier Rousseau est surtout connu pour ses jungles luxuriantes, symboles de paradis perdus.
©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
Artiste inclassable qui aura inspiré nombre de surréalistes, le Douanier Rousseau, surtout connu pour ses jungles luxuriantes et mystérieuses, débarque au Musée d'Orsay à partir de ce mardi.

Il aura été décrié et moqué de son vivant. Un siècle après sa mort, son travail est considéré comme crucial pour l'art naïf et surréaliste. Malgré tout, Henri Rousseau, dit le Douanier, fait encore partie des inclassables. Le musée d'Orsay lui rend aujourd'hui hommage à travers une exposition intitulée Le Douanier Rousseau, l'innocence archaïque (jusqu'au 17 juillet).

Henri Julien Rousseau est né en 1844 à Laval. Issu d'une famille modeste, il étudie le droit avant de partir vivre à Paris où il travaille dans un octroi, une position qui le vaut le surnom de "Douanier". Autodidacte, il commence à peindre à l'âge de 40 ans, inspiré par les récits de soldats qui ont participé à l'intervention française au Mexique. Décrit par ses premiers biographes comme un "peintre du dimanche", il cherche à apprendre les codes de la peinture officielle auprès de peintres comme Gérôme, Clément, qui fut son voisin, ou Bouguereau. En 1884, il obtient l'autorisation d'exercer des copies au Louvre. L'année suivante, il expose pour la première fois avec le "Groupe des Indépendants".

Au fil des ans, le Douanier Rousseau s'attache à garder la simplicité et la naïveté qui font la richesse de ses tableaux. Mais, si ces derniers montrent une technique élaborée, leur aspect enfantin vaudront au peintre de nombreuses moqueries. A son époque, "c'était un artiste qui détonnait complètement, peu connu, peu soutenu, décrié et moqué ", explique à FranceSoir Claire Bernardi, l'une des commissaires de l'exposition, qui a connu une première vie à Venise. "Il n'a jamais pu vivre de sa seule peinture. Il n'a jamais vendu à des sommes importantes. Il a été douanier, a donné des cours de musique et de peinture. Il est mort dans la pauvreté", ajoute-t-elle. Vers la fin de sa vie, son travail commence toutefois à attirer l'attention d'artistes comme Apollinaire, Picasso, Gauguin, Delaunay et Léger ainsi que de nombreux avant-gardistes italiens et allemands, parmi lesquels Kandinsky. "Après son enterrement, des artistes de l'avant-garde se sont mobilisés pour lui offrir une tombe plus descente à Laval avec une épitaphe d'Apollinaire", poursuit Claire Bernardi.

L'exposition s'ouvre sur le thème des "portraits-paysages", genre que le Douanier Rousseau se vente d'avoir inventé. Son Portrait de Monsieur X, représentant un homme coiffé d'une chéchia rouge, posant de trois quart sur un fond de plein air où se dressent des cheminées d'usine, rappelle pourtant le Portrait de l'homme en rouge de l'Italien Vittore Carpaccio (1460-1526),  également exposé. Précurseur ou pas, Le Portrait de Monsieur X a lui-même inspiré Fernand Léger qui rend un hommage explicite à Rousseau avec son Mécanicien (1918) que l'on peut également admirer.

Dans une autre salle intitulée L'innocence archaïque, on s'étonne de voir Rousseau malmener le jeu de la perspective dans des tableaux tels que La Carriole du Père Junier ou La Noce, où les personnages sont tous sagement alignés. La frontalité des caractères, qui rappelle d'ailleurs les œuvres des primitifs italiens, est en effet une caractéristique du travail de Rousseau. Preuve en est avec ses "femmes monuments", figures féminines aux traits massifs et sculpturaux qui se détachent nettement de leur arrière-plan, et ses enfants sérieux. Car pour Rousseau, le monde de l'enfance n'a rien d'insouciant, il est cruel. Présentés en des poses rigidement frontales, sur un arrière-plan de paysages immobiles, les modèles fixent le spectateur avec un regard d'adulte inquiétant ou mélancolique. Un sentiment d'inquiétude le prendra devant L'enfant à la poupée. Comme on peut le voir ici, la solitude dans laquelle l'enfant est plongé inspirera à Picasso son Maya à la poupée, qui représente un dialogue muet et mélancolique entre l'enfant et le jouet.

Mais si Rousseau est souvent moqué pour sa simplicité et sa naïveté, sa technique n'en demeure pas moins impressionnante. Ses nombreuses représentations de la nature en témoignent, affichant jusqu'à 22 nuances de verts différents. Car Rousseau est un rêveur qui puise son imagination dans la nature. "Rousseau est en face de la nature comme un enfant. Pour lui, chaque jour est un évènement nouveau dont il ignore les lois. Il y a à ses yeux derrière les phénomènes quelque chose d'invisible qui est pour ainsi dire l'essentiel", écrira Willhem Uhde, un an après la mort de l'artiste en 1910. Outre quelques natures mortes dans la veine de Cézanne comme on peut le voir dans l'exposition, il s'inspire de ses promenades en région parisienne,  de cartes postales ou de photographies. Ses paysages sont figés, peuplés de personnages échappant encore une fois à toute loi de la perspective, et d'objets symbolisant le progrès: aéroplanes, dirigeables, montgolfières…

Mais, comme le rappelle la dernière partie de l'exposition, on se souvient surtout de Rousseau pour ses jungles colorées, à la fois mystérieuses et rafraîchissantes. L'homme n'a pourtant jamais quitté Paris. Grâce à ses visites régulières au Jardin des plantes, au Muséum national d'histoire naturelle, aux pavillons de l'Exposition universelle de 1999 et aux récits du Mexique de ses camarades soldats, le peintre s'invente une nature primitive, généreuse et luxuriante, dans laquelle tout est permis. Dans le monde de Rousseau, les oranges poussent sur des acacias. "Il s’invente sa flore. A partir d’éléments réels, il fait comme des collages. Le rêve fonctionne comme ça: on prend des morceaux de réalité qu’on juxtapose", explique Eric Joly, directeur du Jardin des plantes de Paris, cité par FranceTV Info. Une nature imaginaire qui symbolise bien souvent le paradis perdu. Dans Eve, le personnage biblique saisit la pomme qui lui est offerte par un serpent sous un soleil couchant tandis que dans La Charmeuse de serpents, tableau commandé par la mère de Robert Delaunay au retour d'un voyage en Inde, une figure androgyne à la peau noire envoute au son de sa flute des serpents et la nature environnante.

Mais l'œuvre la plus emblématique de Rousseau reste Le Rêve, où une femme énigmatique apparaît nue, étendue sur un divan au milieu de la forêt, entourée d'animaux exotiques et d'un étrange "charmeur nu". Dernier de ses tableaux à avoir été présenté au Salon des Indépendants en 1910, l'année de sa mort, Le Rêve inspirera de nombreux surréalistes et laissera le spectateur pantois. Il ressortira de l'exposition la tête pleine de couleurs et de songes exotiques. 

> Exposition Le Douanier Rousseau, l'innocence archaïque au Musée d'Orsay, au 1 rue de la Légion d'Honneur, 75007 Paris. Métro: Solférino. Du 22 mars au 17 juillet. Plein tarif: 12 euros. 

 

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