"120 battements par minute" : Act Up Story (VIDÉO)
C'était le chouchou de la presse (surtout française) au dernier Festival de Cannes, et comme souvent le jury ne lui a pas accordé la Palme d'or mais la récompense numéro-2 du palmarès, le Grand Prix: 120 battements par minute, le film du réalisateur français Robin Campillo, sort ce mercredi 23 dans les salles.
C'est l'histoire du début de l'association Act Up-Paris, dans ce qu'on appelle parfois "les années sida". Act Up-Paris a été créée en 1989 sur le modèle d'Act Up New York créée deux ans plus tôt.
On est au début des années 90. Les membres d'Act Up font des réunions hebdomadaires pour décider des actions à entreprendre. Avec sifflets et pancartes ils interrompent avec fracas une conférence de l'Agence française de lutte contre le sida (AFLS, créée en 1989 et supprimée en 1994) pour protester contre le manque de campagnes de prévention de la part du gouvernement. Ils envahissent les locaux d'un laboratoire pharmaceutique qui refuse de donner les résultats de tests d'un nouveau médicament et aspergent ses bureaux de faux sang. Ils font des manifestations et des sit-in, participent à la Gay Pride, interviennent dans les lycées pour promouvoir l'usage du préservatif. "Silence=Mort", dit un de leurs slogans.
Nathan (Arnaud Valois), homosexuel séronégatif, vient d'adhérer à l'association. Il découvre ce monde militant, et les hommes et femmes qui se battent contre le manque de mobilisation. Plutôt timide et réservé, il rencontre parmi eux Sean (Nahuel Perez Biscayart), homosexuel séropositif, gai et expansif, qui se bat avec ferveur et réalisme. Entre eux naît une histoire d'amour…
"J'ai rejoint Act Up en avril 1992. C’est à dire 10 ans après le début de l’épidémie. En tant que gay, j’avais vécu les années 80 assez difficilement dans la peur de la maladie", explique le réalisateur Robin Campillo, 55 ans, dont le personnage de Nathan est un peu le double. "Dès ma première réunion, j'ai été stupéfait par l’espèce de jubilation du groupe, alors que nous vivions les années les plus dures de l'épidémie. La parole était libérée. Les gays qui pendant les années 80 avaient subi l'épidémie, devenaient, collectivement et publiquement, les acteurs de la lutte".
Homosexuels, sida, militants: dans le monde politiquement correct du cinéma français son film partait gagnant avant même d'être vu, et a comme prévu été porté aux nues à Cannes. Il se partage en trois parties, d'intérêt inégal, tout au long de 2h22 plutôt longues: les nombreuses réunions hebdomadaires, interminables, où les militants discutent entre eux et, selon une règle interne ridicule, claquent des doigts pour remplacer les applaudissements, interdits; les actions coup de poing ponctuelles, bonne illustration de ce qu'était la lutte des militants contre le sida à l'époque, "une époque sans téléphone mobile, sans Internet, sans réseaux sociaux. Une époque avec des fax et des minitels. Une époque où les associations n'avaient pas, comme aujourd'hui, la possibilité de diffuser massivement leurs propres images, et où la télévision conservait une place centrale –ce qui engageait largement la façon dont Act Up mettait en scène ses actions", explique Robin Campillo; et enfin l'histoire d'amour entre Nathan et Sean, plus émouvante –surtout vers la fin–, plus sobre, plus simple, qui rehausse un peu la banalité du film. C'est ce dernier tiers qui a fait chavirer les critiques à Cannes, en grande partie grâce au charisme des deux acteurs, peu connus mais formidables, Nahuel Perez Biscayart et Arnaud Valois.
Au-delà de cette histoire personnelle dans une saga plus générale Act Up Story, l'une des réussites du réalisateur est d'avoir su montrer l'aspect collectif de la lutte contre la maladie, alors que beaucoup de films sur le sida se sont focalisés depuis une trentaine d'années sur des histoires individuelles (de Philadelphia à Dallas Buyers Club en passant par Les nuits fauves, Jeanne et le garçon formidable et bien d'autres).
C'est le troisième film de Robin Campillo, scénariste et monteur depuis une vingtaine d'années, après Les revenants en 2004, film fantastique dans lequel les morts reviennent voir les vivants (et qui a inspiré en 2012 et 2015 la série de Canal+ du même nom), et Eastern Boys en 2014, histoire d'un quinquagénaire qui entame à Paris une relation avec un jeune homosexuel ukrainien sous la coupe d'un gang dirigé par un proxénète russe.
Pour beaucoup, Les revenants était d'ailleurs une allégorie du sida, les morts revenant hanter les vivants et les questionner. "Je pense que Les revenants est né du fait que je n'arrivais pas à aborder frontalement le sida dans un film", a expliqué Robin Campillo au magazine des cinémas MK2 Trois couleurs.
Malgré ses longueurs et l'aspect rébarbatif des débats sans fin des militants, 120 battements par minute comporte de beaux moments de mise en scène, notamment quand le réalisateur évoque l'aspect festif de la communauté homosexuelle de l'époque. Ainsi, dans plusieurs séquences, on voit les acteurs qui dansent dans une boîte de nuit, qu'un changement de mise au point de la caméra transforme en grains de poussière lumineux, qui eux-mêmes deviennent des cellules sanguines en gros plan, contaminées (ou pas) par le virus.
Et c'est cet aspect festif –la vie continue, il faut la vivre– qui a inspiré le titre: celui-ci ne fait pas référence à un cœur qui bat trop vite, mais au rythme de 120 battements par minute qui était le rythme standardisé de la musique house de l'époque, illustré par la chanson Smalltown Boy de Bronski Beat (1984), l'une des plus célèbres chansons de défense de l'homosexualité.
(Voir ci-dessous la bande-annonce du film):
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