"J'accuse" : l'Affaire Dreyfus vue par Roman Polanski (vidéo)
CRITIQUE – Récompensé du Grand Prix du Jury à la dernière Mostra de Venise, le dernier film de Roman Polanski, "J'accuse", sort ce mercredi. Il raconte la fin de l'Affaire Dreyfus, vue du point de vue de celui qui se battit pour prouver l'innocence de Dreyfus: le colonel Picquart, interprété par Jean Dujardin.
SORTIE CINÉ – Erreur judiciaire et déni de justice sur fond d'antisémitisme: l'Affaire Dreyfus a secoué la France pendant 12 ans au tournant des XIXe et XXe siècles (1894-1906). Dans son dernier film J'accuse, qui sort ce mercredi 13 novembre sur les écrans, Roman Polanski livre sa version de ce scandale en en racontant la fin: comment un haut gradé militaire a œuvré pour faire éclater la vérité et sauver l'honneur de l'armée.
Ce haut gradé est le colonel Georges Picquart (Jean Dujardin), présent parmi d'autres dans la cour de l'École militaire le 5 janvier 1895 quand le capitaine Alfred Dreyfus (Louis Garrel), un de ses anciens élèves à l'École supérieure de guerre, est publiquement dégradé –condamnation lue à haute voix, boutons et parements d'uniforme arrachés, sabre brisé en deux. Juif d'origine alsacienne, polytechnicien, Dreyfus a été condamné quelque jour plus tôt pour trahison, accusé d'avoir livré aux Allemands des documents secrets. Il est envoyé à perpétuité au bagne de l'île du Diable, en Guyane.
Mais quand, six mois plus tard, le colonel Picquart est nommé à la tête du contre-espionnage, il découvre peu à peu que les preuves contre Dreyfus ont été fabriquées. Il en informe sa hiérarchie, qui ne veut rien entendre et lui ordonne de se taire.
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"Je ne veux pas d'une autre Affaire Dreyfus", lui dit le général Raoul de Boisdeffre, chef d'état-major de l'armée. "Ce n'est pas une autre Affaire Dreyfus, mon général. C'est la même", lui répond Picquart. Qui, au péril de sa carrière puis de sa vie, va désormais n'avoir de cesse d'identifier les vrais coupables, d'innocenter Dreyfus et de redorer le blason de l'armée française…
Le film tire son titre de l'une des manchettes de Une les plus célèbres de l'histoire de la presse française, celle du journal L'Aurore le 13 janvier 1898: "J'accuse!..., Lettre au président de la République, Par Émile Zola". Le grand écrivain sera l'un des principaux défenseurs publics de Dreyfus, avec Anatole France, Georges Clemenceau, Jean Jaurès ou Léon Blum notamment.
Ce 22e long-métrage de Roman Polanski, 86 ans, a reçu en septembre le Grand Prix du Jury de la Mostra de Venise, deuxième récompense du palmarès derrière le Lion d'or décerné au film Joker. Le réalisateur avait ce projet depuis longtemps mais a tourné plusieurs films depuis (dont le dernier, D'après une histoire vraie, est sorti il y a deux ans), le temps de trouver le bon angle pour raconter cette Affaire Dreyfus déjà maintes fois évoquée en littérature, au cinéma ou à la télévision: "Toute l’affaire, si riche en protagonistes et en coups de théâtre, se déroulait à Paris, tandis que notre personnage principal était coincé sur l’île du Diable. Tout ce qu’on pouvait raconter, était sa souffrance. (…) Il valait mieux laisser Dreyfus sur son rocher, et tout raconter du point de vue de l’un des personnages principaux de l’affaire, le colonel Picquart!"
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Thriller historique, le film est méticuleux, documenté, à la mise en scène impeccable d'efficacité, aux images souvent sombres, aux décors souvent gris, à l'atmosphère triste ou pesante, parfois longuet dans sa deuxième partie avec des scènes de procès mais d'une sobriété et d'une force tranquilles.
Il bénéficie d'une belle distribution, essentiellement masculine bien sûr, dans un festival de moustaches et de barbes: outre Emmanuelle Seigner sans barbe ni moustache (la compagne de Roman Polanski dans la vie, qui ici joue la maîtresse du colonel Picquart), on voit défiler Melvil Poupaud, Mathieu Amalric, Denis Podalydès, Vincent Perez, Didier Sandre, Michel Vuillermoz. Mais ce sont bien sûr les deux acteurs principaux qui attirent l'attention: Louis Garrel un peu raide et conventionnel en Dreyfus, et surtout Jean Dujardin, plus en vue habituellement dans des comédies (comme Le Retour du héros en 2018) mais ici étonnant et convaincant dans ce rôle grave. "Picquart est un personnage passionnant, complexe. Ce n’est pas un antisémite combattant. Il n’aime pas les juifs, mais cela relève plutôt d’une tradition que d’une conviction", explique le réalisateur.
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"Je suis innocent!", hurle Dreyfus en début de film. Bien sûr on ne peut s'empêcher de mettre ce nouveau film de Polanski dans le contexte de sa vie privée. Depuis le début du mouvement #MeToo, chacun de ses films, comme ceux de Woody Allen, déclenche des polémiques, en raison des accusations dont le cinéaste fait toujours l'objet: il avait plaidé coupable en 1977 de détournement de mineure pour avoir eu des relations sexuelles avec Samantha Geimer, alors âgée de 13 ans, mais est toujours recherché par la justice des États-Unis –où il n'a jamais remis les pieds depuis– pour viol dans cette affaire. Depuis, il a été accusé de viol par plusieurs femmes, dont la dernière en date récemment Valentine Monnier, ancienne actrice et mannequin, qui affirme avoir été violée par le cinéaste lors de vacances en Suisse en 1975 alors qu'elle avait 18 ans.
Pour autant, ce J'accuse n'est pas une catharsis pour lui: "Mon travail n’est pas une thérapie", dit-il dans le dossier de presse du film. Mais, ajoute-t-il, "en revanche je dois dire que je connais bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’oeuvre dans ce film et que cela m’a évidemment inspiré".
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