"Les frères Sisters" : le beau western de Jacques Audiard (critique garantie sans spoiler)
SORTIE CINÉ – Jacques Audiard fait son Sergio Leone. Le réalisateur français se lance dans le western avec son dernier film, Les frères Sisters, qui sort ce mercredi 19 septembre sur les écrans. Le résultat est brillant, et a valu à Audiard d'être sacré meilleur réalisateur à la récente Mostra de Venise.
Il y raconte l'histoire de deux frères, Eli (John C. Reilly) et Charlie (Joaquin Phoenix), des tueurs à gages redoutables qui sévissent dans l'Oregon de 1851. Ils sont chargés par le Commodore, le puissant et mystérieux homme qui les a engagés, de retrouver un certain Warm (Riz Ahmed), un jeune aventurier scientifique qui a trouvé une formule chimique capable de trouver à coup sûr de l'or dans les rivières du grand Ouest.
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Il s'agit, une fois qu'ils auront mis la main sur lui, de le torturer pour lui extirper sa formule chimique, puis de le tuer. Comme il ne fait pas les choses à moitié, le Commodore a aussi mis un détective, Morris (Jake Gyllenhaal), aux trousses du chercheur d'or, avec mission de prévenir les frères Sisters s'il le trouve avant eux.
S'engage alors, pendant de nombreux jours, de l'Oregon à la Californie, une double chasse à l'homme qui sera riche en rebondissements…
Palme d'or à Cannes en 2015 pour son précédent film Dheepan, Jacques Audiard n'avait a priori pas de désir particulier de faire un western. "L’idée du projet ne vient pas de moi, mais de John C. Reilly et d’Alison Dickey, son épouse productrice", explique-t-il. Le film est adapté d'un livre de l'écrivain canadien Patrick DeWitt paru en 2011.
Audiard en a fait un film très personnel, qu'il qualifie de "western apaisé". Parallèlement à la double chasse à l'homme et aux séquences qu'on trouve dans les westerns traditionnels (fusillades, guets-apens, chevauchées, bivouacs, diligences, saloons) le long de ce voyage dans les grands espaces prétendument américains (le film a été tourné en Espagne et en Roumanie), le réalisateur a développé la psychologie des personnages, pour en faire le principal intérêt du film.
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Warm le chercheur d'or est un idéaliste qui rêve certes de faire fortune mais surtout de bâtir une nouvelle communauté moins violente et moins cupide: "Ce monde est une horreur", dit-il. Morris le détective, finement interprété par Jake Gyllenhaal, est un homme cultivé et tourmenté, qui lit des livres et écrit son journal intime que l'on entend en voix off et dans lequel il note: "J'ai 35 ans et ma vie est comme un barillet vide".
Mais surtout, ce sont les deux frères Sisters qui attirent l'attention. Le cadet, Charlie, porté sur la bouteille, un peu obtus, violent et auto-proclamé chef du duo, est très différent de son aîné Eli, plus raisonnable et plus humain, qui semble moins apprécier son rôle de tueur. Tout au long de leur longue chevauchée, les deux frères dialoguent, parlent de leur passé, de la vie, de l'amour, de questions existentielles, de leur père "complètement cinglé" dont le sang coule dans leurs veines… "Deux frères parlent, parlent et finissent par dire des choses qu’ils n’avaient jamais dites. Normalement ça devrait se passer dans un salon, là ça se passe à cheval. Les frères Sisters sont d’impénitents bavards mais aussi des tueurs impitoyables, et c’est le mélange inattendu des deux qui faisait le charme du roman", explique Jacques Audiard.
Dans ce western où l'action et le suspense ne font pas défaut mais où dominent les dialogues, le réalisateur a ainsi glissé de nombreuses scènes intimes, comme celles où les frères découvrent l'existence des brosses à dents ou des toilettes modernes dans un hôtel de San Francisco, ou celle où Eli avale pendant son sommeil une araignée qui va le rendre malade plusieurs jours.
C'est un film sur la fraternité, dans un monde sauvage et hostile dans lequel il faut être dur et impitoyable pour survivre. "Certes il y a de la violence, mais il est surtout question d'amour et d'affection dans mon film, ou plus exactement de fraternité, qui est une forme d'amour", déclarait à Venise Jacques Audiard, qui a dédié le film à son frère aîné, mort en 1975 à l'âge de 25 ans.
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