"L'Oeil blessé" : l'iconoclasme dans la politique française par Emmanuel Fureix
Spécialiste du XIXe siècle Emmanuel Fureix publie un livre sur la destruction des symboles politiques après la Révolution française. L'historien et enseignant Sylvain Boulouque revient pour France-Soir sur cet ouvrage "qui permet de mettre en perspective des événements contemporains".
La destruction de symboles est un élément récurrent de la culture politique et de la culture populaire depuis la Révolution française. L’histoire permet de mettre en perspective quelques événements contemporains, au-delà des indignations moralisatrices. L’ouvrage d’Emmanuel Fureix, L’œil blessé, Politiques de l’iconoclasme après la révolution française (ed. Champs Vallon), vient le souligner fort à propos.
Si l’iconoclasme existait dans l’Antiquité, notamment dans les querelles théologiques qui ont accompagné la naissance du christianisme. Il s’est redéveloppé à la renaissance avec la naissance du protestantisme, la question de la destruction des représentations s’est transformée à partir de 1789, les révoltés s’en prenant aux objets et aux monuments pour ce qu’ils représentaient et non plus au non d’un sens religieux. L’iconoclasme moderne est né avec la révolution française et s’est perpétué toute au long du XIXe siècle comme le montre brillamment Emmanuel Fureix.
L’auteur organise son propos autour deux grands temps chronologiques et de ce qui peut constituer un épilogue. L’iconoclasme né de la Révolution perdure pendant la Restauration et ce jusqu’en 1830. Il devient une sorte de prolongation métaphorique des affrontements de la Révolution. Le vandalisme connaît après la défaite de Waterloo et la chute du Premier Empire une double fonction. Pour la Restauration, il s’agit d’arracher le cœur impur de la nation, les nouvelles autorités suppriment la majeure partie des emblèmes révolutionnaires et napoléoniens, comme en témoigne des extraits des Misérables de Victor Hugo que l’auteur donne à lire. Mais très vite, cette pratique est retournée et retrouve son sens révolutionnaire. Ce sont les républicains qui métaphoriquement s’en prennent aux symboles de la monarchie détruisant des images des trônes, rayant les fleurs de lys, mettant le feu aux emblèmes de ce régime. Pendant toutes les années 1815–1830, cet iconoclasme devient une manière d’annoncer son soutien à la République. Il baisse d’intensité pour quasiment disparaître entre la monarchie de Juillet et la proclamation de la République.
La pratique baisse d’intensité à partir de 1830, même si lors de la Révolution de 1848 qui amène la proclamation de la IIe République, le trône de Louis-Philippe est par exemple brûlé devant la Colonne de Juillet, construite sur la place de la Bastille. Ce vandalisme devient alors une nouvelle forme figurée de la destruction du pouvoir royal. Mais, les formes du politique semblent avoir partiellement changé et cet acte demeure isolé.
Enfin, l’iconoclasme revient de manière symbolique mais avec force en 1871. Les hôtels particuliers de plusieurs responsables politiques sont ainsi détruits. L’apothéose est la destruction de la colonne Vendôme, symbole des deux empereurs honnis par les républicains radicaux et les communeux. Mais, les révolutionnaires n’étaient pas loin de rechercher une purification par le feu tout en voulant se réapproprier l’espace public. Cependant, au terme de cette démonstration, Emmanuel Fureix note à juste titre que les aspects symboliques et carnavalesques de l’iconoclasme ont été oubliés en raison de ces gestes forts, comme une manifestation de la souveraineté populaire, les symboles ont parfois plus de poids que les réalités. Autant d’éléments de réflexion pour comprendre l’histoire d’hier à aujourd’hui et sa charge affective.
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