Décembre 1946, une star montante nommée Sinatra (VIDEO)
En décembre 1946, "France-Soir" développe la presse "célébrités " (people en français d'aujourd'hui) en consacrant une série de reportages aux vedettes d'Hollywood. Parmi elles, le quotidien consacre sa première page à un jeune chanteur de 30 ans, idole des jeunes Américaines et promis à un bel avenir: Frank Sinatra.
Bien avant l'émission de TF1, quand on disait "The Voice", il y a un demi-siècle, on pensait Frank Sinatra. C'est le surnom qu'on avait donné au crooner américain dès ses débuts.
Chanteur dans des orchestres depuis 1937 et souvent diffusé à la radio, Frank Sinatra vole de ses propres ailes en 1939 et devient une idole –des jeunes et des femmes, notamment. En 1941 il débute une série de comédies musicales à Hollywood et, fin 1942, c'est (déjà) la consécration avec un engagement pour huit semaines au cinéma Paramount à New York. Il devient le chanteur le plus populaire du pays et le mieux payé, supplantant son idole et seul rival, Bing Crosby.
Quatre ans plus tard, "The Voice" est toujours au top. France-Soir lui consacre une partie de sa Une, le 3 décembre 1946, pour le premier d'une série de reportages sur "les nouvelles vedettes d'Hollywood". "40 millions de fillettes se meurent d'amour pour Frank Sinatra", titre le journal de Pierre Lazareff, premier à développer la presse people dans l'immédiat après-guerre.
Les fillettes en question "empêchent leur idole de divorcer car le sinatrisme est un cas d'hystérie collective qui décourage les psychiatres", ajoute France-Soir, un rien pompeux. Sinatra, à l'époque, est âgé de 30 ans et marié à Nancy Barbato, une cousine de petits chefs de la Mafia.
L'envoyé spécial de France-Soir, Frank-J. Boyd, raconte son après-midi à Times Square, à New York, "en état de siège", avant une représentation de Sinatra: "200 policiers tentaient, s'arcboutant, d'endiguer une marée humaine de fillettes en cotillons courts et en chaussettes qui, poussant et hurlant, avaient fini par rompre les barrages et se précipitaient maintenant vers le cinéma Paramount, au coin ouest de la 43e rue".
Queue d'un kilomètre
C'est l'émeute, ou presque: "Les frêles assaillantes renversaient et piétinaient allègrement les représentants de l'ordre, taillés comme des armoires à glace, et ne se laissaient guère émouvoir par celles de leurs compagnes que les ''cops'' entraînaient dans leur chute". Et le journaliste de France-Soir de raconter la suite: "C'est alors qu'on fit donner la garde à cheval... En un instant, la chaussée fut déblayée, mais les manifestantes –comme sur un ordre secret– se reformèrent aussitôt en une ''queue'' impressionnante qui serpenta sur près d'un kilomètre, tandis qu'on emmenait les blessées dans la pharmacies les plus proches".
Mais ce qu'il verra peu après, à l'intérieur du cinéma Paramount où se produit Frank Sinatra, est encore plus épique: "Le jeune homme chantait d'une voix douce et assez prenante, un peu mieux que Tino Rossi, mais dans le même genre".
Puis les jeunes spectatrices, raconte-t-il, "braillèrent à s'époumoner, agitèrent les bras, se levant, s'asseyant. Du haut des galeries certaines lancèrent des chapeaux, des sacs à main. On entendit des sanglots à la mezzanine, des sifflets et des applaudissements au balcon. Dans les premiers rangs de l'orchestre, deux ou trois jeunes spectatrices se trouvèrent mal, tombèrent sur le sol".
Coups de poing er coups de pied
"Des placeurs se précipitèrent pour les emmener, mais déjà, à tous les autres rangs, d'autres fillettes s'étaient levées pour occuper les fauteuils abandonnés de force par leurs camarades moins résistantes et se battaient à coups de poing, à coups de pied, pour pouvoirs s'asseoir plus près de la rampe", ajoute le journaliste de France-Soir.
Et de préciser, dans son article: "Je vous jure que je n'invente rien". Frankiiiiiiiie!
(Voir ci-dessous la vidéo de Sinatra déclenchant des émeutes au cinéma Paramount de New York):
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