Les policiers français peu formés à la gestion des chiens agressifs

Auteur:
 
Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction.
Publié le 31 janvier 2019 - 18:22
Mis à jour le 01 février 2019 - 18:41
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Un Pitbull.
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En France, les policiers sont peu ou pas formés à la gestion des chiens agressifs.
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En France, les policiers sont peu ou pas formés à la gestion des chiens agressifs au point qu'ils utilisent quasi-exclusivement leur armement létal pour les neutraliser. Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et règlementation de la protection animale, revient pour France-Soir sur les pistes pour lutter contre cette carence.

Voici un sujet dont peu d’amis des animaux ou d’associations de protection animale se sont emparés jusqu’à présent: celui de la gestion des chiens agressifs par les forces de l’ordre. Et pourtant, il mériterait sans conteste que nous y attachions un véritable intérêt et mettions en œuvre des formations et des procédures adaptées permettant de gérer au mieux la confrontation, hélas souvent mortelle pour le chien, de telles rencontres et ce, pour la sécurité du public, des animaux concernés et des intervenants eux-mêmes.

La presse se fait de temps à autres l’écho de faits divers dont sans doute les conséquences auraient pu être évitées ou auraient été moins dramatiques si les intervenants avaient été formés de façon adéquate et si des procédures particulières avaient été mises en place par les polices (police nationale et polices municipales) et la gendarmerie.

Voici trois exemples récents survenus en France pour illustrer notre propos:

- Le 15 avril 2017 à Toulouse un labrador appartenant à une SDF a été abattu après avoir mordu des passants et les policiers qui sont intervenus. Les intervenants n’ont pas été en mesure de maîtriser l’animal de façon non létale. Par "sécurité", nous dit-on, les policiers ont décidé d’abattre le chien.

- Le 17 octobre 2018 à L'Isle-d'Abeau, des policiers municipaux tentent de maitriser un chien errant en l'encerclant. Il s’agit d’un chien de race Amstaff dénommé Arkane. L’un des policiers se sentant en danger après avoir été acculé dans un fossé par l’animal s’empare de son arme et tire. Arkane grièvement blessé a fait l’objet de deux autres tirs destinés à l’achever sans que pour autant il ne décède. Le chien a finalement été transporté encore en vie chez un vétérinaire qui a procédé à son euthanasie.

- Le 17 janvier 2019 à Maurepas un individu qui voulait se soustraire à un contrôle par les forces de l’ordre a lâché son chien de race Malinois en ordonnant à ce dernier d’attaquer. L’un des intervenants ayant vu son collègue se faire mordre s’est aussitôt emparé de son arme et a blessé le chien qui a été emmené chez un vétérinaire.

Trois situations différentes dites "à risque" pour les agents et exposant les chiens (et éventuellement le public) à un danger potentiellement mortel. Que nous disent ces affaires? Une chose importante: les forces de l’ordre ne sont pas formées pour gérer de telle situations. Il en résulte des blessures pour les intervenants et souvent une fin tragique pour les animaux concernés.

Les intervenants n’ont-ils pas d’autres options que de blesser grièvement ou de tuer un animal agressif ou dangereux?

Ne faut-il pas gérer différemment le cas d’un chien d’attaque lâché brusquement sur des agents comme une arme par destination et celui d’un chien agressif pour une raison qui peut s’expliquer par la peur, une blessure, le fait d’être encerclé par les forces de l’ordre ou acculé dans un endroit dont il ne voit aucune issue?

Un animal en situation de détresse peut toujours se révéler potentiellement dangereux; cela est encore davantage vrai lorsqu’il s’agit de chiens de catégories 1 ou 2 (chiens de défense et d’attaque).

L’animal "être vivant doué de sensibilité" ainsi que le reconnait notre Code civil, ne mérite-t-il pas que l’on réfléchisse à la mise en place de formations adaptées et des solutions alternatives 

A ce jour, les forces de l’ordre ne sont aucunement formées pour la gestion de crise avec un animal; a fortiori aucune procédure n’a été mise en place.

Les agents sont par conséquent livrés à eux-mêmes pour gérer une situation potentiellement dangereuse à laquelle ils ne sont pas formés et ne savent donc pas réagir de façon adaptée.

De même, les agents ne sont pas formés en psychologie canine pour interpréter les postures de l’animal, évaluer ainsi le danger qu’il représente le cas échéant et user prioritairement un moyen non-létal pour le maîtriser.

Manifestement, les autorités françaises n’ont pas encore jugé opportun (ou ne mesurent pas les risques pour les agents, le public et les animaux) d’envisager une formation pour les agents et de mettre en place une procédure particulière.

Ce sont ces derniers qui en seraient les premiers bénéficiaires puisqu’une formation favoriserait une meilleure sécurité.

Lorsqu’une situation de crise se présente, elle doit être gérée grâce à des réflexes acquis lors de formations et avec des moyens adaptés pour la maîtriser au mieux.

Les agents confrontés à une situation potentiellement dangereuse ne peuvent perdre du temps et recourir à la fourrière ou aux pompiers qui, eux, sont formés à la capture d’animaux (y compris de serpents!).

La plupart du temps, les forces de l’ordre jugent légitime l’usage de leur arme car, de bonne foi, elles ne voyaient pas d’autres solutions pour maîtriser un chien agressif.

Si la France n’a pas encore réfléchi en profondeur au sujet, la situation ailleurs a déjà fait l’objet de mesures telles que des formations et des procédures intéressantes méritant d’être exposées succinctement ici.

Aux Etats-Unis les rencontres "à risque" entre forces de l’ordre et chiens entraînent chaque année la mort d’environ 10.000 chiens (soit entre 25 et 30 chaque jour selon les estimations du ministère de la justice !) et donnent parfois l’occasion aux tribunaux de condamner les municipalités à des dommages-intérêts très élevés en faveur des propriétaires des chiens concernés.

Ainsi, en mai 2017, la famille Reeves qui avait assigné le comté d’Anne Arundel a obtenu du tribunal un montant stratosphérique de 1,26 million de dollars pour la mort de leur chien! Il s’agit d’un record. Ce montant fut réduit en appel à 207.000 dollars plafond d’indemnisation selon les textes en vigueur dans le Maryland dans des cas de responsabilité d’une municipalité.

Le montant élevé alloué aux propriétaires, dès lors que la faute ou la négligence des forces de l’ordre est avérée, est principalement constitué des dommages intérêts en réparation du préjudice moral des propriétaires, l’animal, quant à lui, étant estimé à sa seule valeur économique.

Les rencontres à risque augmentent de façon exponentielle chaque année compte tenu du nombre de chiens détenus aux Etats-Unis -90 millions- un nombre en constante augmentation.

Cette tendance des tribunaux américains à prononcer des condamnations élevées remonte à 2005 lorsque la 9ème cour d’appel fédérale du 9ème circuit à San Francisco a alloué un montant de  797.500 dollars reconnaissant la faute commise par les agents de police de la ville de San José dans un cas de saisie à domicile jugée par la cour "inconstitutionnelle".

D’autres condamnations élevées (dans une fourchette entre 100.000 et 900.000 dollars) ont été prononcées au cours des dernières années.

Le risque financier élevé pour les communes, conséquence de que les animaux sont de plus en plus considérés comme des membres de la famille a conduit les autorités à lancer des formations spécifiques et à mettre en place des procédures adaptées.

Plutôt que de gaspiller l’argent public dans des frais de défense et des condamnations élevées, il a été jugé plus approprié et intelligent d’utiliser cet argent à former les agents.

La formation est considérée aux Etats-Unis comme le meilleur moyen de réduire le nombre de chiens tués par les forces de l’ordre. La plupart du temps les réglementations mises en place par les municipalités l’ont été après qu’une affaire ait défrayé la chronique et suscité une grande émotion.

L’ALDF ("Animal Legal Defense Fund"), association de défense juridique des animaux a consacré une partie de ses actions au sujet et propose notamment les mesures suivantes:

- Utilisation de moyens alternatifs tels que bâtons, tasers, extincteurs à poudre sèche ou spray à base de poivre;

- Mise en place de formations adaptées des personnels afin qu’ils maîtrisent leur propre peur et ripostent de façon proportionnée.

- Formation des agents (lorsque cela est nécessaire) à mettre fin à la vie de l’animal de la façon la plus "humaine" possible en réduisant au maximum la douleur.

- Formation à la psychologie canine.

Par ailleurs, la National Sheriff Association a mis en place un programme de formation avec simulateur qui doit conduire à une amélioration sensible de la gestion de crise.

En Espagne, le GEVHA (Observatoire de la violence envers les animaux) qui est un réseau multidisciplinaire de professionnels et d'institutions de protection du bien-être animal et humain et qui compte parmi ses membres d’éminents spécialistes en criminologie, des policiers, des vétérinaires et des juristes a rédigé en 2016 à l’intention des forces de l’ordre un manuel d’instruction baptisé Manual Básico de Intervención Policial en Incidentes con Perros.

Ces deux exemples (Etats-Unis et Espagne) devraient conduire les autorités françaises ainsi que les associations à s’emparer de la question afin d’y apporter des réponses appropriées permettant d’éviter des drames et surtout d’assurer la sécurité des agents, du public et en préservant, autant que possible, la vie des animaux.

Les mesures principales à mettre en place auprès des forces de l’ordre devraient être les suivantes :

- Leur apprendre le langage corporel de l’animal et les signes envoyés par l’animal afin de mesurer le niveau de risque et la potentialité du danger.

- Leur apprendre à gérer le contact (rester calme, garder une distance suffisante, ne pas courir, parler doucement…).

- Privilégier des méthodes non létales (spray au poivre, taser, bâtons, extincteur poudre sèche…).

- Réserver l’usage d’une arme létale que lorsque les méthodes alternatives ont échouées ou ne peuvent, eu égard à la situation, être raisonnablement envisagées.

En conclusion, même si les cas de situations de crise avec chiens agressifs sont bien moins fréquents en France qu’aux Etats-Unis, il n’en demeure pas moins vrai que cette question mérite enfin d’être abordée et traitée. Il en va de la sécurité des intervenants, du public et des animaux. Nos autorités ne devraient pas y rester insensibles.

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