Clément Méric, Nordahl Lelandais : pourquoi tant d'attente avant un procès

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 11 septembre 2018 - 17:05
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La justice allemande a infligé lundi une peine de 8 ans et demi de prison ferme à un migrant pour le meurtre d'une adolescente, dont s'est saisie l'extrême droite pour faire campagne contre les étrang
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© MIGUEL MEDINA / AFP/Archives
Le juge d'instruction a une large marge de manœuvre pour enquêter.
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Cela fait plus d'un an que Nordahl Lelandais est en détention provisoire en attendant un probable procès pour le meurtre de la petite Maëlys. Il a fallu cinq ans pour que celui du meurtre de Clément Méric débute. Le juge d'instruction a en effet un large pouvoir, limité uniquement par les droits du mis en examen, explique pour France-Soir Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon.

Cinq ans après la mort de Clément Méric lors d'une bagarre en plein Paris, trois personnes sont jugées depuis le 4 septembre devant la cour d'assises de Paris pour coups mortels.

Le même jour, Nordal Lelandais entamait sa deuxième année de détention provisoire. Et la date de son procès semble encore loin d'être établie.

Que s’est-il passé depuis l'interpellation du meurtrier présumé de Maëlys ou pendant les cinq années qui se sont écoulées depuis la mort de Clément Méric jusqu’à l’ouverture du procès d’assises? C’était le temps de l’instruction du dossier préparatoire au procès.

C’est l’occasion de mieux comprendre le mécanisme judiciaire de l’instruction pénale.

L’instruction pénale ou "information judiciaire", est la phase durant laquelle le juge d'instruction est saisi afin d'enquêter sur des faits susceptibles d'être constitutifs d'un crime ou d'un délit, et au cours de laquelle il rassemble des éléments de preuve, à charge et à décharge.

L'instruction est particulièrement importante en matière pénale, bien qu'elle ne soit obligatoire que pour les crimes, facultative pour les délits, et très exceptionnelle pour les contraventions (article 79 du code de procédure pénal).

Voir: Mort de Clément Méric - après un faux départ, début du procès de trois skinheads

En cas d'infraction, c’est le parquet qui peut demander la saisine d’un juge d’instruction, la partie civile, une fois sa plainte classée sans suite, pouvant à son tour déclencher l’ouverture d’une information judiciaire comme en dispose l’article 85 du code de procédure civile.

> Combien de temps peut s’écouler avant un procès?

L’article 116 alinéa 8 du code de procédure pénale fait référence à un délai de 18 mois en matière criminelle, et de douze mois en matière correctionnelle: "S’il estime que le délai prévisible d’achèvement de l’information est inférieur à un an en matière correctionnelle ou à dix-huit mois en matière criminelle, le juge d’instruction donne connaissance de ce délai prévisible à la personne et l’avise qu’à l’expiration dudit délai, elle pourra demander la clôture de la procédure (…). Dans le cas contraire, il indique à la personne qu’elle pourra demander (…) la clôture de la procédure à l’expiration d’un délai d’un an en matière correctionnelle ou de dix-huit mois en matière criminelle".

Ce délai de 12 ou 18 mois n’est donc pas en soi impératif, mais permet le cas échéant de demander la clôture de la procédure.

> Les raisons d’une longue instruction?

En pratique, la durée de l’instruction dépend à la fois du nombre de victimes et de mis en examen à interroger, de l’importance des investigations à accomplir (commissions rogatoires, expertises), des recours, des demandes d’actes sollicités par les parties.

Le placement en détention des mis en examen a cependant un impact très direct sur la durée de la procédure. Dès lors qu’il y a des détenus, présumés innocents, il est fondamental que leur privation de liberté soit encadrée strictement par des délais.

Voir: Maëlys - détention provisoire prolongée pour Nordahl Lelandais

Dans cette hypothèse le juge d’instruction sera contraint par des délais maximum de détention provisoire (article 145–2 du code de procédure pénale). A l’expiration de ces délais le détenu serait remis en liberté, d’où la nécessité de pouvoir instruire dans les temps prévus.

En matière criminelle (lorsque la peine encourue hors récidive est supérieure à dix ans), le mandat de dépôt criminel est fixé à un an, avec renouvellement de six mois.

Ce délai passe à deux ans pour les crimes punis de moins de 20 ans de réclusion comme par exemple le viol puni de 15 ans par le code pénal, et à trois ans, pour les crimes punis de plus de 20 ans de réclusion comme le meurtre (30 ans) ou l’assassinat (perpétuité).

Le délai est porté à quatre ans lorsque la personne est poursuivie pour terrorisme (on pense à Salah Abdeslam co-auteur des attentats de Paris détenu depuis le mois de novembre 2015), proxénétisme, extorsion de fonds ou pour un crime commis en bande organisée.

L’article précisé par ailleurs "à titre exceptionnel, lorsque les investigations du juge d'instruction doivent être poursuivies et que la mise en liberté de la personne mise en examen causerait pour la sécurité des personnes et des biens un risque d'une particulière gravité, la chambre de l'instruction peut prolonger pour une durée de quatre mois" les durées de détention fixée par la loi.

Par ailleurs en application de l’article 6, de la Convention européenne des droits de l’Homme et du citoyen, toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de l’accusation dirigée contre elle.

La France a déjà été condamnée par la Cour Européenne des droits de l’Homme pour l’absence de respect d’un délai raisonnable. Un exemple récent du 8 février 2018, Goetschy C. France, (req n°63323/12) la CEDH a sanctionné la France pour dépassement du "délai raisonnable" après avoir détaillé l’ensemble des diligences réalisées par les juges successifs à l’occasion d’une instruction de plus de 7 ans.

La Cour veille "à ce que la justice ne soit pas rendue avec des retards propres à en compromettre l’efficacité et la crédibilité". Le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie selon les circonstances de la cause à l’aune des critères dégagés par la jurisprudence de la Cour, à savoir: la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé.

En matière pénale, le calcul de ce délai a pour point de départ le moment où la personne fait initialement l’objet d’une "accusation" et se termine avec la décision définitive rendue par les autorités judiciaires nationales. Quand bien même les différentes phases de la procédure se seraient déroulées à un rythme acceptable, la durée totale des poursuites peut néanmoins, dans son appréciation globale, de l’instruction au procès, excéder un "délai raisonnable".

Au sujet de l’instruction, et de cette phase essentielle d’avant procès criminel, Napoléon Ier aurait dit-on considéré que le juge d'instruction était "l'homme le plus puissant de France"!

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