"Démocratie participative" : comment le site raciste échappe à la justice

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Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 24 janvier 2019 - 19:10
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© LIONEL BONAVENTURE / AFP/Archives
Le site internet démocratie participative avait été interdit en France mais a rapidement pu réapparaître.
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Censé être interdit grâce à une décision juridique exceptionnelle, le site raciste et haineux "Démocratie participative" a immédiatement refait surface, témoignant de la difficulté pour la justice et les pouvoirs publics d'interdire certains contenus. Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris revient pour France-Soir sur les questions soulevées par cet échec.

L'interdiction d'un site internet n’est pas une mesure aussi simple à mettre en place qu’elle le paraît au premier abord. L'exemple du site raciste et xénophobe "démocratie participative" qui est réapparu presque immédiatement après la procédure qui avait abouti à son bannissement en est un exemple très frappant.

> La décision d’interdiction du site Démocratie Participative

DemocratieParticipative.biz est un site internet violemment raciste, antisémite, homophobe et glorifiant le IIIème Reich. Depuis sa création en 2016, il s’est avéré très actif dans la création de contenus, en multipliant les attaques personnelles.

Les enquêtes diligentées n’ont par ailleurs pas permis d’identifier précisément les auteurs et hébergeurs, aucune mention légale ne figurant sur le site. On a pu cependant apprendre que ce site est hébergé aux Etats-Unis à travers une nébuleuse d’entreprises assurant l’anonymat de ses rédacteurs, et ne peut être poursuivi aux USA qui assure la liberté d’expression la plus totale via le premier amendement de la Constitution américaine.

Son directeur de publication présumé, un blogueur ultranationaliste, est en fuite. Malgré de multiples condamnations en France pour injures publiques et provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence à raison de l’origine, de la religion réelle ou supposée ou de l’orientation sexuelle, il s’est opportunément réfugié au Japon et ne peut en être extradé en raison de l’absence de convention d’extradition avec ce pays.

Aussi, le parquet de Paris a diligenté une procédure exceptionnelle visant à interdire aux principaux fournisseurs d’accès à Internet de diffuser ce site sur le sol français, en application de l’article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 et de l’article 6-1-8 de la LCEN (loi pour la confiance dans l’économie numérique). De nombreuses associations, comme la LICRA, la DILCTAH, SOS Racisme ou le CRIF, ainsi que des particuliers gravement diffamés s’étaient joints à la procédure pour la soutenir.

Voir: La justice ordonne aux opérateurs de bloquer le site Démocratie Participative

Par ordonnance de référé rendue le 27 novembre 2018, le Tribunal de grande instance de Paris a considéré que le site menaçait l’ordre public et véhiculait des discours de haine de nature à constituer des délits visés par la loi de 1881 (provocation à la haine et à la violence, injures à caractère racial, injure publique à raison de l’orientation sexuelle, apologie de crimes contre l’humanité etc.).

Il a donc ordonné à neuf fournisseurs d’accès, dont Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom, de bloquer l’accès au site depuis la France sous 15 jours maximum et ce, de manière "définitive et illimitée".

Cette décision exceptionnelle devait mettre fin à la diffusion du site, du moins le pensait-on…

> Les difficultés d’application et l’inefficacité du blocage

Puisque seul l’hébergeur est apte à arrêter le service, c’est-à-dire à mettre fins aux propos litigieux, le tribunal avait logiquement fait le constat que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne pouvaient qu’en assurer le blocage, à défaut de pouvoir le supprimer.

Dès lors, la seule mesure adaptée pour faire cesser le trouble était bien de faire injonction aux FAI d’empêcher l’accès au site DemocratieParticipative.biz à partir de la France par leurs abonnés sur ce territoire.

Mais c’est là que le bât blesse! En effet, si le blocage est bien intervenu dans un premier temps, les individus en charge du site ont contourné l’interdiction très aisément et ont pu rapidement mettre en ligne leur site.

Comment? Tout simplement en changeant de nom de domaine. En choisissant l’extension .website plutôt que .biz, et en changeant d’hébergeur, l’administrateur du site a pu ainsi le rendre de nouveau accessible en France.

Il a suffi d’annoncer la nouvelle URL sur Wikipedia et le mauvais tour était joué: lorsqu’on tente d’accéder à l’ancienne adresse du site, l’internaute est automatiquement redirigé vers la nouvelle adresse internet et peut en consulter les contenus toujours aussi nauséabonds.

> Quelles solutions?

Lorsqu’il s’agit de contenus éthiques ou haineux, se posent de longue date des difficultés pour que les plateformes agissent .

Depuis mai 2016, Facebook, Twitter, YouTube et Microsoft se sont pourtant engagées à empêcher la propagation de ces contenus en Europe dans le cadre d’un code de conduite imposé par la Commission européenne. Le troisième exercice de suivi révèle que les entreprises tiendraient désormais mieux leurs engagements à supprimer la majorité des discours haineux illégaux dans les 24 heures.

La dernière évaluation, réalisée par des ONG et des instances publiques en 2018, du code de conduite pour lutter contre les discours haineux illégaux diffusés en ligne, avait révèlé que les entreprises des technologies de l'information avaient supprimé en moyenne 70 % des discours haineux illégaux qui leur avaient été signalés.

Mais alors que des contenus pédopornographiques ou contrevenants au droit d’auteur semblent pouvoir être efficacement régulés, ce code de conduite signé par les GAFA avec la Commission européenne ne suffit manifestement pas à endiguer ce fléau et à lutter efficacement contre les discours de haine en ligne.

La bataille autour du contrôle des contenus n’est donc pas finie et il importe que chaque internaute se responsabilise à ce sujet et n’hésite pas à signaler tout site ou propos qui propagerait haine, racisme et xénophobie .

Sans doute des amendes plus substantielles contre les plateformes réfractaires pourraient également être plus efficaces.

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