Loi "anticasseurs" : les points de droit qui font débat

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Thierry Vallat, édité par la rédaction
Publié le 15 février 2019 - 15:50
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Affrontements entre gilets jaunes et forces de l'ordre à Nancy le 19 janvier 2019
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© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP
La loi anticasseur pose plusieurs problèmes de droit;
© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

La loi dite "anticasseurs" qui est actuellement examinée par le Parlement fait polémique. Elle suppose un contrôle administratif du droit de manifester avant même la commission d'une infraction et l'intervention du juge. Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris, revient pour France-Soir sur les points de droit soulevés par ce texte.

La proposition de loi visant à prévenir les violences lors des manifestations et à sanctionner leurs auteurs dite "loi anticasseurs" fait actuellement polémique.

A l’origine proposition de loi sénatoriale, elle a été votée en première lecture au Sénat en octobre 2018, puis par l’Assemblée nationale le 5 février 2019. Elle doit encore passer de nouveau devant les sénateurs à partir du 12 mars, puis revenir à l’Assemblée si le Sénat devait modifier le texte.

Elle fait débat, d’autant que les arrestations préventives de nombreux gilets jaunes depuis le 17 novembre 2018 ont accrédité l’idée de menaces pour les libertés publiques, notamment l’atteinte au droit de manifester et de criminalisation des mouvements sociaux.

Pourquoi une loi anticasseurs?

C’est à la suite des débordements du 1er mai 2018 perpétrés par les "black blocs" que les sénateurs eurent l’idée de réintroduire dans notre droit une responsabilité pénale et pécuniaire collective de ceux qui, en bande, cassent et brûlent ce qui leur tombe sous la main et de graver dans le marbre de la loi la possibilité de mettre hors d'état de nuire les casseurs et les agresseurs des forces de l'ordre, ceux qui nuisent au droit de manifester paisiblement.

Voir: Loi "anticasseurs" ou "antimanifestants", le Conseil constitutionnel devrait avoir à trancher, selon Fabius

Ils ont donc proposé notamment de :

- rendre possible le contrôle des effets personnels des passants (contrôle visuel, ouverture des sacs et palpations de sécurité), lors des manifestations, lorsqu'il existe un risque de troubles à l'ordre public (article 1er);

- permettre de constituer, dans le respect des libertés publiques, un fichier de personnes interdites de manifestations (article 3);

- créer un nouveau délit consistant à dissimuler son visage lors d'une manifestation sur la voie publique, puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 eruos d'amende (article 4);

- mettre en œuvre du principe "casseur-payeur": les personnes ayant participé aux violences et ayant été condamnées pourront être contraintes de payer la réparation des dommages (article 5);

Rappelons qu’un texte similaire avait déjà été adopté le 8 juin 1970 avec la loi "tendant à réprimer certaines formes nouvelles de délinquance". Cette loi introduisait dans le code pénal l’article 314 qui réprimait les participants violents à une peine de prison de un à 5 ans. Les organisateurs d’un "rassemblement interdit ou illicite" pouvaient à l'époque en outre écoper de "6 mois à 3 ans de prison" s’ils n’avaient pas donné "l’ordre de dislocation" de la manifestation, au moment où "des violences ou des voies de fait" étaient commises.

Consécutif aux événements survenus à partir de mai 1968 mettant en péril l'ordre public dès son dépôt, ce texte fut l'objet de vives critiques et de contestations dans les secteurs les plus différents de l'opinion. En effet , instituant une responsabilité collective, il était fondamentalement opposé au principe de la responsabilité pénale personnelle. Le texte a finalement été abrogé en 1981, l’une des premières décisions prises par François Mitterand lorsqu’il devint président de la République.

Le mouvement des gilets jaunes a renforcé le sentiment de nécessité d’une loi qui viendrait encadrer davantage les manifestations pour éviter que ne sévissent des casseurs. D’où la reprise de la proposition sénatoriale, mais amendée par la majorité gouvernementale.

Et aussi: "Anticasseurs"- Castaner lie les inquiétudes à LREM au fait que le texte vient de la droite

Quels sont les principaux points qui fâchent?

1/ L’interdiction administrative de manifester qui constitue la mesure la plus décriée:

Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police pourrait, par arrêté motivé, interdire de prendre part à une manifestation déclarée "à toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public" (article 2 de la proposition de loi).

Par amendement du gouvernement, des "critères objectifs" ont été ajoutés: la personne devra avoir commis des "atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ainsi que des dommages importants aux biens" ou encore "un acte violent" lors de manifestations précédentes.

Le préfet serait alors en droit d'imposer une convocation à la personne concernée afin qu'elle ne se rende pas à la manifestation. En cas de risque de participation à d'autres rassemblements, le préfet pourrait interdire à la personne de prendre part à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée allant jusqu'à un mois.

Les personnes "interdites" de manifester disposeraient cependant d’un recours en urgence devant la justice administrative. La décision d'interdiction devra être notifiée au moins 48 heures avant son entrée en vigueur, ce qui permettrait à l'intéressé de la contester en urgence devant le juge des référés. Les interdictions judiciaires de manifester feraient en outre l’objet d’une inscription dans le FPR (Fichier des personnes recherchées).

Délaissant l’autorisation judiciaire préalable, actuellement en place, la loi fait donc la part belle à l’administration et fait craindre les pires dérives autoritaires: elle est donc taxée de liberticide par beaucoup, et contraire à l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’homme qui prône la liberté de manifester.

2/ La dissimulation du visage:

Serait réprimée la dissimulation du visage lors de manifestations où des "troubles à l'ordre public" menaceraient d'être commis.

"Est puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende le fait pour une personne, au sein ou aux abords immédiats d’une manifestation sur la voie publique, au cours ou à l’issue de laquelle des troubles à l’ordre public sont commis, (...) de dissimuler volontairement, totalement ou partiellement, son visage afin de participer ou d’être en mesure de participer à la commission de ces troubles sans pouvoir être identifiée", dispose l'article 4 du texte adopté par les députés.

3/ Les fouilles et palpations (article 1er du texte):

Les officiers de police judiciaire pourraient, sur réquisitions écrites du procureur de la République, procéder sur les lieux d'une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats à:

1° L'inspection visuelle des bagages des personnes et leur fouille,

2° La visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public,

Rappelons que toutes ces dispositions, ainsi que celles supprimées, y compris pourraient être rétablies dans leur rédaction d'origine par la droite sénatoriale. La Chambre haute doit, réexaminer le texte dès le 12 mars prochain.

Le contrôle du Conseil constitutionnel

L’interdiction administrative de manifester pose clairement une difficulté, car attentatoire à la liberté de manifester, protégée constitutionnellement.

Un groupe de 60 députés ou 60 sénateurs pourrait donc légitimement saisir le Conseil constitutionnel, une fois la loi définitivement votée, pour vérifier la conformité du texte avec la Constitution, pour atteinte aux libertés individuelles. Affaire à suivre donc…

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