Comment l'Etat islamique a récupéré des lance-missiles Milan français
En Syrie, dans la poche de Hajin, l'Etat islamique a récemment fait usage de missiles Milan. Contrairement à de nombreuses "fake news" et autres théories complotistes attribuant des livraisons d'armes par les Occidentaux à l'Etat islamique, il n'est en réalité pas étonnant de trouver des lanceurs Milan entre les mains des djihadistes, l'arme étant assez répandue sur le théâtre de ce conflit.
Le 16 novembre 2018, l'agence Amaq de l'Etat islamique diffuse une vidéo d'une durée de 28 secondes intitulée "La destruction d'un bulldozer des forces du régime dans le village d'al-Ashayir au nord d'al-Boukamal".
Capture d'écran de la vidéo. On voit le départ du missile Milan, à gauche de l'image, après le tir, et le tube contenant le missile éjecté à l'arrière, à droite.
Que voit-on sur la vidéo? Installé sur le toit d'un bâtiment, le tireur a calé le lanceur Milan avec des briques pour l'empêcher de bouger pendant la mise à feu. Le missile part et frappe de plein fouet un bulldozer du régime syrien à l'œuvre dans le village d'al-Ashayir, juste au nord d'al-Boukamal, où l'Etat islamique avait d'ailleurs opposé une vive résistance après avoir été chassé de cette dernière ville en novembre 2017. Aujourd'hui le village, sur la rive ouest de l'Euphrate, est tenu par les forces du régime, syriennes et étrangères.
Le missile MILAN file vers le bulldozer, qu'il va frapper de plein fouet. Capture d'écran.
Le Milan (missile léger d'infanterie antichar), entré en service dans l'armée française en 1972, est un missile antichar filoguidé avec système de guidage semi-automatique. Pendant le tir l'opérateur doit maintenir la cible dans le viseur pour que le missile aille frapper l'objectif. Il peut être muni d'un dispositif de vision nocturne pour le tir de nuit. Le trépied qui supporte le lance-missiles peut être réglé de 25 à 50 cm de hauteur. Le Milan peut frapper un objectif jusqu'à 2 km.
Ce genre d'images de propagande de l'Etat islamique peut typiquement alimenter les rumeurs complotistes et autres fake news, semblables à celles sur le Famas, prétendant que l'EI est armé par les pays occidentaux comme la France ou l'Allemagne, qui disposent toutes deux du lanceur MILAN. En réalité, le groupe a pu capturer ou obtenir ces armes de plusieurs sources différentes sur le théâtre syro-irakien.
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Il faut se rappeler que le régime syrien a commandé à la France 200 lanceurs Milan et 4.400 missiles, en 1977, livraison réalisée en 1978-1979. Ces missiles ont été utilisés pendant la guerre au Liban par l'armée arabe syrienne. Par la suite, la plupart ont été stockés dans des dépôts, où les rebelles les ont parfois capturés dans les premières années du conflit (Qalamoun, juillet-août 2013), tout comme l'EI par la suite. D'autres ont été utilisés par les forces du régime syrien. Il n'est donc pas étonnant de constater la présence de missiles Milan en Syrie. Le groupe djihadiste utilise ces missiles dès la bataille de Kobané. Il se vantait d'avoir récupéré ces armes après la capture de Palmyre en mai 2015. En janvier 2016, l'Etat islamique tirait un missile sur un char du régime syrien près de la base aérienne de Kweres, à l'est d'Alep.
Missile Milan utilisé par l'EI, retrouvé sur le front de Kobané, février 2015.
23 janvier 2016: L'Etat islamique a tiré un missile Milan sur un char des forces du régime syrien près de la base aérienne de Kweires, au sud-est d'Alep, en janvier 2016.
En Irak, les peshmergas kurdes ont également bénéficié, à partir de 2014, de la livraison de lanceurs Milan par l'Allemagne. Ces livraisons se sont poursuivies en 2015, en 2016. L'Etat islamique, qui a combattu les Kurdes irakiens jusqu'à la fin de l'année 2016, a probablement pu capturer des lanceurs et des missiles durant les combats.
Enfin, les Forces démocratiques syriennes (FDS), nées autour de l'YPG kurde en septembre 2015, peuvent avoir des missiles Milan puisque l'YPG en a déjà utilisé, fournis par la coalition internationale. L'Etat islamique, qui les affronte depuis, a pu récupérer un lanceur et des missiles, peut-être lors de ses récents succès contre les FDS en octobre dans la poche de Hajin. On voit donc que la théorie complotiste à propos de ces missiles de l'EI ne tient pas debout.
Une des dernières apparitions du missile Milan entre les mains des djihadistes avant cette vidéo Amaq intervient en novembre 2017, un an plus tôt, quand le groupe met en ligne la fameuse vidéo Flames of War 2. Cette vidéo montre la reconquête de Palmyre en décembre 2016. On peut voir sur les images une équipe antichar transportant un lanceur Milan démonté -mais aucun tir n'est filmé dans la vidéo.
Equipe antichar transportant un lanceur Milan et ses missiles, front de Palmyre, fin 2016. A gauche l'homme porte le poste de tir, les deux immédiatement à sa droite portent les tubes avec les missiles Capture d'écran de la vidéo "Flames of War 2" du média al-Hayat de l'EI (28 novembre 2017).
La vidéo est également intéressante parce qu'elle nous montre aussi que l'Etat islamique, bien que devant faire face à l'offensive des FDS contre la poche de Hajin, continue, à partir de celle-ci, de harceler les positions du régime syrien à l'ouest de l'Euphrate, à coups de missiles antichars, de canons sans recul SPG-9 ou avec ses snipers.
Le tir de missile Milan vise un bulldozer à al-Ashayir, juste au nord d'al-Boukamal. L'EI s'était accroché à ce village en novembre 2017 après son retrait d'al-Boukamal. Aujourd'hui, acculé dans la poche de Hajin par les FDS, le groupe continue de harceler les forces du régime de l'autre côté de l'Euphrate.
Voir:
Syrie: l'EI inflige un revers aux FDS dans l'est, mais reste acculé
L'Etat islamique en Afrique subsaharienne: la nouvelle menace
Syrie: l'Etat islamique remporte une nouvelle victoire à Hajin
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