Forces spéciales russes secrètes en Syrie : le détachement Zaslon
Dépendant du service de renseignement extérieur de la fédération de Russie, le détachement Zaslon est engagé depuis plusieurs années en Syrie où il effectue des missions telles que la protection de personnalités russes ou du régime de Damas. Matteo Puxton, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit irako-syrien, lève pour France-Soir un peu du voile que le Kremlin a posé sur cette unité des forces spéciales russes.
Zaslon: le nom n'évoquera pas grand chose, même à ceux qui s'intéressent un peu aux forces de sécurité et à l'armée russes. Et pour cause: cette unité, l'une des plus secrètes de Russie, est entourée d'un voile de mystère. Sa présence en Syrie, aux côtés du régime syrien, est désormais une certitude.
Le détachement Zaslon ("écran", Заслон en russe) est une unité spéciale qui dépend du SVR, le service de renseignement extérieur de la fédération de Russie. Ce service né en 1991, après la disparition de l'URSS, tire toutefois son origine du KGB et, plus loin, jusqu'à la Tchéka. Parmi les missions du SVR, il y a la protection des établissements et ressortissants russes à l'étranger. Le détachement Zaslon a été créé en 1998 dans ce but. Il était censé remplacer l'unité de Spetsnaz "Vympel", créée par Youri Andropov en 1981, rattachée au KGB, puis après la chute de l'URSS au MVD et enfin, à partir de 1995, au FSB. Une unité du même type existait déjà sous l'autorité de la 1ère direction du KGB au temps de l'URSS: elle effectuait des missions spéciales en Afghanistan. Zaslon dépend de la direction S du SVR chargée de l'infiltration d'agents à l'étranger. Le détachement Zaslon constituerait, précisément, le 7ème département du SVR.
L'existence du détachement Zaslon n'est pas reconnue par le gouvernement russe: ce dernier comprendrait de 280/300 à 500 hommes, selon les sources. Il peut mener, également, des assassinats ciblés, entre autres missions spéciales. En 2006, après l'assassinat de quatre diplomates russes à Bagdad, le détachement Zaslon avait reçu pour mission de "liquider" les responsables de cet acte, qui auraient été les djihadistes de Zarqawi (selon une autre version, les Russes prétendent que les SAS britanniques auraient tué les membres de l'ambassade...). Parmi les quatre tués se trouvait probablement un membre de Zaslon chargé de la sécurité des membres de l'ambassade, Oleg Fedoseev. Le corps de ce dernier a été enterré en Russie en 2012. Des sources russes prétendent que le détachement Zaslon aurait évacué le personnel de l'ambassade américaine au Yémen, à Sanaa, en avril 2015. Au déclenchement du conflit syrien, Mikhaïl Fradkov, le chef du SVR jusqu'au 22 septembre 2016, a sous son autorité cette unité. Il est remplacé par Sergueï Narychkine, toujours à la tête du renseignement extérieur aujourd'hui. Alexandre Smolkov, premier directeur adjoint, dirige le 1er service du SVR, qui a sous sa responsabilité le détachement Zaslon. A sa naissance en 1998, le détachement aurait été commandé par un certain A.S. Kolosov.
Sergueï Narychkine dans le documentaire de Rossiya 24 (décembre 2018) sur le SVR.
Un membre du détachement Zaslon (probablement) à l'entraînement avec un fusil de précision SV-98.
En 2012, le détachement Zaslon a escorté le chef du SVR, Mikhaïl Fradkov, lors de sa visite à Damas. Selon certaines sources, un groupe du détachement Zaslon aurait été déployé en Syrie dès le 10 mai 2013, à la fois pour protéger Bachar al-Assad mais aussi peut-être pour récupérer documents et matériels sensibles en cas d'effondrement du régime syrien... Le 24 mai 2014, le vice-président du gouvernement russe, Dmitry Rogozine, en visite à Damas, pose avec des membres du détachement Zaslon et publie les images sur son compte Twitter: celles-ci sont rapidement effacées.
Rogozine avec les membres du détachement Zaslon, images rapidement enlevées de son compte Twitter (mai 2014).
En Syrie, la présence d'un détachement de l'unité Zaslon est manifeste au moment de l'intervention directe de la Russie dans le conflit, en septembre 2015. Ce détachement ne répond pas aux ordres du GRU, le renseignement militaire, qui a dépêché ses propres Spetsnaz en Syrie, et qui travaille avec le ministère de la Défense syrien à Damas. Le détachement Zaslon est quant à lui à l'ambassade russe de la rue Omar Ben Al Khattab, installée non loin des officiers russes du GRU à la Défense. Si le détachement peut servir à protéger les personnalités russes et les bâtiments, ou leurs homologues syriens, et peut aussi participer à des missions de formation ou d'encadrement (il semblerait que le détachement Zaslon épaule les moukhabarat syriens, les tristements célèbres services secrets du régime de Damas), il s'agit peut-être encore à l'époque, pour la Russie, d'évacuer certains documents ou matériels importants en cas de chute du régime (c'était déjà probablement la mission d'origine du groupe à son arrivée en 2013...). Il existe un précédent puisque le détachement Zaslon avait été déployé en Irak dans les derniers jours du règne de Saddam Hussein en 2003, à la fois pour évacuer le personnel de l'ambassade, mais aussi pour récupérer certains documents (opération "Percée")...
En 2016, le détachement Zaslon est de nouveau évoqué après l'assassinat de l'ambassadeur russe en Turquie, Andrei Karlov, le 19 décembre, par le policier turc Mevlüt Mert Altıntaş. L'interview d'un membre de cette unité dans le quotidien russe Rosbalt souligne que Zaslon n'a jamais reçu de la Turquie l'autorisation de protéger les membres de l'ambassade (la question se posait dès la décennie 1990 avec le va-et-vient des combattants tchétchènes en Turquie pour se soigner ou se reposer) parce que l'unité se déplacerait lourdement armée, ce que la Turquie n'a jamais accepté. Le détachement Zaslon reste a priori cantonné, en Syrie, aux tâches de sécurité et de protection des personnels russes, contrairement aux Spetsnaz du GRU et au KSO (commandement des opérations spéciales) qui assurent des tâches plus militaires en Syrie.
En février 2018, une vidéo de la chaîne Zvezda, à l'occasion du jour anniversaire des forces spéciales russes (27 février), montre les membres du détachement Zaslon sur les toits de l'ambassade de Damas et des bâtiments environnants, avec des membres des forces spéciales russes.
Des membres du détachement Zaslon sur les toits de l'ambassade (vidéo de février 2018). On reconnaît la couleur kakie/vert de la tenue et le patch "ambassade" sur l'homme le plus proche de la caméra.
L'homme qui passe à droite est probablement un membre du détachement Zalson, comme l'indique la tenue. A gauche, des hommes des forces spéciales; on note le fusil de précisions Steyr SSG 08 avec silencieux, une arme non russe utilisée seulement par quelques unités des forces spéciales (http://armamentresearch.com/the-sniper-weapon-systems-of-russian-forces-in-syria/).
Le 10 décembre 2018, la chaîne de télévision Rossiya 24 diffuse un documentaire tourné au QG du SVR, dans le district de Yasenevo à Moscou. On y voit le détachement Zaslon à l'entraînement: les hommes sont équipés de mitraillettes Vityaz-SN, avec viseurs laser AN/PEQ-15, des lunettes de vision nocturne Valdai MN-230, des casques anti-bruit Peltor-3M, des viseurs Aimpoint Micro T-1, des casques LSHZ 1+.
Avril 2018, deux membres de Zalson en Syrie. On reconnaît le patch sur celui de droite, la couleur distinctive de la tenue verte ou kaki que l'on retrouve souvent, des fusils d'assaut AK 104/109, le casque LSHZ des forces spéciales.
Le détachement Zaslon n'a pas d'emblème, d'insigne ou d'uniforme pour le distinguer quand il est en opération sur le terrain. En revanche ses membres portent souvent, quand ils sont en mission à l'étranger, un patch avec les termes "Ambassade de Russie" parfois traduit en langue locale, comme c'est le cas en Syrie. On trouve toutefois sur les sites russes des emblèmes ou des fanions qui seraient associés à l'unité.
Unité parmi les plus secrètes et donc les moins connues des forces spéciales russes, le détachement Zaslon, par sa présence en Syrie, illustre aussi la volonté de la Russie de manifester son retour sur la scène internationale. L'intervention russe, reste, il ne faut pas l'oublier, une projection de puissance militaire.
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