Irak : les opérations clandestines de l'Etat islamique à Falloujah

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 04 juillet 2019 - 13:22
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Attentats, assassinats ciblés, embuscades, les djihadistes de l'Etat islamique redoublent leurs activités à Falloujah.
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Attentats, assassinats ciblés, embuscades, les djihadistes de l'Etat islamique redoublent leurs activités à Falloujah.
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L'Etat islamique s'est fondu dans la clandestinité en Syrie et en Irak avec une étonnante facilité depuis la "chute" du "califat". Depuis, les djihadistes de l'organisation terroriste multiplient les attentats et les forces de sécurité semblent bien en peine de les traquer comme le montre pour France-Soir Matteo Puxton, spécialiste de la stratégie militaire de l'Etat islamique, avec l'exemple de Falloujah en Irak.

La ville de Falloujah était tombée entre les mains de l'Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) en décembre 2013-janvier 2014, six mois avant la proclamation du "califat" par Abou Bakr al-Baghdadi. L'EIIL avait profité de la protestation sunnite contre le gouvernement irakien et l'avait débordé. Le groupe djihadiste a tenu la ville jusqu'en juin 2016, moment où elle est reprise par l'armée irakienne, l'Iraqi Counter-Terrorism Service (ICTS) et les miliciens du Hachd al-Chaabi. L'Etat Islamique (EI) finit par perdre ses dernières enclaves territoriales en Irak en novembre 2017. Mais il a préparé de longue date son rebasculement dans la clandestinité, dans laquelle certaines provinces opéraient déjà depuis longtemps (Diyala, al-Janub au sud de l'Irak). Relativement secondaire dans le dispositif clandestin de l'EI, le secteur de Falloujah est un bon exemple de la façon dont le groupe djihadiste opère désormais en Irak. Cette étude se base essentiellement sur la propagande produite par le groupe terroriste, remise bien sûr dans son contexte et appréhendée de manière critique.

C'est en mai 2018 que les premiers communiqués de l'Etat islamique sont publiés dans la province (wilayat) de Falloujah. De trois en mai, ils passent à quatre en juin, huit en juillet et six août. Le total monte très fortement en septembre-octobre pour atteindre respectivement 16 et 20 communiqués. Il redescend fortement en novembre (trois) et en décembre (cinq), avant de remonter en janvier 2019 (huit). Depuis, le nombre reste faible et assez stable: quatre en février, quatre en mars, quatre en avril et six en mai. Il faut se rappeler qu'avant la prise de la ville en décembre 2013-janvier 2014, l'EIIL revendiquait jusqu'à 39 attaques dans la seule ville de Falloujah. La chute en novembre-décembre des communiqués s'explique probablement par la réaction des forces de sécurité après le pic de septembre-octobre, qui a abouti au démantèlement de plusieurs cellules dans la ville de Falloujah notamment.

Depuis que l'Etat islamique est revenu en mode clandestin, le groupe se contente presque exclusivement d'illustrer en images ses opérations militaires, mais la dimension insurrectionnelle, pour des raisons de sécurité probablement, et l'organisation plus décentralisée, limitent le groupe dans la production. L'activité clandestine dans le secteur de Falloujah n'a été couverte, depuis un an, que par quatre reportages photos (24 octobre, 1er décembre, 15 janvier, 5 mai), et une vidéo longue parue le 2 juin 2019 sur laquelle nous reviendrons plus loin. En avril 2017, une vidéo longue utilisant des images d'archives de la bataille de Falloujah en 2016 avait été diffusée.

Attaque à l'IED sur un camion ZIL de l'armée irakienne, de jour, ce qui est rare. Reportage photo du 5 mai 2019 (l'attaque a eu lieu en avril).

Les communiqués de revendication et autres documents nous permettent de situer géographiquement l'activité de l'EI. Les premières attaques en mai 2018 ont lieu au nord de Falloujah. En juin, elles s'étendent au nord et au sud de Falloujah, mais aussi assez loin au nord-est, à al-N'ibai, et à proximité immédiate de la ville de Falloujah (al-Ziwiyah, à l'ouest). Juillet 2018 voit la première attaque revendiquée dans la ville de Falloujah (quartier al-Jawlan). En août, l'Etat islamique frappe encore dans le quartier al-Jawlan, à Albu Jasim au nord de Falloujah, et vers Tharthar. En septembre, les attaques se concentrent presque toutes dans la ville de Falloujah, notamment dans le centre-ville: manifestement une ou plusieurs cellules y sont actives. En octobre, l'activité des cellules se maintient à l'intérieur de la ville; les djihadistes frappent également pour la première fois al-Ameriyah, au sud de Falloujah. Ameriyah était un bastion historique d'al-Qaïda en Irak jusqu'en 2006, quand les tribus Albu Issa ont tendu la main aux Américains pour se débarrasser des djihadistes. En novembre, avec la baisse d'activité, le groupe salafiste parvient encore à attaquer une fois dans le quartier Shuhadah de Falloujah (un site historique de production de voitures piégées, en octobre 2013, l'EIIL y avait paradé de jour avec 50 véhicules); une autre cellule opère beaucoup plus loin au nord-est, à al-Dabatiyah. En décembre, l'Etat islamique arrive de nouveau à opérer dans Falloujah, et mène une opération dans le village d'al-Shaiti, à l'est de la ville. A partir de janvier 2019, l'EI s'installe à la lisière sud de Falloujah: attaque à al-Nuaimiyah (autre bastion d'al-Qaïda en Irak jusqu'à 2006), assassinat dans le village de Musalama dans ce même secteur. Une première attaque est également annoncée à al-Anaz, non loin d'al-Shaiti. C'est là que se concentre l'activité en mars. En avril, l'organisation terroriste frappe à al-Ameriyah et à al-Nuaimiyah, en mai à ces deux endroits et à al-Anaz. La dispersion géographique des attaques montre à l'évidence que l'EI est présent par plusieurs cellules opérant de manière indépendante dans différents secteurs.

Cette carte ne montre pas toutes les attaques entre mai 2018 et mai 2018, mais seulement la première mention de chaque lieu dans les communiqués de l'EI. On voit que le groupe opère sur une étendue géographique assez large, ce qui suppose la présence de plusieurs cellules.

L'EI opère près de Falloujah dès juin 2018, et dans Falloujah dès le mois de juillet. Le pic d'activité se situe en septembre-octobre 2018. A partir de janvier 2019. le groupe s'implante dans la périphérie sud de la ville.

Sur le plan des modes opératoires de l'Etat islamique, le début de l'activité a consisté en incendies de fermes (mai 2018). La tactique dominante reste la pose d'engins explosifs improvisés, contre des véhicules (avec parfois utilisation d'un double IED contre le même véhicule), ou des habitations. Dès le mois d'août 2018, l'EI procède à des assassinats ciblés par balles, et aussi à des tirs de roquettes sur des habitations d'informateurs de la police par exemple. L'utilisation des IED est le mode d'action quasi exclusif dans Falloujah en septembre-octobre, au pic de l'activité: on note toutefois que les djihadistes sont capables d'introduire une voiture piégée dans Falloujah en septembre, et de mener une opération inghimasi avec moto piégée à al-Ameriyah en octobre. En novembre, le groupe utilise pour la première fois le jet de grenades contre des habitations. Janvier-février 2019 voient des assassinats ciblés de mukhtars (anciens, chefs de villages) en périphérie sud de Falloujah. En mai, pour la première fois, l'Etat islamique annonce l'emploi d'un sniper pour abattre un milicien à longue distance.

Attaque à l'IED de nuit contre un véhicule de l'armée. Capture d'écran de la vidéo du 2 juin 2019.

Le 2 juin 2019, l'Etat islamique diffuse une première vidéo longue d'un peu plus de 11 minutes résumant son activité clandestine dans le secteur de Falloujah depuis un an. Cette vidéo est intitulée "Puis ils seront vaincus", titre issu du verset 36 de la sourate al-Anfal (le butin): "Ceux qui ne croient pas dépensent leurs biens pour éloigner (les gens) du sentier d’Allah. Or, après les avoir dépensés, ils seront pour eux un sujet de regret. Puis ils seront vaincus, et tous ceux qui ne croient pas seront rassemblés vers l’Enfer". La vidéo illustre surtout les opérations réalisées sur une période de six mois avant sa diffusion, entre novembre 2018 et mai 2019. On peut constater que les attaques à l'IED sur les véhicules ont toutes lieu de nuit, sauf celle d'al-Nuaimiyah d'avril 2019 contre un camion de l'armée qui avait déjà été montrée dans un reportage photo début mai, et qui se déroule de jour. L'EI insère aussi dans cette vidéo des images de caméra de vidéosurveillance montrant quelques-unes de ses attaques à l'IED dans la ville de Falloujah à l'automne 2018.

Combattant de l'EI manipulant un pistolet Glock 19 Gen3 avec un silencieux artisanal. Les cellules clandestines procèdent à des exécutions ciblées, de nuit, avec des armes munies de silencieux, en Irak.

Le passage le plus intéressant est sans doute le raid mené pour assassiner neuf personnes dans le secteur d'al-Dabatiyah en novembre 2018, qui lui aussi avait déjà été illustré en images en décembre. Nous pouvons voir que la cellule se compose de quatre hommes, dirigée par un certain Abdul Azim al-Iraqi. La cellule prépare le raid par un repérage minutieux, de nuit, et étudie, pour la propagande, l'opération sur un plan tracé à la main. Pendant le raid, quatre hommes sont mobilisés. Le groupe comprend un combattant armé d'un fusil d'assaut AKMS, un autre armé d'un fusil d'assaut M-4 sans silencieux mais avec viseur thermique Pulsar Apex XD50 et une batterie Pulsar EPS-3i. Cette arme avec viseur thermique sert justement à repérer les mouvements des cibles avant les raids: configuration que l'on retrouve fréquemment dans les cellules clandestines de l'Etat islamique en Irak actuellement. Les exécutions sont ici réalisées notamment avec un pistolet Glock 19 Gen3 muni d'un silencieux artisanal fabriqué par l'EI, et de la main du chef de cellule. De la même façon, l'exécution du mukhtar de Musalama, à al-Nuaimiyah, juste au sud de Falloujah, en janvier 2019, est accomplie par une autre cellule qui là aussi dispose d'un fusil d'assaut M-4 muni d'un silencieux; la cellule est peut-être là aussi munie d'un dispositif de visée thermique. Ce type d'actions correspond dans les communiqués à ces cellules que l'EI appelle "mafariz amniyat" (détachements de sécurité).

La vidéo comprend d'autres détails intéressants. Au début de la vidéo, dans la présentation standard qui prouve que la production vient du commandement central de l'Etat islamique, le groupe n'a pas enlevé, en-dessous du logo de l'ancienne province, la mention "wilayah" à côté de Falloujah, en dépit de la réorganisation territoriale de juillet 2018 qui a supprimé les provinces en Syrie et en Irak pour ne garder qu'une province "Syrie" et une autre "Irak". Comme souvent, l'EI montre au début des images de Falloujah encore sous sa domination, ou de la montée en puissance du groupe juste avant la prise de la ville (fin 2013-début 2014, camp d'entraînement dans le désert). Le raid pour les assassinats ciblés à al-Dabatiyah pointe spécifiquement les deux officiers de l'armée irakienne qui sont abattus, de même qu'un sheikh tribal accusé de collaborer avec le gouvernement irakien. De la même manière, le mukhtar de Musalama est accusé d'être un "apostat". L'EI cible donc volontairement les sunnites qui coopèrent avec ses adversaires sur le terrain.

Dabatiyah, novembre 2018: les djihadistes sortent leurs prisonniers un par un de la pièce pour les exécuter avec le pistolet à silencieux à l'extérieur. Celui qui est le plus proche tient un fusil d'assaut M-4 avec dispositif de visée thermique, qui a sans aucun doute servi à observer l'endroit avant le raid, et les mouvements autour. Capture d'écran de la vidéo du 2 juin 2019.

Pour l'instant, le secteur de Falloujah n'a pas produit de communiqué ou d'autre document au mois de juin, après la diffusion de cette vidéo longue. Toutefois, les forces de sécurité irakiennes ont abattu le 4 juin deux hommes munis de ceintures d'explosifs qui approchaient d'une de leurs positions près d'al-Ameriyah. Bien que Falloujah soit un secteur relativement secondaire pour l'EI, le groupe parvient toutefois à s'y maintenir dans la clandestinité. L'Etat islamique fait ainsi la jonction, via le corridor Ramadi-Falloujah, entre l'ouest de la province al-Anbar, où des cellules restent actives, et le secteur al-Janub (sud Irak) où il est installé près de Jurf al-Sakhr.

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