L'Etat islamique au Grand Sahara accroît sa "visibilité" après l'attaque d'un camp militaire français
Le 10 mars dernier, une position de soldats français au Mali est attaquée par un groupe de djihadistes appartenant à l'Etat islamique au Grand Sahara. Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de l'organisation terroriste, analyse pour France-Soir la nouvelle visibilité donnée à la branche sahélienne de l'organisation terroriste après ce coup de main.
Depuis près d'un mois, la branche saharienne de l'Etat islamique est devenue beaucoup plus visible dans la propagande de l'Etat islamique (EI). Le 3 avril 2019, l'organisation djihadiste diffuse une vidéo courte de l'agence Amaq intitulée: "Vidéo montrant l'attaque par les soldats de l'Etat islamique d'un convoi de troupes françaises près de la frontière entre le Mali et le Niger".
La vidéo est de faible qualité, sans doute tournée avec un appareil mobile. Le caméraman filme, à distance, deux demi-escouades de cinq hommes chacune environ regroupées autour de motos. La demi-escouade la plus à gauche sur l'image comporte un mitrailleur sur PKM qui tire à la hanche. De la fumée est visible à l'horizon, vers l'endroit où le mitrailleur tire, laissant penser qu'une explosion a eu lieu. Une moto fonce vers l'ennemi avec deux hommes. Près d'une autre à l'arrêt, deux combattants tiraillent avec leurs fusils d'assaut AK.
Tout dans le contenu de cette vidéo laisse penser qu'il s'agit d'images illustrant l'attaque s'étant produite le 10 mars dernier, il y a un peu moins d'un mois, contre un campement français à Akabar, dans les environs de Ménaka, dans l'est du Mali, près de la frontière avec le Niger.
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Le dimanche 10 mars, au sud de Ménaka, dans la région du Liptako, le Groupement Tactique "Bir Hakeim" de la force Barkhane, alimenté par le 1er RIMa récemment déployé (fin janvier), est attaqué dans son bivouac, vers 13h, par un véhicule kamikaze, qui est détruit à une trentaine de mètres des positions françaises: l'explosion, par onde de choc, cause une quinzaine de blessés, dont deux graves. Une quinzaine d'assaillants évoluant avec motos (ce qui correspond assez à la vidéo Amaq diffusée par l'EI) tiraillent ensuite sur les troupes françaises avant de se replier, sans que l'on puisse déterminer les pertes infligées à ceux-ci. C'est la 2ème attaque avec véhicule kamikaze menée par l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS), la 1ère ayant eu lieu dans le même secteur le 11 janvier 2018. Depuis deux mois, c'est la 4ème attaque du genre, les trois autres ayant été revendiquées par le GSIM (Groupe de Soutien à l'Islam et aux Musulmans), la coalition djihadiste loyale à al-Qaïda.
Le 1er RIMa est déployé depuis fin janvier dans l'opération Barkhane. Photo issue de la page Facebook du régiment, 7 mars.
L'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) est la branche saharienne du groupe djihadiste. Elle a été créée par Adnan Abou Walid al-Sahraoui, ancien porte-parole du MUJAO, ensuite membre d'al-Mourabitoune, qui finir par prêter allégeance à Abou Bakr al-Baghdadi en mai 2015. Toutefois, le commandement central du groupe djihadiste ne reconnaît officiellement cette allégeance qu'en octobre 2016, soit plus d'un an après. Jusqu'ici, l'EIGS était particulièrement mal relié à l'organisation centrale de l'Etat islamique: la propagande officielle n'a quasiment relayé aucune production médiatique de la branche sahélienne, à l'exception de la vidéo de l'embuscade de Tongo Tongo au Niger (octobre 2017), qui tranche singulièrement par sa qualité médiocre avec les productions habituelles de Daech. Elle a été diffusée le 4 mars 2018 par les canaux de propagande de l'Etat islamique. L'EIGS diffuse de son côté ses productions via des agences de presse mauritaniennes, ou l'AFP, et a produit 5 vidéos en comptant celle de l'embuscade de Tongo Tongo; la katiba Salaheddine, qui fait partie du groupe djihadiste, a également produit deux clips vidéos. La dernière de ces vidéos autoproduites relate une attaque contre le Mouvement pour le Salut de l'Azawad (MSA) le 14 février dernier.
Depuis un mois, on a pu observer une évolution notable dans la propagande centrale de l'organisation concernant l'EIGS. Le 22 mars, l'EI publie une photo montrant des combattants au Burkina-Faso. L'image est ancienne (2018), mais surtout elle est diffusée sous le label de la branche Afrique occidentale, au Nigéria, qui elle est beaucoup mieux reliée à la propagande centrale depuis l'an passé. Ce qui pose la question d'une éventuelle connexion entre la branche nigériane de l'Etat islamique et l'EIGS lui-même. Suit cette vidéo Amaq du 3 avril montrant l'attaque du 10 mars.
Diffusée le 22 mars par l'EI, cette photo, sous le label de la branche Afrique occidentale (Nigéria), montre en réalité des combattants de l'EIGS un an plus tôt au Burkina-Faso.
Ce changement de rapport entre l'EIGS et l'appareil central de propagande se vérifie avec le numéro 175 de la lettre d'informations hebdomadaire al-Naba paru le 28 mars dernier. Les pages 8 et 9 sont consacrées à la zone saharienne. On y retrouve en illustration la photo du Burkina-Faso publiée le 22 mars. Le texte présente la lutte contre le Mouvement pour le Salut de l'Azawad dans le nord du Mali, et contre l'armée française ("croisée") dans l'est du Mali, autour de Ménaka. L'Etat islamique revendique pas moins de 400 tués et 1.000 blessés (!) depuis un an. Il présente une photo du kamikaze ayant conduit l'opération contre les Français un an plus tôt en 2018, Hassan Osman Ansari, qui pose devant un véhicule qui semble être une camionnette. L'EI prétend que l'explosion a tué cinq soldats français (!), en plus d'en avoir blessé un certain nombre. Le groupe annonce également une attaque à l'IED quelques jours plus tard, à l'ouest de Ménaka, sur des véhicules français, opération également revendiquée par le GSIM... L'article détaille aussi l'attaque complexe du 10 mars 2019: le kamikaze s'appelle cette fois Omar Sindah, que l'on voit en photo également. Il est intéressant de constater que l'article lie les opérations de l'EIGS avec celles de la branche Afrique occidentale, qui vise l'armée nigérienne à la frontière avec le Nigéria. La branche sahélienne quant à elle s'escarmouche avec l'armée nigérienne à l'ouest du Niger. L'article revient également sur l'embuscade de Tongo Tongo (octobre 2017) et revendique aussi le kidnapping et l'assassinat d'un géologue canadien, Kirk Woodman, enlevé à la frontière entre le Burkina-Faso et le Niger le 15 janvier dernier et exécuté peu après. Une photo présente d'ailleurs une pièce d'identité de Woodman à côté de celle du Staff Sergeant Dustin Wright, un des 4 bérets verts tués durant l'embuscade de Tongo Tongo. Cette double page dresse donc le bilan d'un an et demi d'activité de l'EIGS.
Le kamikaze qui s'est jeté sur des véhicules français le 11 janvier 2018, Hassan Osman Ansari.
A gauche, pièce d'identité d'un des quatre bérets verts tué à Tongo Tongo; à droite celle de Kirk Woodman, géologue canadien enlevé au Burkina-Faso à la frontière avec le Niger.
L'attaque complexe du 10 mars vise une position française à Akabar, dans l'est du Mali, près de la frontière avec le Niger.
Le 12 avril, un communiqué de revendication sous le label de la province Afrique occidentale de l'Etat islamique incorpore une opération s'étant déroulée au sud de Ménaka, au Mali, dans la zone de l'Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) de l'EI. L'assassinat d'un commandant touareg a été confirmé par le MSA.
L'Etat islamique cherche probablement, depuis un mois, à récupérer pour sa propagande les opérations de l'EIGS. Mais comme il n'a pas de lien direct avec cette branche, il a choisi de passer par la branche nigériane avec laquelle il est beaucoup mieux relié depuis l'an dernier. On ne s'explique pas autrement que les opérations de l'EIGS soient revendiquées sous le nom de la branche Afrique occidentale (Nigéria) de l'EI. Aucun indice pour l'instant ne laisse penser qu'un contact direct a été établi entre la branche sahélienne et l'appareil central de l'EI, ou qu'un contact direct soit également créé entre l'EIGS et la branche nigériane.
Voir:
En Tunisie, la menace de l'Etat islamique grandit mais reste marginale
Guerre au Yémen: l'Etat islamique profite du conflit pour s'implanter
L'Etat islamique en Afrique subsaharienne: la nouvelle menace
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