Puissante contre-offensive de l'Etat islamique dans le désert syrien

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Matteo Puxton, édité par la rédaction.
Publié le 16 octobre 2018 - 16:36
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A la faveur d'une tempête de sable, l'Etat islamique a lancé une contre-offensive contre les Forces démocratiques syriennes.
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A la faveur d'une tempête de sable, l'Etat islamique a lancé une contre-offensive contre les Forces démocratiques syriennes.
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La réalité du terrain déjoue parfois les prises de paroles les plus optimistes sur le supposé état moribond de Daech au Levant. Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de l'Etat islamique, raconte sur France-Soir, la puissante contre-offensive lancée par le groupe terroriste dans le désert syrien qui illustre le maintien de capacités militaires importantes au sein de l'organisation djihadiste.

Contrairement aux déclarations d'Emmanuel Macron, de Vladimir Poutine ou de Bachar al-Assad, l'Etat islamique n'était pas territorialement "fini" en Syrie en novembre 2017. Il s'est maintenu sur plusieurs poches le long de la frontière irakienne et le long de l'Euphrate. La coalition arabo-kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui avaient repris Gharanij et al-Bahra sur l'Euphrate, respectivement en janvier et février 2018, avaient ensuite arrêté leur offensive.

L'attaque turque sur le canton d'Afrin avait détourné d'importants effectifs de l'YPG (milices kurdes syriennes) mobilisés ailleurs. L'offensive ne reprend qu'en mai 2018: il faudra trois mois aux FDS pour réduire les poches de l'organisation terroriste à la frontière irakienne, jusqu'au début du mois d'août. Entretemps, le régime syrien a éliminé l'enclave de l'Etat islamique dans le quartier du Yarmouk au sud de Damas (21 mai 2018) et la poche du Golan (31 juillet 2018). L'EI se maintient donc, sur le plan territorial, uniquement dans la poche sur l'Euphrate autour des villes d'al-Shafah et Hajin.

Situation au 10 septembre, début de l'offensive des FDS contre la poche de Hajin.

Le 10 septembre, les Forces démocratiques syriennes se lancent à l'assaut du dernier bastion territorial clairement délimité de l'Etat islamique en Syrie. C'est l'opération Roundup, menée avec la coalition internationale contre le groupe, qui prend la suite de l'opération Jazirah Storm, nom de code initial de la progression des FDS dans la province de Deir Ezzor depuis septembre 2017 (le nom a été modifié dès mai 2018).

Les djihadistes ont eu le temps de se fortifier: si les FDS engagent sur le papier 6.000 combattants, il n'en demeure pas moins que le groupe terroriste oppose une résistance acharnée, basée sur un réseau de tunnels, sur de multiples IED (engins explosifs improvisés) et l'action des snipers visibles dans un reportage photo complet qui leur est dédié le 22 septembre. Le 11 septembre, une vidéo Amaq montre les combats à Baghouz Fouqani, et six corps de combattants des arabo-kurdes.

L'Etat islamique aurait tiré des missiles TOW sur les véhicules des FDS, sans que des images soient venues le confirmer ; selon un schéma éculé, des pneus ont été incendiés à Hajin pour masquer l'observation aérienne. Le groupe djihadiste pratique une guérilla d'usure pour ralentir au maximum la progression des FDS, tout en contre-attaquant fréquemment selon son habitude, dès que les circonstances s'y prêtent.

Sniper de l'EI, en tenue camouflée, avec un fusil de précision Steyr SSG 69 sur le front de Baghouz Fouqani. Reportage photo du 22 septembre.

La bataille marque le retour de l'ancienne wilayat al-Barakah, qui assure la défense de la partie de la poche attaquée, et qui avait disparu de la propagande depuis le 26 juillet. Cette wilayat, qui jusqu'à la disparition des provinces de l'Etat islamique en Syrie et en Irak le 10 juillet, désignait plutôt la partie nord de la poche de Hajin et la province de Hasakah, semble maintenant correspondre à l'ensemble de la poche dans la propagande de l'EI.

Dès le 13 septembre, un premier reportage photo montre le bombardement au mortier de 120 mm de Baghouz Fouqani. Le 15 septembre, d'autres photos montrent notamment plusieurs mitrailleuses lourdes de 12,7 mm W85 en action. Attaqué par les FDS, l'EI continue toutefois de pilonner, le même jour, les positions du régime de l'autre côté du fleuve, autour d'al-Boukamal, avec un canon sans recul SPG-9. Le 16 septembre, un autre reportage photo montre encore 6 corps de combattants des FDS au nord de Baghouz. L'organisation terroriste capture un lance-roquettes RPG-7, des fusils d'assaut AK, des roquettes et des munitions, une mitrailleuse PKM. Le 17 septembre, les djihadistes tirent sur les véhicules des Forces démocratiques syriennes au nord de Baghouz. Le 20 septembre, un autre reportage montre des tirs de snipers dans la localité, puis un bombardement au mortier de 120 mm. Le 21 septembre, l'EI bombarde au mortier les positions du régime à al-Khayrat.

Les Forces démocratiques syriennes s'emparent finalement de Baghouz Fouqani le 20 septembre, dix jours après le début de l'offensive, et du pont détruit menant à al-Boukamal, de l'autre côté de l'Euphrate. L'Etat islamique contre-attaque toutefois immédiatement et inflige des pertes aux FDS dans la localité. Les arabo-kurdes s'emparent d'al-Shajalah, au nord de Baghouz, le 25 septembre. Leur progression reste lente. Le groupe salafiste, bien retranché, utilise les réseaux de tunnels, les engins explosifs improvisés et des tactiques de guérilla pour retarder la progression des Forces démocratiques syriennes. Puis le groupe engage des véhicules kamikazes, des commandos inghimasi, avec parfois des combattants étrangers, et même des voitures piégées frappant l'arrière des FDS (une à Gharanij, prise en février dernier par ces derniers). Outre les missiles antichars, l'EI compte aussi sur ses snipers, pratique les tirs de harcèlement précis avec des canons sans recul SPG-9 et des bombardements rapides au mortier de 120 mm. Le 23 septembre, les combattants terroristes continuent de tirer sur les positions du régime syrien, de l'autre côté de l'Euphrate, avec un canon sans recul SPG-9.

Situation au 25 septembre. Les FDS ont progressé au sud de la poche de Hajin, reprenant Baghouz Fouqani et le pont détruit vers al-Boukamal, puis remontant vers le nord, s'emparant d'al-Shajilah le 25 septembre.

Le 24 septembre, un reportage photo montre l'action des détachements spécialisés de l'Etat islamique mettant en œuvre les missiles antichars. L'EI fait un emploi très économe des missiles antichars depuis la perte de ses derniers territoires en Irak et la perte de l'essentiel de son territoire en Syrie à l'automne 2017. La bataille d'al-Boukamal avait vu un regain de tirs de missiles antichars contre des véhicules du régime syrien, mais ici l'EI avait opposé une certaine résistance.

Pendant la bataille de Raqqa, l'organisation djihadiste avait économisé le stock de missiles durant les combats sur le pourtour de la ville pour en utiliser certains dans des frappes contre des bâtiments occupés par les Forces démocratiques syriennes. Alors que pendant la bataille de Mossoul, au vu du nombre impressionnant de véhicules déployés par l'armée irakienne, l'EI avait quasiment tiré tous ses missiles antichars lors de la bataille à l'extérieur de la ville.

Lanceur Konkurs/Fagot de l'EI en action sur le front de Baghouz (23 septembre 2018).

Cette année, l'Etat islamique avait utilisé, en défense, un lance-missiles antichars Metis-M lors des combats à al-Bahra et Gharanij (reportage photo du 9 février). L'EI a déployé un lance-missiles antichars durant un raid, par mauvais temps, à l'est de la poche de Hajin, en février dernier, sur de petites positions des FDS (reportage photo du 11 février, vidéo du 26 février). Cet été, ponctuellement, Daech a visé des véhicules du régime syrien de l'autre côté de l'Euphrate, avec des missiles antichars.

Depuis le lancement de l'offensive des FDS contre la poche de Hajin, le 10 septembre dernier, l'Etat islamique a utilisé, avec parcimonie, ses missiles antichars. Un reportage photo du 23 septembre nous montre un lanceur russe Konkurs/Fagot qui vise avec un missile un véhicule des FDS embossé dans une position défensive. Un autre lanceur du même type, peut-être monté sur véhicule comme celui du reportage photo du 11 février, frappe un Humvee là-encore livré aux Américains par les Forces démocratiques syriennes. Visiblement l'EI, qui dispose peut-être d'un stock de missiles moins conséquents, et a conservé des missiles pour cette bataille, choisit ses cibles avec soin et privilégie les véhicules.

Le 25 septembre, l'Etat islamique montre des images des combats dans Baghouz, avec notamment une mitrailleuse lourde W85 (12,7 mm) en action. La contre-attaque de l'EI dans la localité est précédée par l'explosion d'un véhicule kamikaze, également photographiée pour la propagande.

Le 26 septembre, un reportage photo montre de nouveau le bombardement au mortier des positions du régime de l'autre côté de l'Euphrate, puis un second capture des tirs de canon sans recul SPG-9. Une vidéo Amaq le lendemain montre un tir de roquette sur une position du régime syrien au nord d'al-Boukamal. Le 28 septembre, un nouveau reportage photo montre un combattant du régime abattu par un sniper de l'EI.

Le 29 septembre, l'Etat islamique montre l'activité de ses détachements de mitrailleuses lourdes sur le front. Le groupe dispose d'une M2HB américaine de 12,7 mm, probablement prise sur la Nouvelle Armée Syrienne (groupe rebelle) lors de son raid raté sur al-Boukamal en juin 2016, et d'une mitrailleuse lourde DSHK de même calibre. Ce jour-là, l'EI jette un véhicule kamikaze avec deux hommes sur Baghouz: Abou al-Shami  (Syrien) et Abou Harith al-Samarraï (Irakien). Un combattant étranger, Abou Qasim al-Muhajir, est également jeté comme kamikaze ou inghimasi dans Baghouz (sur la photo de l'EI, il porte une ceinture d'explosifs et un détonateur). Ce même jour, le groupe djihadiste tire sur un poste du régime syrien de l'autre côté de l'Euphrate. Une vidéo Amaq montre plus tard l'explosion d'un véhicule kamikaze dans Baghouz.

Un des deux conducteurs du véhicule kamikaze lancé par l'EI le 29 septembre dans Baghouz (un Irakien). On note les béquilles.

Le 1er octobre, l'Etat islamique tire au SPG-9 sur les véhicules du régime syrien dans la petite localité de Sayyal, de l'autre côté de l'Euphrate. Le groupe conduit une contre-attaque sur le village de Mozan, au nord d'al-Shajalah, qui mobilise des moyens importants: véhicule blindé improvisé transport de troupes, technicals, fusil anti-matériel improvisé, canon sans recul SPG-9...

Le 4 octobre, l'EI tire encore au SPG-9 sur les positions du régime, de l'autre côté de l'Euphrate. Le 5 octobre, le groupe détruit au SPG-9 une position des FDS dans Mozan. Un autre reportage photo montre les combats dans ce dernier village, et un bombardement au mortier de 120 mm. L'Etat islamique publie un poster d'hommage posthume, le 6 octobre, à un combattant ouzbek décédé dans la wilayat al-Barakah. Ce même 6 octobre, un combattant français de l'YPG, Farin Medjahed, est tué sur le front de Hajin. Le 7 octobre, l'organisation terroriste tire encore des obus de mortier et des obus de SPG-9 sur les positions des FDS à Mozan.

Le 9 octobre, un reportage photo montre la destruction d'un véhicule des FDS avec un missile antichar à Baghouz. Le véhicule incendié semble être un MRAP Maxx Pro. Il s'agit d'un véhicule conçu pour mieux résister aux engins explosifs improvisés conçu par la compagnie Navistar. Le véhicule est en service dans l'armée irakienne, on a pu en voir de nombreux exemplaires pendant la bataille de Mossoul, certains frappés, eux aussi, par des missiles antichars de l'EI. Mais le reportage du groupe montre qu'à l'évidence des Maxx Pro ont aussi été livrés aux Forces démocratiques syriennes.

L'EI contre-attaque au nord d'al-Shajilah à partir du 1er octobre et maintient la pression sur Baghouz.

Le 10 octobre, l'Etat islamique revendique avoir tué 18 combattants du "PKK" lors d'une contre-attaque. Il s'agit cette fois d'un assaut plus conséquent: l'EI a lancé une contre-offensive autour de Hajin, au nord de la poche, attaquant plusieurs positions des Forces démocratiques syriennes et revendiquant deux tués. Un raid est lancé au nord-est d'al-Bahra, derrière les lignes des FDS, avec un total de 16 tués et blessés revendiqués. Enfin, les djihadistes se défendent sur le front d'al-Soussah, au sud-est de la poche, et prétend avoir attiré les arabo-kurdes dans un champ de mines, entraînant cinq pertes, dues aux mines et aux tirs de mortiers. Un reportage photo montre d'ailleurs la défense de l'EI à al-Soussah.

10 octobre : un pick-up Toyota Hilux avec canon ZU-23 de l'EI ouvre le feu à al-Soussah.

Le 11 octobre, profitant des mauvaises conditions météo (tempête de sable) qui clouent l'aviation de la coalition au sol, l'EI va accélérer le rythme de sa contre-offensive. Un premier reportage photo montre déjà le raid au nord-est d'al-Bahra la veille: on y voit trois tués des FDS. Une vidéo Amaq montre ensuite la défense d'al-Soussah: les combattants djihadistes, qui se déplacent à moto, utilisent une mitrailleuse W85 montée à l'arrière d'un des engins, ainsi qu'un canon sans recul SPG-9 porté à l'épaule.

Une image de l'EI montre ensuite un second véhicule MRAP de type Maxx Pro incendié par les djihadistes après avoir été capturé. Le communiqué du groupe explique qu'une contre-attaque a été montée à l'est d'al-Shafaa, vers al-Soussah: les combattants des FDS ont reculé, poursuivis par l'EI qui s'en est pris, à la frontière syro-irakienne, aux positions des miliciens irakiens du Hashd. Un reportage photo montre le raid lancé au nord et à l'est d'al-Shafah et al-Kashmah: ce raid implique manifestement une colonne mécanisée dont on voit un des technicals. Une vidéo Amaq détaille également ce raid qui implique également des motos.

Une vidéo filmée dans al-Shafah et récupérée par le site Euphrates Post montre le retour d'une colonne de l'EI après un des raids: on y voit notamment des dizaines de combattants de l'Etat islamique à moto. Une autre vidéo non officielle de l'organisation terroriste montre le Maxx Pro avant qu'il ne soit incendié (on observe un opérateur média de l'EI filmant avec sa caméra, la séquence pourra peut-être vue dans une vidéo à venir). Chose intéressante, deux véhicules blindés improvisés, dont l'un d'une taille respectable, font partie de la colonne d'assaut. L'Etat islamqiue a donc bien encore ce type de véhicules, que l'on voyait dès les reportages photos du 1er octobre, qu'il dissimule pour éviter qu'ils ne soient détruits par l'aviation ou les drones, et qu'il utilise pour ses raids dès que les conditions sont favorables.

A côté du Maxx Pro pris par l'EI, deux véhicules blindés improvisés dont, à gauche, un exemplaire particulièrement imposant.

Le 12 octobre, un reportage photo montre un nouveau raid lancé au nord-est d'al-Bahra. L'EI tue au moins cinq combattants des FDS et en capture cinq autres. Un autre raid est lancée par une autre colonne mécanisée sur le camp de réfugiés au nord de Hajin. Ici l'Etat islamique tue au moins six combattants des Forces démocratiques syriennes et fait deux prisonniers. Dans le même temps, le groupe pilonne les positions des arabo-kurdes à Mozan au SPG-9.

Le 13 octobre, un reportage photo montre une importante colonne mécanisée impliquée dans un raid au nord-est d'al-Kashma: au moins quatre technicals, deux pick-up et quatre motos en font partie. L'organisation djihadiste tue cinq combattants des FDS et capture un nouveau prisonnier. Une vidéo Amaq montre les combats au nord et à l'est de Hajin la veille: elle filme les huit prisonniers capturés par l'EI durant sa contre-offensive menée sur plusieurs jours.

13 octobre: une colonne de l'Etat islamique lance un raid au nord-est d'al-Kashma.

Le 14 octobre, une nouvelle vidéo Amaq montre un raid en direction d'al-Bahra, ce qui implique que l'EI a bien repris la périphérie de la ville de Hajin, d'où les combattants arabo-kurdes se sont retirées. Le raid engage au moins un technical. Une position des FDS est prise, et cinq combattants au moins sont tués.

Profitant d'une tempête de sable, l'Etat islamique lance une contre-attaque généralisée, utilisant des moyens conséquents dont de nombreux véhicules, à partir du 10 octobre. Les FDS subissent des pertes sensibles.

Comme le montre la récente contre-offensive de l'Etat islamique, les Forces démocratiques syriennes n'ont donc pas la partie facile dans leur assaut de la poche de Hajin. Il ne faut pas oublier qu'elles ne sont composées que de miliciens, et que tout le matériel lourd est fourni par la coalition, notamment les Américains. De la même façon, les arabo-kurdes ne pourraient progresser sans l'appui aérien de la coalition et son appui d'artillerie -dont les tirs des Caesar français basés en Irak, non loin de la frontière. Le groupe a su ménager ses forces en menant une guérilla d'usure dans les premières semaines de l'offensive des FDS, avant de lancer une contre-attaque massive en profitant des conditions météo. Reste à voir comment les ils reprendront la main pour réduire le dernier bastion territorial du groupe terroriste en Syrie.

Voir aussi:

L'Irak aux mains des milices chiites: l'exemple du Badr

Syrie: Katibat Jabal al-Islam, guérilla djihadiste dans la province de Lattaquié

Bataille d'Idlib: les snipers albanais des djihadistes d'Hayat Tahrir al-Cham

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