Replié dans le désert, l'Etat islamique harcèle les forces russes et syriennes

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Matteo Puxton, édité par Maxime Macé.
Publié le 06 mai 2019 - 16:57
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L'Etat islamique multiplie les attaques depuis le désert syrien.
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L'Etat islamique multiplie les attaques depuis le désert syrien.
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De retour depuis plusieurs mois à une stratégie insurrectionnelle, l'Etat islamique multiplie les attaques contre les forces du régime de Damas et de son allié russe dans la Badiyah, la vaste zone désertique au sud-est de la Syrie. Ces opérations sont particulièrement relayées par la propagande de l'organisation djihadiste comme l'explique pour France-Soir Matteo Puxton, observateur de référence du groupe djihadiste.

L'Etat islamique (EI) parvient à maintenir des forces dans la Badiyah, la vaste zone désertique au sud-est de la Syrie. Récemment les revendications d'attaques, jusqu'ici fort rares, se sont accrues. Le régime syrien et ses alliés continuent de perdre des hommes à un rythme régulier dans ce secteur, preuve que les djihadistes y restent bien présents.

L'EI a été chassé de l'est de la province de Homs à l'été 2017, quand les forces du régime syrien et leurs alliés étrangers ont entamé leur grande offensive vers l'est, en direction de Deir Ezzor. Toutefois, le groupe a réussi à se maintenir dans la Badiyah, sur un très large arc de cercle allant du nord-est de la province de Suweyda au nord de la base américaine d'al-Tanaf en passant par les environs de Palmyre et d'al-Suknah, jusqu'aux lisières de la station de pompage T2, de Mayadin et d'al-Boukamal.

En 2018, l'Etat islamique a multiplié les attaques dans ce secteur contre les convois de ravitaillement et les petites positions du régime syrien. Le 16 juin, il annonce ainsi avoir détruit un char et un camion chargé de munitions près de la station de pompage T3, à l'est de Palmyre. Le 7 juillet, le groupe annonce la mort du propre fils d'Abou Bakr al-Baghadi, Hudhayfah, tué lors d'une opération inghimasi dans la province de Homs. C'était le dernier document en date dans la province. Depuis, les attaques ont continué, sans être revendiquées par la propagande officielle de l'EI, ce qui témoigne peut-être de difficultés pour conserver un lien avec l'appareil de propagande.

Lire aussi - Un des fils d'Abou Bakr al-Baghdadi a été tué en Syrie annonce l'Etat islamique

Le 4 janvier 2019, le général de brigade Hassan Hawami, le chef du génie de la 18ème division syrienne, est annoncé mort près de Palmyre. Le 12 janvier, un convoi de ravitaillement est attaqué près de Palmyre, au moins un soldat syrien est tué. Le 22 janvier, ce sont quatre hommes, dont un capitaine, qui sont tués. Le 2 février, un véhicule est pris en embuscade à 35 km au sud-est d'al-Suknah. Plusieurs soldats sont encore tués dans le secteur fin février.

Le 4 mars, une vidéo largement diffusée sur les réseaux sociaux montre un soldat syrien filmant en mode selfie le convoi dont il fait partie et l'explosion d'un IED qui tue le colonel Khader, commandant d'une unité d'artillerie, dans la zone de Shoula, à l'ouest de Deir Ezzor. Le 9 mars, quatre soldats, dont un major de la 17ème division, se tuent dans un accident à l'est d'al-Suknah. Le 12 mars, un IED explose aux abords d'al-Suknah; trois soldats avaient été tués quelques jours plus tôt par un autre IED aux environs de la station T2. Le 16 mars, des combattants de l'EI avaient pénétré dans la ville de Sawannah, tuant quatre civils avant de se replier dans le désert. Le 25 mars, un colonel est tué sur la route Palmyre-Deir Ezzor avec plusieurs de ses hommes.

4 mars: un soldat se filmant en selfie dans un convoi passant à Shoula (ouest de Deir Ezzor) capture l'explosion de l'IED qui tue un colonel.

La lettre hebdomadaire de l'Etat islamique al-Naba, dans son numéro 174 du 21 mars 2019, annonce que le groupe a tué récemment lors d'une embuscade près d'al-Suknah 19 soldats syriens et 6 soldats russes. Une autre embuscade au sud de Palmyre contre un véhicule du régime aurait provoqué quatre morts syriens supplémentaires. L'EI signale aussi que des convois sont régulièrement visés par des IED.

Le 25 mars, le ministère de la Défense russe a annoncé la mort de 3 soldats russes en Syrie, dans la province de Deir Ezzor, suite à une embuscade sur leur véhicule. Les faits se seraient produits dans le désert à l'ouest de Mayadin, le 22 février dernier. Parmi les morts figure le major Karimov de la 38ème brigade de fusiliers motorisés de la Garde. Karimov, qui parlait l'arabe, servait d'interprète et opérait manifestement en Syrie avec des Spetsnaz et non avec son unité d'origine. Une vidéo diffusée par les forces syriennes montre le véhicule, un UAZ Hunter, criblé de balles. Les Russes prétendent qu'une opération combinée entre leurs forces spéciales et l'aviation auraient permis d'éliminer 30 terroristes (!) mais aucune image ne vient le confirmer. Novaya Gazeta ajoute plus tard quelques détails. Les trois officiers russes étaient accompagnés d'un colonel syrien, faisant office d'interprète. Ils étaient dans un convoi avec au moins six autres véhicules dont deux armés, en mission de reconnaissance pour installer une base près de la station de pompage T2. Le véhicule a été séparé du convoi, pour une raison inconnue (panne?) et c'est là qu'il a été attaqué. Le major et le colonel syrien ont été tués devant le véhicule, les deux autres Russes quelques heures plus tard. Les forces spéciales russes soutenues par l'aviation ont ensuite récupérés les corps. Les Russes pensent que l'information concernant le convoi a été transmise à l'Etat islamique, sans savoir de qui elle provient (combattants de l'EI réincorporés dans les forces du régime, unité pro-iranienne...). Un des 2 autres Russes tués serait Yevgeny Filatov, un soldat contractuel de la 76ème division aéroportée.

 

Le major Karimov, de la 38ème brigade de fusiliers motorisés de la Garde, tué dans l'embuscade du 22 février avec 2 autres soldats russes à l'ouest de Mayadin. Interprète, il servait probablement avec des Spetsnaz vu l'équipement montré ici.

Le 7 avril 2019, la propagande de l'Etat islamique diffuse une vidéo dans le secteur de la Badiyah intitulée: "Agence Amaq: vidéo obtenue par Amaq montrant les corps de deux officiers russes et des prisonniers de l'armée syrienne dans la Badiyah de Homs". La vidéo est relativement courte (32 secondes). L'opérateur média qui filme la scène, sans doute avec un téléphone portable, interroge un prisonnier syrien blessé au bras droit (qui dit s'appeler Munther al-Assas). Ce dernier désigne les deux corps qui sont à l'arrière du pick-up, à côté de lui, comme des Russes. Toutefois, l'homme à gauche semble être encore en vie puisqu'on distingue un mouvement de sa main gauche, sans que l'on puisse être sûr qu'il s'agit bien de lui bougeant, et non du combattant de l'EI le faisant bouger, vu l'angle de la caméra. Si les corps des soldats russes annoncés comme décédés le 25 mars ont été rapatriés en Russie, il faut donc supposer que la vidéo Amaq, que l'on ne peut dater précisément, ne montre pas cette embuscade datée par les Russes du 22 février, mais une autre, peut-être celle signalée par al-Naba.

 

L'UAZ Hunter criblée de balles de l'embuscade où trois soldats russes ont été tués le 22 février dernier.

Le régime syrien continue de subir des pertes dans la Badiyah durant la deuxième semaine d'avril. Liwa al-Quds, brigade palestinienne pro-régime et soutenue par les Russes, a plusieurs de ses combattants tués ou blessés dans la province de Deir Ezzor, peut-être, de nouveau, lors de l'attaque d'un convoi entre al-Suknah et Deir Ezzor. En tout ce serait dix hommes qui auraient péri, les plus grosses pertes reconnues par cette formation depuis août 2017. Le Syrien visible sur la vidéo Amaq de l'Etat islamique le 7 avril, Munther el-Assas, serait un général de brigade (!), chrétien, originaire de Qusayr dans l'ouest de la province de Homs.

L'agence non officielle liée à l'EI Moata annonce la mort du général de brigade Munther al-Assas...

... que l'on reconnaît sur cette capture d'écran de la vidéo Amaq du 7 avril diffusée par l'EI.

Le 17 avril, l'Etat islamique annonce avoir attaqué des forces du régime syrien près de l'oasis d'al-Kawn, au nord d'al-Suknah. L'attaque, lancée avant l'aube, aurait entraîné la mort de 15 hommes dont quatre officiers, la destruction de deux camions et la capture de deux autres véhicules. D'après les sources du régime, ce serait le groupe commandé par le colonel Nadeq Sadr qui aurait été anéanti. Le 18 avril, le numéro 178 d'al-Naba consacre un encadré à cette dernière embuscade. Le 19 avril, le groupe terroriste annonce avoir tué 20 combattants du régime, détruit quatre véhicules en avoir capturé sept autres près du Jabal Bishri, au nord-est d'al-Suknah. Le groupe aurait pris en embuscade un détachement de Liwa al-Quds venu récupérer les corps de ses miliciens tués quelques jours plus tôt. Le 25 avril, l'EI revendique une attaque à l'IED près du barrage Uwayrid, dans la Badiyah, à 75 km au sud d'al-Suknah et à 95 km au sud-est de Palmyre. Le numéro 179 d'al-Naba paru le 25 avril consacre un encadré à l'embuscade du 19 avril: l'Etat islamique annonce 20 tués dont trois officiers, et quatre véhicules détruits dans le convoi attaqué, la bataille aurait duré une journée. L'EI prétend aussi avoir récupéré des armes et des munitions, dont des obus pour canon ZU-23 et des missiles antichars.

Le 27 avril, le groupe djihadiste diffuse coup sur coup deux reportages photos. Le premier montre la capture et l'exécution de deux "membres de l'armée nousayrite dans désert autour d'al-Sukhna"; impossible de dire s'il s'agit de prisonniers capturés lors des embuscades précédentes. Le second illustre la "ghanima" (butin) de l'embuscade au Jabal Bishri, le 19 avril. On peut voir trois corps de combattants du régime. Les photos montrent aussi plusieurs pick-up et un camion détruit, et des technicals récupérés en état: l'un est armé d'un canon ZU 23-2, un autre d'une mitrailleuse lourde DSHK (12,7mm), un autre enfin d'un canon sans recul SPG-9. Plus rare, l'EI s'empare d'un fusil anti-matériel HS.50 autrichien de 12,7 mm; c'est surtout la version iranienne de l'arme, l'AM 50/Sayyad 2, que l'on voyait chez les factions alliées de l'Iran en Syrie ou en Irak, mais ici il s'agit de l'arme originale. A côté, un cache-oreilles et un sac Golan pour le transport de la lunette de visée.

L'EI diffuse cette image montrant un technical capturé aux Forces nationales de défense après l'embuscade tendue au nord-est d'al-Sukhnah le 19 avril.

Le 29 avril, l'Etat islamique revendique de nouveau deux opérations autour d'al-Suknah, et la mort de dix hommes et un officier du régime syrien, dans deux opérations différentes. Dans une embuscade, huit hommes sont capturés puis exécutés, quatre motos, des armes et des munitions sont récupérées. Une attaque à l'IED à l'est d'al-Suknah aurait tué, selon l'organisation terroriste, un officier et deux soldats du régime. Plus tard dans la soirée, le groupe diffuse un reportage photo montrant l'exécution de plusieurs prisonniers. Le 30 avril, l'Etat islamique annonce de nouveau six tués et quatre blessés dans deux attaques différentes, ainsi qu'un véhicule capturé; l'une des attaques a eu lieu au sud-est de Palmyre. Il semblerait que l'EI ait établi un faux barrage, les djihadistes étant déguisés avec des uniformes du régime, pour arrêter un véhicule et exécuter ses occupants. Dans la soirée, un nouveau reportage photo montre une des deux attaques à l'est-sud-est de Palmyre: un camion a été détruit, sans doute par un IED, un homme a été tué.

L'EI reste présent dans la Badiyah, le désert au sud/sud-est de la Syrie, de Tal Safaa au nord-est de la province de Suweyda jusqu'aux abords des villes de Deir Ezzor, Mayadin et al-Boukamal à la frontière irakienne. Des convois sont régulièrement attaqués entre Palmyre et al-Suknah et des véhicules pris en embuscade autour des stations T3 et T2, comme le 22 février dernier où 3 Russes ont été tués. La zone verte représente le secteur autour de la base américaine d'al-Tanaf.

Attaques revendiquées par l'EI au mois d'avril. On pouvait penser que le groupe avait migré au nord de la Badiyah, peut-être pour échapper aux opérations de râtissage du régime et de ses alliés, mais les dernières attaques ont lieu dans la partie sud, vers la station T3, et entre les stations T3 et T2. L'EI reste donc bien présent dans ce secteur.

Au vu du déroulé des faits ces dernières semaines, il faut donc supposer que l'Etat islamique a su maintenir une présence plus forte qu'escompté dans la Badiyah. Les opérations de ratissage du régime depuis un an et demi n'y ont rien changé; les djihadistes sont toujours en mesure de harceler l'adversaire. L'Etat islamique semble, après la chute de Baghouz, pousser en avant dans sa propagande les combattants de la Badiyah, peu visibles jusqu'ici: les revendications d'opérations sont de plus en plus nombreuses.

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