Syrie : l'EI inflige un revers aux FDS dans l'est, mais reste acculé
Le 23 octobre 2018, l'Etat islamique (EI) a diffusé sur Telegram une vidéo du secteur baptisé al-Barakah intitulée "Les assauts des partisans de l'unicité divine" , d'une durée d'un peu plus de 21 minutes. Dans l'ancien système des wilayats (provinces) de l'EI, al-Barakah désignait la province d'Hasakah, au nord-est de la Syrie. Au début de cette année, ce secteur comprenait jusqu'à la partie nord de l'actuelle poche de Hajin, autour de la ville du même nom. Depuis que l'EI a abandonné son système de provinces en Syrie et en Irak, le 10 juillet, al-Barakah désigne maintenant, depuis le mois de septembre, la poche de Hajin dans son entier.
Carte du secteur des opérations. La poche de Hajin est située le long de l'Euphrate, près de la frontière irakienne, entre le territoire tenu par le régime syrien et ses alliés et celui tenu par les FDS.
C'est la première vidéo que l'EI publie dans ce secteur depuis le 22 février, c'est à dire depuis la dernière grande offensive des Forces Démocratiques Syriennes (FDS) qui avaient repris à cette occasion, après de violents combats, les villes de Gharanij et al-Bahra, au nord-ouest de Hajin. La vidéo du 23 octobre, qui récapitule en quelque sorte la défense de l'EI depuis le début de l'offensive des FDS contre la poche de Hajin le 10 septembre dernier, se concentre toutefois sur les contre-attaques lancées entre les 10 et 13 octobre, au moment d'une tempête de sable ayant frappé le secteur. Profitant des mauvaises conditions météos, l'EI a remporté des succès locaux que sa propagande cherche ici à monter en épingle, pour renouer avec le récit des grandes victoires mises en scène par le groupe les années passées.
En dépit de cette mise en scène, il faut remarquer que cette vidéo nous livre un certain nombre d'informations sur les capacités militaires de l'EI assiégé dans la poche de Hajin. D'abord, en termes de stratégie: l'EI a volontairement choisi une défense d'usure, harcelant les FDS à coups de mortiers, de tirs de snipers ou de missiles antichars, utilisant un réseau de tunnels bâti avant l'offensive et les engins explosifs improvisés (IED). Ponctuellement, le groupe lance des contre-attaques pour maintenir sous pression les FDS, comme on le voit dès le mois de septembre. Toutefois, entre les 10 et 13 octobre, les effectifs engagés dans les contre-attaques sont beaucoup plus conséquents. La vidéo du 23 octobre montre plusieurs scènes avec plusieurs dizaines de combattants, voire parfois jusqu'à 50. Les escouades de fantassins (huit à dix hommes) mobilisés par l'EI sont particulièrement nombreuses, ce qui ne s'était pas vu depuis longtemps.
L'EI nous montre aussi des armes utilisées dans la bataille qui n'étaient pas apparues jusqu'ici, sans sa propagande, que ce soit à travers les photos ou les vidéos courtes du média Amaq. On peut ainsi observer un lance-missiles antichars Kornet, qui est utilisé pour frapper des combattants des Forces Démocratiques Syriennes installés sur le toit d'un bâtiment. La vidéo filme aussi le tir de missile antichar sur un MRAP Maxx Pro sans aucun doute livré aux FDS par les Etats-Unis : c'est un lanceur Fagot qui réalise semble-t-il ce coup au but contre ce véhicule. En ce qui concerne les snipers, si l'EI nous montrait dans ses reportages photos des fusils anti-matériel bricolés à partir de tubes antiaériens, un Steyr SSG 69 ou des SVD Dragunov, la vidéo confirme l'emploi d'un fusil anti-matériel Zijiang M99 de 12,7 mm, que le groupe avait déjà employé par le passé, mais qui n'était pas apparu jusqu'ici dans la propagande de l'EI sur place, depuis le 10 septembre.
Lance-missiles antichars Kornet utilisé par l'EI.
L'élément le plus intéressant reste peut-être la capacité de l'EI à camoufler des véhicules, en dépit de l'observation par drone ou autres appareils de ses positions. Comme c'était déjà le cas au début de l'année, le groupe arrive donc à dissimuler ses véhicules et à les sortir de leurs caches quand les conditions s'y prêtent. La vidéo montre ainsi trois véhicules blindés improvisés transports de troupes bâtis sur des pick-up, sur le modèle des deux vus en 2017, tous armés d'une mitrailleuse GAU 16/21 de 12,7 mm. Dans les colonnes mécanisées employées pour assaillir des petites positions des FDS autour de la poche de Hajin, on ne compte plus les technicals -pick-up armés de mitrailleuses lourdes KPV (14,5 mm), de ZPU-2 (2x14,5 mm) ou de canon ZU-23 (23 mm). L'EI parvient même à conserver un camion armé d'un canon M1939, ou sa copie chinoise, de 37 mm, utilisé en tir tendu contre des objectifs au sol, et un pick-up où a été fixée la tourelle démontée d'un véhicule blindé BMP-1. Ce montage, utilisé dans les combats de janvier-février 2018, n'était plus apparu dans la propagande de l'EI depuis cette époque. Après la vidéo du 23 octobre, il réapparaît aussi dans un reportage photo diffusé le 24 octobre par l'EI. A noter que l'EI fait aussi un usage très important des motos pour transporter les combattants, qui accompagnent les technicals ou les véhicules blindés improvisés, les camions légers et autres pick-up. Quand les conditions météos sont bonnes, l'EI incendie immédiatement des pneus pour tenter de masquer l'observation aérienne, afin de protéger ses véhicules...
Pick-up sur lequel a été montée une tourelle de véhicule blindé BMP-1. Ce genre de montage, encore utilisé pour la défense de Gharanij et al-Bahra en janvier-février, n'était plus apparu depuis dans la propagande de l'EI.
L'EI, en tout état de cause, ne semble pas manquer d'essence pour faire avancer ses colonnes mécanisées pléthoriques, ni de munitions pour ses fantassins. Parmi lesquels on retrouve les incontournables inghimasiyyi, ces troupes de choc munies de ceintures d'explosifs, loin d'être un simple concept, mais bien une catégorie à part entière de combattants, qui se maintient en dépit du recul territorial. A côté du sempiternel trio fusil d'assaut AK-47/AKM/AKMS, mitrailleuse PKM/MG-1M, lance-roquettes RPG-7 qui équipe l'infanterie, on peut voir dans la vidéo du 23 octobre une mitrailleuse américaine M249 SAW, un fusil d'assaut FN FAL, plusieurs AKS-74U notamment. Les escouades de l'EI, particulièrement bien fournies, attaquent toujours de manière très agressive, bien que la discipline de feu ne soit pas des plus excellentes. Dans une séquence prenant place à Baghouz, au début des combats, en septembre, les combattants de l'EI encerclent une escouade des FDS sur le toit d'un bâtiment. Ces combattants sont tués par des jets de grenades, leurs corps précipités du toit vers le sol. Plus loin dans la vidéo, lors des contre-attaques menées les 10-13 octobre, les combattants de l'EI submergent plusieurs petites positions défensives des FDS dans le désert. Plusieurs dizaines de combattants sont tués; huit au moins sont faits prisonniers, dont un certain nombre sont exécutés rapidement. L'EI ne cherche pas à faire de prisonnier, la lutte est sans merci.
Daech capture au moins 8 prisonniers durant ses contre-attaques dans la tempête de sable, dont beaucoup sont d'ailleurs exécutés peu après. L'homme de l'EI qui parle, à droite, index levé, porte une ceinture d'explosifs à la taille.
De la même façon, le groupe s'empare, lors de cette contre-attaque d'un autre MRAP Maxx Pro abandonné par les FDS. Juchés sur l'engin, les hommes de Daech s'époumonnent: "Dawlatal Islam, Baqiya!" ; "'Etat islamique demeure! ", slogan qui est aussi le titre d'un nasheed édité par le média Ajnad de l'EI l'an passé. N'ayant aucune utilité de l'engin, puisqu'ils possèdent les leurs comme on l'a vu, le Maxx Pro est tout simplement incendié (malheureusement l'EI ne nous montre pas ses intéressants véhicules improvisés qui stationnaient à côté de l'engin dans une vidéo non officielle diffusée sur les réseaux sociaux au moment des faits...). Pour terminer la vidéo, l'EI met en scène le rapatriement des réfugiés du camp situé près d'al-Bahra, au nord-ouest de Hajin, que l'EI avait reconquis au cours de la contre-attaque; le camp abritait notamment des femmes veuves de combattants de l'EI décédés. En tout ce serait 130 familles qui auraient été « récupérées » par le groupe djihadiste. Puis, l'EI filme le"défilé de la victoire", le retour des colonnes mécanisées djihadistes, après leurs raids éclairs couronnés de succès, dans la ville d'al-Shafaa, à l'intérieur de la poche: le site Euphrates Post avait déjà diffusé des vidéos non officielles du groupe montrant cet impressionnant cortège avec, notamment d'innombrables motos portant les combattants de l'EI. Cette scène rappelle celles de Raqqa, à l'été 2014, quand l'EI avait fait tomber les dernières bases du régime syrien dans la province. Toutefois, aujourd'hui, le groupe a perdu la quasi totalité de son territoire en Syrie et en Irak; il est acculé dans la poche de Hajin, sur l'Euphrate, et porte au pinacle un succès somme toute très ponctuel. Est-ce-à dire que l'EI est fini? Malheureusement non. Le groupe est repassé très aisément à l'insurrection en Irak, et se maintient. En Syrie, il a déjà réinvesti la province de Raqqa ; ses cellules tiennent dans l'enclave rebelle d'Idlib en dépit des opérations de l'amniyat d'Hayat Tahrir al-Sham, le groupe rival. Et ce ne sont que quelques exemples. Certaines branches extérieures restent dynamiques: l'Afghanistan, le Sinaï, l'Afrique occidentale, en progression inquiétante cette année. La propagande du groupe a tenu bon; ses chefs sont encore vivants. Non, l'Etat islamique n'est pas fini: comme souvent, il a su se reconfigurer à la nouvelle situation, et il perdure.
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