Syrie : encerclé à Baghouz, l'Etat islamique mène une campagne de terreur à Hassaké
Alors que ce qui reste du "califat" est circonscrit à quelques centaines de mètres carrés dans la poche de Baghouz en Syrie, l'Etat islamique reste puissant dans d'autres provinces notamment celle d'Hassaké. Matteo Puxton, observateur de référence du groupe djihadiste, dévoile pour France-Soir l'étendue de la campagne de violences menée l'EI dans le nord-est de la Syrie.
Comme en Irak, l'Etat islamique a préparé son basculement à l'insurrection avant même d'avoir perdu les dernières zones qu'il contrôlait en Syrie. Le mouvement commence dès juin 2018 dans la province de Raqqa. Il démarre en août dans la province de Deir Ezzor et dans le secteur de Manbij. En juillet, l'EI lance également l'action de cellules clandestines dans la province de Hassaké, où il a perdu fin juin ses derniers lambeaux de territoire.
Quand l'Etat islamique s'était installé dans une partie de la province de Hassaké, un certain nombre de tribus s'étaient ralliées au groupe djihadiste. Cela n'empêche pas toutefois que les membres d'une même tribu soient divisés quant à leur engagement dans le conflit. Dans la province d'Hassaké, le PYD kurde a réussi à se rallier le cheikh de l'importante tribu Shammar, Humaydi Daham al-Hadi al-Jarba, qui est devenu le gouverneur de la province d'al-Jazirah. En outre il est le chef de la milice des forces al-Sanadid, une composante arabe importante des Forces démocratiques syriennes (FDS, une coalition arabo-kurde). Hasan al-Ali al-Assaf (de la tribu Tayy) encourage également les Arabes de la province d'Hassaké à adopter le système proposé par les Kurdes. Les tribus kurdes de la province de Hassaké se sont également organisées dans un conseil qui soutient le PYD. Si le parti kurde s'est rallié la tribu Shammar, la tribu Tayy fournit de nombreux combattants aux Forces nationales de défense du régime syrien. La tribu Joubour, traditionnellement hostile au régime syrien, est divisée entre ceux qui soutiennent l'opposition et ceux ralliés aux FDS. C'est aussi dans la province de Hassaké que se trouve le camp de al-Hawl, qui abrite des réfugiés et des déplacés syriens, mais aussi les familles des combattants étrangers de l'organisation terroriste prisonniers des Kurdes. Récemment, au vu de l'annonce du retrait américain de Syrie et des menaces turques d'assaut sur Manbij, les FDS ont déplacé des prisonniers de l'EI de cette ville vers une prison dans la ville d'Hassaké, selon une source pro-rebelle. Les FDS ont aussi, coopté d'anciens membres de l'EI pour s'assurer une paix relative parmi les tribus des territoires reconquis sur le groupe djihadiste; mais il est difficile d'être certain que ses anciens membres de l'organisation salafiste ne rebasculent pas, un jour, vers l'organisation. Une manifestation hostile à la coalition arabo-kurde a encore eu lieu à al-Shaddadi, par exemple, en novembre 2018.
Jusqu'en juillet 2018, l'Etat islamique utilisait le terme al-Barakah pour désigner la province qui correspondait à la province syrienne de Hassaké. La disparition du système de provinces chez l'EI en Syrie et en Irak à partir du 10 juillet a conduit à des changements de dénomination. Al-Barakah a désigné ensuite le secteur de la poche de Hajin. Hassaké correspond maintenant à la province syrienne du même nom. Le groupe djihadiste s'était maintenu territorialement au sud-est de la province de Hassaké jusqu'à la fin du mois de juin 2018, avant d'y perdre ses dernières enclaves après le regain d'offensive des FDS (opération Roundup II), qui poussent pour éliminer la poche autour de Dashisha (qui sera liquidée en août 2018).
C'est à peu près au même moment d'ailleurs que démarre l'insurrection de l'EI dans cette province tenue par les Kurdes syriens, avec une présence ponctuelle du régime dans les agglomérations (Qamishli, Hassaké). Dès le 1er juillet, l'Etat islamique revendique une première attaque kamikaze à Hassaké. Il y aura en tout cinq communiqués en juillet, dont une infographie Amaq sur les attaques commises derrière les lignes des FDS dans les provinces de Hassaké et Deir Ezzor. Pour les quatre autres revendications, une concerne une opération kamikaze dans la ville de Hassaké visant la milice Sutoro, deux autres sont des attaques à l'engin explosif improvisé (IED) aux alentours de Hassaké (dont l'une vise les Américains, sans indiquer de pertes toutefois, preuve que l'attaque a dû échouer) et une attaque à l'arme à feu et à l'arme blanche dans la ville de Hassaké. Les attaques se concentrent donc dans et autour de la ville de Hassaké.
En août, le nombre de communiqués monte à huit. On relève deux petits assauts, trois assassinats ciblés et trois attaques à l'IED. Curieusement, les trois attaques revendiquées le 10 août se situent dans la zone d'opérations de l'ancienne province al-Khayr de l'Etat islamique (Deir Ezzor), où l'insurrection démarre justement au mois d'août dans le même secteur (en face de Mayadin, sur la rive est de l'Euphrate). Le reste des attaques est plus dispersé géographiquement qu'en août: l'EI opère désormais assez loin à l'ouest de Hassaké, au sud de Shaddadi, à Dashisha. Le groupe revendique de nouveau une attaque contre un convoi américain, mais sans donner un chiffre de pertes, ce qui montre que l'attaque à l'IED n'a pas été couronnée de succès.
Le nombre de revendications explose littéralement en septembre 2018 avec 61 communiqués en tout. Il est intéressant de constater cette explosion d'attaques revendiquées en septembre. C'est en effet à partir du 10 septembre que les Forces démocratiques syriennes ont relancé leur offensive sur la poche de Hajin. L'Etat islamique a probablement activé ses cellules clandestines dans la province de Hassaké pour harceler les FDS sur les arrières et soulager les défenseurs de Hajin. Ces revendications ne sont pas appuyées sur beaucoup d'images: le 18 septembre, une photo seulement montre l'incendie d'un bulldozer au sud d'Hassaké. Le 19 septembre, dans un communiqué détaillé, l'EI annonce avoir tendu une embuscade à un convoi de miliciens et de soldats américains dans un quartier au sud de Hassaké. Les modes opératoires sont diversifiés: attaques à l'IED, embuscades, assassinats ciblés à l'arme blanche ou à l'arme à feu, voire même par étranglement (!), attaques de convois, jets de grenades... un des communiqués mentionne l'action des "détachements de sécurité" (mafariz amniyat), les opérations sont donc orchestrées par l'amniyat, le service de renseignements/contre-espionnage/opérations clandestines de l'EI. Le gros des opérations se concentre à Hassaké et dans et autour de Shaddadi, avec quelques opérations à Dashisha et un peu plus au sud, vers al-Suwar.
L'activité redescend considérablement en octobre avec seulement neuf communiqués et aucune image pour les illustrer. On relève quatre attaques à l'IED, un jet de grenade, une embuscade, trois assassinats ciblés. L'activité se concentre surtout dans et autour de Shaddadi.
Même nombre de communiqués (neuf) en novembre, sans aucune image. On relève quatre attaques à l'IED et trois assassinats ciblés, dont une sur la route de al-Hawl, où se trouve le camp de réfugiés qui accueille les femmes et les enfants étrangers de l'Etat islamique.
L'activité remonte de nouveau en décembre avec 21 communiqués et un reportage photo, le 29 décembre, qui montre l'exécution d'un "espion" sunnite du régime syrien, Omar Saleh Yusuf, au nord de Shaddadi. Les opérations sont toujours concentrées à Shaddadi, Hassaké, moins au sud vers Marakadah; on note toutefois une opération à Qamishli, au nord. L'Etat islamique pratique surtout ce mois-là les assassinats ciblés et les attaques à l'IED.
Le nombre de communiqués redescend à 13 en janvier 2019. Celui qui démarre le mois, toutefois, est la première vidéo Amaq montrant l'insurrection de l'EI dans la province de Hassaké depuis juillet 2018. Il s'agit de l'assassinat de Marwan al-Fiteh, un cadre des FDS, près de l'usine d'Abyad, au sud-ouest de Hassaké, le 29 décembre 2018. Selon une tactique utilisée de longue date par les djihadistes pour leurs assassinats ciblés, un véhicule dépasse à grande vitesse le van blanc qui est la cible de l'attaque. Le flanc gauche du van est criblé de balles par un tireur utilisant un AKS-74U, une arme plus compacte et donc plus facile à utiliser qu'un fusil d'assaut AKM ou autre arme plus longue à bord d'un véhicule. D'après le compte Twitter Calibre Obscura, cet AKS-74U est d'une version fabriquée après 1986. Les autres attaques restent concentrées autour de Hassaké et de Shaddadi. On relève néanmoins l'utilisation d'un véhicule kamikaze à un checkpoint à l'entrée de Shaddadi, le 21 janvier, conduit par Abdullah Ansari: c'est la première fois depuis le début de l'insurrection qu'un véhicule kamikaze est utilisé, visant les Américains qui ont une base près de Shaddadi, et cinq jours à peine seulement après l'attentat kamikaze à Manbij qui a coûté la vie à quatre Américains et à une douzaine de Syriens. Le message est donc on ne peut plus clair.
Lire aussi - Attentat contre les Américains à Manbij: une attaque prévisible
En février 2019, le nombre de communiqués s'abaisse à trois seulement. L'Etat islamiqure revendique une attaque à l'IED dans Hassaké le 1er février. Une autre attaque à l'IED a lieu au sud de Shaddadi le 4 février sur un véhicule. Une troisième attaque à l'IED a également lieu au sud de Shaddadi le 25 février.
Ainsi, depuis huit mois, l'Etat islamique a lancé son activité insurrectionnelle dans la province de Hassaké. Elle est moins fournie certes que dans d'autres provinces (Deir Ezzor, Raqqa), mais elle se maintient dans la durée, preuve que le groupe djihadiste est en mesure de compter sur des soutiens locaux, et de les équiper. L'attaque au véhicule kamikaze du 21 janvier est venue tristement rappeler que l'Etat islamique n'est pas vaincu en Syrie, quand même bien il ne contrôle plus de territoire: l'insurrection est déjà en marche.
Voir:
L'Etat islamique n'est pas vaincu: il a rebasculé dans l'insurrection
Pour se battre en Syrie, l'Iran enrôle massivement des Afghans chiites
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