Syrie : l'Etat islamique remporte une nouvelle victoire à Hajin
Depuis la contre-attaque (25-28 octobre 2018) ayant repris la totalité du terrain conquis par les Forces démocratiques syriennes (FDS) depuis le 10 septembre, l'Etat islamique n'avait pas poussé son avantage à partir de la poche de Hajin et du terrain reconquis. A la frontière irakienne, des unités de l'armée et des miliciens chiites du Hashd al-Chaabi étaient venus renforcer le dispositif de défense. Les miliciens avaient bombardé les positions de l'EI et y avaient réalisé des incursions ponctuelles, tandis que l'armée irakienne se contentait de bombarder le territoire syrien mitoyen tenu par les djihadistes, et que l'aviation irakienne y réalisait des frappes ciblées sur la base de renseignements précis pour éliminer des cadres, ou des combattants étrangers ou irakiens.
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L'Etat islamique avait jusqu'ici plutôt retourné son attention sur les forces du régime syrien à l'ouest de l'Euphrate, autour d'al-Boukamal. Les bombardements au SPG-9 se sont multipliés ces dernières semaines, alors même que les FDS ont annoncé la reprise de l'offensive le 11 novembre, sans trop de progression sur le terrain. En réalité, c'est surtout la coalition qui maintenait la pression sur l'EI: 380 bombardements aériens ou missions de tirs de l'artillerie entre le 1er et le 21 novembre, soit plus d'une vingtaine par jour. Les pertes civiles sont allées en s'accroissant, par voie de conséquence.
A partir du 22 novembre, profitant à nouveau de mauvaises conditions météo (brouillard, temps bouché et plafond bas) qui entravent l'action de l'aviation de la coalition, l'Etat islamique va lancer une troisième contre-attaque à partir de la poche de Hajin, visant les Forces démocratiques syriennes. Un premier communiqué, le 22 novembre, annonce la destruction d'un Humvee des FDS avec un missile antichar au nord de la poche. Un autre communiqué plus long relate un raid dans la même zone.
Le premier reportage photo, du 22 novembre, documente le raid au nord de Hajin. Ce raid est mené par une colonne mécanisée comprenant au moins trois technicals, des pick-up et de nombreuses motos. La colonne mécanisée dispose aussi de deux véhicules blindés improvisés sur châssis de pick-up que l'Etat islamique avait déjà utilisés lors des contre-attaques précédentes. Pour pilonner la position des FDS attaquée, les djihadistes utilisent aussi un canon sans recul SPG-9 monté à l'arrière d'un camion léger. Ils déploient aussi un lance-missiles antichars Konkurs qu'ils ont transporté avec eux dans les véhicules et touchent un véhicule adverse avec un missile. Les moyens d'appui sont donc plus conséquents. On peut voir plusieurs engins de la coalition arabo-kurde, donc un Humvee, prendre la fuite. Le groupe djihadiste filme également un bombardier B1-B Lancer américain qui intervient en soutien des Forces démocratiques syriennes, en dépit du mauvais temps.
Lance-missiles antichars Konkurs en action. 22 novembre.
En parallèle de leur contre-attaque, les djihadistes continuent de harceler les forces des Forces démocratiques syriennes dans la province de Deir Ezzor en mode insurrectionnel, attaquant un véhicule du "renseignement du PKK" dans le secteur d'al-Takihi. De la même façon, l'Etat islamique revendique une attaque à l'IED (engin explosif imrovisé) contre un camion chargé de munitions au sud de Shaddadi, la veille. Dans la province d'al-Anbar, voisine de la frontière syrienne et de la poche de Hajin, l'Etat islamique annonce avoir détruit un véhicule avec deux engins explosifs et tué ou blessé ses neuf occupants au Kilomètre 90, à l'ouest de Ramadi. L'EI continue aussi de harceler les positions du régime syrien à l'ouest de l'Euphrate: une vidéo Amaq montre ainsi un bunker probablement détruit par un tir de SPG-9 autour d'al-Boukamal. Un reportage photo suit d'ailleurs sur ce même sujet.
Le 23 novembre, un premier communiqué annonce des raids au nord-est d'al-Shaafa et d'al-Kashma. Un deuxième communiqué déclare quant à lui que l'Etat islamique a lancé une attaque sur al-Bahra, le village au nord de Hajin que les Forces démocratiques syriennes avaient conquis en février. Un troisième communiqué annonce que le raid au nord-est d'al-Kashma a entraîné la mort de 13 combattants adverses. Un quatrième communiqué prétend que l'EI a tué six adversaires et en a capturé d'autres lors de l'attaque sur al-Bahra.
Une vidéo Amaq illustre ensuite un des raids au nord-est d'al-Shaafa: comme lors du raid de la veille, le groupe djihadiste engage cette fois-ci dans ses raids mécanisés des moyens d'appui, ici un mortier de 120 mm est mis en batterie pour pilonner les positions des FDS. La colonne comprend plusieurs technicals et une très nombreuse infanterie (plusieurs dizaines d'hommes à pied). Un long reportage photo présente ensuite le raid au nord-est d'al-Kashma. Cette colonne comprend au moins trois technicals, un véhicule blindé improvisé sur châssis de pick-up et de nombreuses motos. En moyens d'appui, les djihadistes déploient cette fois-ci un canon sans recul SPG-9 porté à l'épaule par un combattant, en plus, de nouveau, d'un mortier de 120 mm. On remarque un mitrailleur sur PKM qui a perdu la partie inférieure de la jambe droite, remplacée par une prothèse. Dans la position conquise, l'organisation terroriste montre au moins neuf corps de combattants des Forces démocratiques syriennes tués. Une mitrailleuse PKM et trois fusils d'assaut sont récupérés. Un nouveau communiqué confirme que l'attaque au nord et à l'ouest d'Hajin a fait six tués, des douzaines de blessés et de nombreux prisonniers.
Une deuxième vidéo Amaq filme l'attaque près d'al-Bahra: pour ce raid, l'Etat islamique a engagé un technical avec deux mitrailleuses lourdes KPV montées ensemble (2x14,5 mm), une moto avec mitrailleuse lourde W85 (12,7 mm) et un pick-up portant une tourelle de BMP-1 à l'arrière -un type de véhicule que l'Etat islamique avait montré après sa première contre-attaque des 10-13 octobre. Il n'avait pas jusqu'ici engagé, en images en tout cas, dans les raids mécanisés lors des contre-attaques. On retrouve aussi le camion léger avec SPG-9. Ici, l'EI filme trois ou quatre corps des combattants des FDS et capture visiblement entre 5 et 10 prisonniers, ainsi qu'un Humvee. Un nouveau reportage photo montre les raids au nord et à l'ouest d'Hajin (il s'agit du même raid que la vidéo précédente, donc vers al-Bahra): ici les djiahdistes montrent en plus un véhicule blindé improvisé sur châssis de pick-up, et on peut davantage apprécier le nombre de prisonniers (10, au moins). Daech récupère des armes légères et collectives (fusils d'assaut, mitrailleuses, lance-roquettes RPG-7) et filme un drone adverse en vol, pris à partie par les armes au sol. Deux corps sont également montrés.
L'EI déploie un pick-up muni d'une tourelle de BMP-1 pour appuyer un raid. 23 novembre. Au fond on distingue un camion avec canon sans recul SPG-9. On note la moto.
Le 24 novembre, l'Etat islamique commence par diffuser un reportage photo sur un raid au nord-est d'al-Shaafa. Ici aussi, les moyens d'appui sont renforcés: les djihadistes ont transporté un mortier de 82 mm pour pilonner les positions des Forces démocratiques syriennes, et un mortier de 120 mm. On retrouve dans la colonne les habituels technicals et une très nombreuses infanterie (plusieurs dizaines de combattants à pied). Les FDS abandonnent un matériel conséquent: un pick-up, trois mitrailleuses PKM, quatre RPG-7 avec des roquettes, un mortier. Une vidéo Amaq montre ensuite 6 prisonniers capturés lors du raid autour d'al-Bahra: l'un d'entre eux porte l'écusson des gardes de Khabour, une formation syriaque intégrée à la coalition arabo-kurde et qui est probablement arrivée en renfort sur ce front après la débâcle de fin octobre. Un communiqué annonce une nouvelle attaque au nord de Hajin.
Un autre communiqué annonce ensuite la mort de 32 combattants adverses lors de raids au nord et à l'est de Hajin. Un autre relate une offensive générale de l'EI depuis le nord-est d'al-Soussah jusqu'au nord de la poche. Le communiqué suivant revendique quant à lui la mort de 10 adversaires et la capture de nombreux autres lors de raids sur al-Bahra et Gharanij, encore plus au nord. Un communiqué de l'agence Amaq récapitule l'offensive du jour et revendique en tout 61 morts et 30 prisonniers dans les rangs des FDS.
Dans le détail, l'Etat islamique a lancé deux raids majeurs, l'un sur l'arc entre le nord-est d'al-Soussah et le camp de réfugiés d'Hajin, l'autre vers al-Bahra et al-Gharanij. 32 adversaires ont été tués sur le premier axe, 10 sur le second, auquel l'EI rajoute les 19 tués de la veille pour arriver à 61. Une vidéo Amaq montre l'attaque au nord-est de Hajin: la colonne, encore une fois, comprend un technical et de nombreux fantassins débarqués (20 au minimum). Deux morts, des arabo-kurdes sont filmés, ainsi qu'un F-15 de la coalition qui appuie les FDS, pris à partie par un canon 2A27 (23 mm) monté sur pick-up Land Cruiser. On observe aussi un véhicule blindé improvisé sur châssis de pick-up. L'EI rassemble un groupe de prisonniers: ils sont peut-être dix, ou plus. Un dernier reportage photo illustre les raids du jour: la colonne d'assaut visible déploie de nombreux technicals, au moins deux véhicules blindés improvisés sur châssis de pick-up et de nombreuses motos. Ici aussi, les djihadistes ont transporté un mortier pour bombarder la position visée. Le groupe terroriste montre au moins 14 corps de combattants des Forces démocratiques syriennes tués dans cette position submergée. Il y a également cinq ou six prisonniers.
Parallèlement, l'Etat islamique continue son activité de guérilla dans l'ouest de la province al-Anbar, près de la frontière syrienne. Un communiqué revendique l'explosion de deux IED sur deux véhicules de l'armée irakienne, la veille, à l'ouest d'al-Rutbah, qui aurait provoqué huit tués et blessés (corrigé en cinq plus tard).
Un des prisonniers porte l'emblème des gardes de Khabour. Vidéo Amaq du 24 novembre.
Dans la nuit du 24 au 25 novembre, l'EI diffuse une vidéo courte d'un peu plus de six minutes dans le secteur al-Barakah (qui correspond à la poche de Hajin), intitulée "Message aux familles des prisonniers du PKK". Un bourreau égorge et décapite un des prisonniers des FDS en tenue orange, devant trois autres de ses camarades dans la même tenue. Le 25 novembre, une vidéo Amaq met en scène huit prisonniers capturés lors d'un raid au nord-est d'al-Gharanij, la veille. La veille, un IED a visé un camion des FDS dans le secteur d'al-Basirat (province de Deir Ezzor) sur les arrières du front.
Huit prisonniers des FDS capturés au nord-est d'al-Gharanij le 24 novembre (vidéo Amaq du 25 novembre).
La situation se stabilise le 25 novembre. L'Etat islamique, au final, a réussi à reprendre le village d'al-Bahra, évacué par le restant de population, mais a été arrêté devant Gharanij. La coalition aura engagé en soutien de nombreux appareils dont des A-10 Thunderbolt II qui ont mené des frappes d'appui rapprochées avec leurs canons Gatling de 30 mm. Au total, les documents de l'EI montrent au moins 31 tués chez les Forces démocratiques syriennes et 40-41 prisonniers -à comparer aux 61 tués et 30 prisonniers annoncés par les djihadistes le 24 novembre. Les raids du groupe djihadiste, toujours par mauvais temps, confirment que le groupe est capable de dissimuler de nombreux véhicules qui échappent aux frappes aériennes de la coalition. De nouveaux engins ont été engagés comme le canon sans recul SPG-9 sur camion ou le pick-up armé d'une tourelle de BMP-1. L'Etat islamique a également renforcé ses moyens d'assaut avec des appuis supplémentaires: mortiers, lance-missiles antichars Konkurs, SPG-9. On note également la présence d'un grand nombre de combattants, avec plusieurs dizaines de fantassins débarqués lors de chaque raid.
Le groupe djihadiste profite de l'immobilisme des formations arabes ou syriaques des FDS qui tiennent les premières lignes, les Kurdes étant notoirement absents. Ces miliciens arabes installent des postes d'observation dans le désert ou aux abords des localités, tenus par une petite escouade (8-10 hommes, parfois deux escouades ou un peu plus), mais qui manquent d'armes lourdes pour repousser les véhicules, ne peuvent pas se soutenir entre eux car trop éloignés les uns des autres. En outre les miliciens arabes ne creusent pas de tranchées circulaires en avant de leurs positions pour arrêter les véhicules de l'Etat islamique. Ce n'est qu'après une première retraite suite à l'assaut initial qu'en général les miliciens arabes arrivent à se regrouper et à appeler leurs appuis (aviation de la coalition notamment) pour stopper la progression de l'EI. En l'état, cette troisième contre-attaque relativement réussie des djihadistes interroge sur la capacité des FDS, même soutenues par la coalition, à reconquérir la poche de Hajin à court terme. On peut désormais parier, sans trop se tromper, que celle-ci ne sera pas reprise avant 2019.
Voir:
Syrie: l'EI inflige un revers aux FDS dans l'est, mais reste acculé
L'Etat islamique en Afrique subsaharienne: la nouvelle menace
Syrie: Katibat Jabal al-Islam, guérilla djihadiste dans la province de Lattaquié
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