Syrie : Katibat Jabal al-Islam, guérilla djihadiste dans la province de Lattaquié

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Matteo Puxton, édité par la rédaction
Publié le 25 septembre 2018 - 17:38
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Combattants de Katibat Jabal al-Islam.
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Des combattants de Katibat Jabal al-Islam.
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Si le régime de Bachar al-Assad contrôle quasiment l'ensemble de la province de Lattaquié, des groupes de djihadistes se maintiennent dans les montagnes du nord. Matteo Puxton, spécialiste des questions de défense et observateur de référence du conflit syrien, présente pour France-Soir, Katibat Jabal al-Islam, une de ces formations radicales qui mènent des actions de guérilla contre les forces syriennes loyalistes.

Depuis l'offensive du régime de l'automne 2015-printemps 2016, la portion au nord-est de la province de Lattaquié encore tenue par les rebelles et djihadistes est restée un front relativement statique, en dépit d'attaques ponctulles des rebelles, comme à l'été 2016. On trouve dans ce secteur un certain nombre de petites formations djihadistes, qui ne sont pas forcément intégrées dans des groupes plus importants comme Hayat Tahrir al-Cham (HTC).

Katibat Jabal al-Islam (en turc: "Islam Dagi Taburu", littéralement "le bataillon de la montagne islamique") ou KJI est un groupe djihadiste composé de Turkmènes syriens opérant dans la province de Lattaquié, au nord-ouest de la Syrie. Le nom vient de la montagne turkmène (Jabal al-Turkman) qui est leur zone d'opérations. Ce groupe djihadiste, qui aurait été créé en 2012, a coopéré à la fois avec des factions de l'Armée syrienne libre (ASL) parfois soutenues par les Américains (comme la 10ème brigade), et avec des formations djihadistes comme le front al-Nosra.

En 2015, Katibat Jabal al-Islam revendique 300 hommes (essentiellement des Turkmènes, mais le groupe comprend aussi apparemment des Arabes syriens). Il combat le régime, en février 2016, dans la montagne Turkmène. Une étude de mai 2016 classe le groupe comme un groupe salafiste "indépendant", fort de 50-60 combattants et soutenu par la Turquie. En juin 2016, KJI combat de nouveau contre le régime dans la montagne Turkmène, aux côtés de formations de l'ASL et de groupes djihadistes.

En juillet 2016, Katibat Jabal al-Islam déclare son soutien à l'Assemblée des clercs du Cham, une structure regroupant des idéologues djihadistes comme le Saoudien Abdullah Muhaysini ou l'Irakien Abou Mariya al-Qahtani. Cela le rapproche du front al-Nosra qui devient Jabhat Fateh al-Sham fin juillet.

Cette année, Katibat Jabal al-Islam s'est fait une spécialité des raids inghimasi –dans la version infiltration pour attaquer par surprise des postes ennemis. En janvier 2018, KJI lance l'opération "God torments you in your hands" dans la montagne turkmène, conduisant deux embuscades qui, d'après le groupe, mènent à la mort de 15 combattants du régime. Une de ces embuscades aurait eu lieu dans le secteur du mont Sarraf.

Le 19 juin, Katibat Jabal al-Islam participe avec Hayat Tahrir al-Cham à une opération inghimasi dans la montagne turkmène (région d'al-Fakhara): 17 combattants du régime sont revendiqués comme tués, dont trois officiers, et un canon de 23 mm est détruit, selon HTC. Le groupe indique pour sa part deux blessés légers dans ses rangs, neuf morts adverses dont trois officiers, et trois canons de 23 mm détruits. Le commando inghimasi aurait bénéficié de l'entraînement fourni par Malhama Tactical.

Lire aussi - Malhama Tactical: les instructeurs mercenaires des djihadistes

Il est possible que Katibat Jabal al-Islam ait participé à "l'opération pour aider Deraa" lancée le 10 juillet par deux autres petites formations djihadistes du secteur -Fursan'ul Iman (qui se rattacherait en fait à l'Armée syrienne libre), et Ansar al-Islam-, contre les positions du régime, bien que KJI n'ait pas publié d'images de sa participation à l'opération. Ce raid a infligé des pertes assez conséquentes au régime syrien (80 tués ou blessés, et un prisonnier, revendiquée par Fursan'ul Iman). Le 7 août, le groupe lance de nouveau une opération inghimasi dans le secteur de Tell al-Draq, près de Rabia, tuant sept combattants du régime. Le 4 septembre, il revendique la mort de l'officier Hossam Abdul Karim Said, après une opération d'infiltration dans la montagne Turkmène.

D'après la propagande du groupe sur les réseaux sociaux, l'émir de Katibat Jabal al-Islam porte la kounya Abou Ousama. Abou Abid Ateyra était l'émir militaire en novembre 2016. Le 27 août 2018, KJI perd son chef religieux, le cheikh Abou Obeida (Fida Kharbotli).

Abou Ousama, l'émir de Katibat Jabal al-Islam, dans une vidéo faisant la promotion du raid inghimasi du 19 juin 2018.

L'émir militaire Abou Abid Ateyra en novembre 2016. 

L'emblème associe la montagne, pour le Jabal Turkman (montagne Turkmène), à la classique AK-47 sur laquelle est attaché le drapeau portant la shahada (profession de foi musulmane). En-dessous, le nom de la formation en arabe et en turc. Les réseaux sociaux utilisés par le groupe n'insistent pas sur l'idéologie djihadiste mais les emblèmes, le discours tenu et certaines images renvoient directement à celle-ci.

Katibat Jabal al-Islam dispose d'une page Facebook, suivie par près de 8.400 personnes avant d'être supprimée (plus de 2.000 personnes la suivent après la relance en août), qui reprend le nom turc de la formation, mais communique aussi en arabe. Un canal Telegram sert surtout à republier les vidéos effacées sur YouTube. Le compte Twitter de la formation, créé en janvier 2016, est inactif. Le 10 juillet, la page Facebook publie une liste de 25 noms de combattants du régime tués lors d'un raid d'autres formations djihadistes du secteur de la montagne Turkmène. Il faut remarquer que les réseaux sociaux de le groupe communiquent à la fois en turc et en arabe.

Sur le plan militaire, Katibat Jabal al-Islam ne semble pas disposer d'effectifs conséquents (toutefois des photos de l'Aïd en septembre 2017 montrent plusieurs dizaines d'hommes; des images plus récentes de l'Aïd en 2018 montrent au moins 50 hommes rassemblés), mais le groupe est capable d'entretenir une équipe de commandos inghimasi. Le raid du 23 janvier 2018 par cette dernière permet de ramener deux mitrailleuses PKM, un lance-roquettes RPG-7, deux lance-roquettes RPO-A Shmel et cinq fusils d'assaut AK-47/AKM.

Le butin après le raid de janvier 2018: on note les 2 RPO-A Shmel à chaque extrémité.

Des photos de janvier 2016 prouvent que le groupe utilise des obus de mortier de 82 mm fabriqués dans l'usine bulgare Arsenal. Un autre cliché du même mois montre que Katibat Jabal al-Islam utilise une mitrailleuse W85 (12,7 mm) comme arme de soutien au sol. Le groupe a aussi un technical avec mitrailleuse lourde KPV (14,5 mm).

Obus de mortier de 82 mm High Explosive (HE) provenant de l'usine bulgare Arsenal (on reconnaît le marquage 10 dans deux cercles). 

Une vidéo de juillet 2016 filme un assaut dans la montagne Turkmène, au crépuscule, avec une escouade classique comprenant un mitrailleur sur PKM et peut-être un tireur sur RPG-7.

Des images de novembre 2016 montrent que KJI stocke des obus de mortiers dans des containers de fusées de mortier M52A2.

Une autre vidéo de décembre 2016 montre un tandem sniper/observateur remarquablement bien équipé: genouillères, tenue camouflée pour le tireur, qui dispose d'un fusil de précision M14 EBR (un fusil de précision livré en quantité réduite aux rebelles soutenus par les Etats-Unis début 2016, et que KJI a donc réussi à récupérer), appareil pour mesurer la force du vent... Le sniper sur M14 EBR réalise plusieurs tirs sur des combattants du régime. A la fin de la vidéo, on peut voir deux autres snipers avec lui: l'un porte un SVD Dragunov, l'autre un fusil anti-matériel chinois de 12,7 mm M99 Zijiang. Une photo de février 2016 montre le M99 avec un télémètre Bushnell. A noter que cette vidéo utilise en fond musical un nasheed de l'Etat islamique. Katibat Jabal al-Islam dispose donc à l'évidence d'une équipe de snipers bien équipée.

Le raid de janvier 2018 implique également un petit commando inghimasi équipé des armements standards: fusil d'assaut AK-47/AKM, mitrailleuse PKM, lance-roquettes RPG-7.

Le 14 juin 2018, quelques jours avant le raid conjoint avec Hayat Tahrir al-Cham, une vidéo montre des tirs de snipers dont certains utilisent un dispositif thermique.

Pour le raid du 19 juin 2018, KJI a engagé une batterie de mortiers (82 mm) en appui, une mitrailleuse PKM avec viseur optique en soutien, et une escouade comprenant un tireur sur RPG-7 et un tireur avec lance-grenades 40 mm/6 M11 serbe. Les derniers morts reconnus par Katibat Jabal al-Islam sur ses réseaux sociaux remontent à mars 2017.

Katibat Jabal al-Islam fait donc partie de ces groupes combattant depuis des années maintenant dans cette partie montagneuse et boisée de la province de Lattaquié. Les raids lancés depuis janvier ont porté des coups ponctuels au régime syrien, qui dans cette guerre de positions a bien du mal à répliquer autrement que par des bombardements aériens ou d'artillerie. C'est déjà l'intervention russe et la puissance de feu qui avaient permis à Damas d'avancer dans le secteur il y a deux ans et demi. L'accord russo-turc conclu au mois de septembre stoppe provisoirement une offensive possible du régime dans ce secteur, mais les groupes djihadistes comme KJI n'accepteront probablement pas l'empiètement de la zone démilitarisée définie par cet accord.

Voir: 

La 52ème brigade de la mobilisation populaire chiite, milice turkmène pro-iranienne en Irak

Syrie: les djihadistes français d'Omar Omsen combattent aux côté des Ouïghours du Parti islamique du Turkestan

Le Parti islamique du Turkestan, bras armé ouïghour d'al-Qaïda en Syrie

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