Quand la randonnée vire au drame : les accidents mortels causés par des vaches

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Jean-Marc Neumann, édité par la rédaction.
Publié le 01 mars 2019 - 16:35
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Vaches charolaises en avril 2010
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© JEFF PACHOUD / AFP/Archives
Les accidents mortels causées par des vaches lors de randonnées ne sont pas aussi rare que l'on pourrait le croire.
© JEFF PACHOUD / AFP/Archives

Les accidents mortels causées par des vaches lors de randonnées ne sont pas aussi rare que l'on pourrait le croire. Dans ce genre de cas, se pose souvent la question de la responsabilité de l'éleveur. Jean-Marc Neumann, président de TELAS Conseil, consultant en stratégie, politique et règlementation de la protection animale, revient pour France-Soir sur la législation en vigueur en France.

L’aspect débonnaire de la vache masque une réalité que la plupart ignore: la rencontre avec ce ruminant peut, parfois, être mortelle. Qui sait d’ailleurs que ces animaux présentés comme placides tuent chaque année davantage d’êtres humains que les requins? Un fait divers survenu en 2014 au Tyrol autrichien nous le rappelle.

Voici quelques jours, la presse s’est faite l’écho d’une décision rendue récemment par un tribunal autrichien à la suite d’un accident mortel causé par des vaches en pâture dans une vallée du Tyrol. Ce qui a surpris en premier lieu c’est le montant de la condamnation prononcée à l’encontre de l’éleveur: 490.000 euros.

Le 21 février 2019 le Landgericht (équivalent de notre Tribunal de grande instance) d’Innsbruck a rendu une décision qui fera date et qui, surtout, a beaucoup marqué les esprits, notamment ceux des éleveurs qui y voient la fin de la présence des vaches dans les alpages.

Ce fait divers et son jugement sont l’occasion de nous interroger sur les rencontres, quotidiennes, durant la saison des estives entre randonneurs et bovidés en pâture. Quelles sont les précautions à prendre pour se promener sans danger dans les alpages, qui est responsable des dommages?

Je vous propose dans cet article d’examiner les circonstances de cette affaire "hors norme" (I) d’analyser la décision rendue par le tribunal (II) et d’évoquer succinctement deux affaires similaires récentes en France (III) avant de conclure par quelques conseils (IV).

I - Les faits :

Le 28 juillet 2014 une femme âgée de 45 ans, Madame Daniela M. effectuait une randonnée en montagne dans la vallée de Pinnis (Tyrol) accompagnée de son chien de race bullterrier dénommé Frodo tenu à la laisse lorsqu’elle fut attaquée par un troupeau de dix vaches pesant environ 700 kg chacune et de leurs dix veaux, renversée et piétinée mortellement. Le troupeau ne lui a laissé aucune chance. Malgré 45 minutes de tentatives de réanimation la randonneuse est décédée sur place. Son chien avait réussi à s’échapper et a été retrouvé à près de trois kilomètres du lieu du drame.

Cette affaire avait fait l’objet de l’ouverture d’une enquête pour homicide involontaire par le parquet d’Innsbruck mais, au regard des circonstances, cette dernière fut classée sans suite en 2014.

A l’automne 2016 (le délai de prescription de l’action étant de trois ans en Autriche), la famille de la victime a engagé une procédure en réparation de son préjudice devant le Landgericht d’Innsbruck. C’est cette procédure qui vient de se conclure en première instance voici quelques jours.

II - Le procès civil devant le Landgericht d’Innsbruck:

En avant-propos il est indispensable de rappeler les dispositions du droit civil autrichien en matière de responsabilité du fait des animaux. En vertu du paragraphe 1320 ABGB 7 "Durch ein Tier" de l’ABGB (Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch), l’équivalent de notre code civil, le propriétaire de l’animal, en cas de dommage, est responsable s’il n’est pas en mesure de prouver qu’il a pris les mesures adéquates pour assurer la surveillance ou la garde de l’animal. La question qui se posait était donc de savoir si, en l’espèce, l’éleveur avait ou non pris les mesures adéquates pour éviter un accident, étant rappelé que les animaux en pâture sont très largement livrés à eux-mêmes sans surveillance permanente cela va de soi.

Il n’existe en Autriche aucune prescription faisant obligation, aux exploitants, de mettre en place des clôtures de pâturage. Même des routes occasionnellement très fréquentées menant à travers les alpages ne nécessitent aucune mesure particulière.

Au cours du procès, plusieurs témoins se sont exprimés. Il semblerait, selon les éléments rapportés par ces derniers, que les chiens "non maîtrisés" d’une famille italienne aient pu être, à l’occasion d’un premier incident, à l’origine de l’extrême agitation du troupeau de vaches allaitantes.

Les témoins ont confirmé par ailleurs qu’il y avait à proximité du lieu du drame une pancarte "Attention présence de vaches allaitantes". Il existait donc bel et bien selon eux une signalisation alertant du risque potentiel. 

Selon l’expert judiciaire mandaté dans le dossier, la présence des chiens de la famille italienne peut être considérée comme le facteur déclenchant de l’attaque mortelle, ces derniers ayant à l’évidence provoqué un fort stress chez les vaches lequel s’est manifesté de façon tragique lors du passage plus tard de la victime accompagnée de son chien.

Dans le cadre du procès, l’éleveur propriétaire du troupeau mis en cause a toujours soutenu qu’il avait mis en place des pancartes alertant les randonneurs du danger et de la nécessité d’être prudent. L’éleveur a rappelé qu’il les avait mises en place à la suite d’un arrêt datant de 2015 de la cour suprême autrichienne (OberGerichtsHof).

En 2015 la plus haute juridiction du pays s’était en effet prononcée sur une affaire similaire mais aux conséquences heureusement moins tragiques dans laquelle une femme réclamait l’indemnisation du préjudice corporel subi à la suite d’une attaque de vaches; les juges avaient alors estimé que les pancartes étaient suffisantes pour exonérer l’éleveur de toute responsabilité.

En l’espèce, le Landgericht d’Innsbruck a estimé en revanche que la présence avérée de pancartes n’était pas en soi suffisante et que des clôtures étaient en outre nécessaires pour prévenir le risque d’attaque de vaches allaitantes.

Selon l’avocat de la famille de la victime, maître Hirm, les deux affaires ne sont toutefois aucunement comparables. En effet, l’affaire tranchée en 2015 par la cour suprême concernait un accident survenu sur un terrain privé alors que la seconde affaire porte sur un accident survenu sur la voie publique extrêmement fréquenté par des randonneurs, vététistes et automobiles. Un endroit névralgique donc que la prudence la plus élémentaire aurait dû, selon le tribunal, inciter l’éleveur à clôturer les abords même du lieu du drame.

Les juges, en l’espèce, ont estimé que la mise en place de clôtures audit endroit constituait une dépense raisonnable au regard des enjeux de sécurité.

L’avocat de l’éleveur, qui a interjeté appel au nom de son client, voit les choses différemment. Il estime que, quand bien même l’endroit névralgique aurait été clôturé, un tel accident aurait très bien pu se passer ailleurs, dans un endroit de moindre passage. Cet argument rend, selon lui, absurde l’exigence posée par les juges de mettre en place une clôture au seul endroit du drame jugé "névralgique" car à fort passage.

Selon l’avocat de la famille de la victime, le tribunal a rendu une décision de grande qualité juridique après s’être posé de nombreuses questions et la décision rendue n’a pas vocation à imposer la mise en place de clôtures de façon générale sur les alpages comme le craignent les éleveurs ainsi que l’avocat du défendeur. La portée de la décision est limitée au cas très particulier de l’affaire et n’a aucunement vocation à édicter une nouvelle règle devant s’imposer aux éleveurs conduisant leurs troupeaux dans les alpages durant la saison des estives.

Le Landgericht a prononcé une condamnation importante à l’encontre de l’éleveur dont le montant précis ne peut être déterminé à ce jour. En effet, ce dernier a été condamné d’une part à verser une somme de 180.000 euros à laquelle s’ajoute une rente mensuelle de 1.500 euros non limitée dans le temps au veuf et la même au fils de la victime, cette fois limitée à l’âge de son indépendance financière ("Selbsterhaltungsfähigkeit"). Le montant indiqué partout dans la presse de 490.000 euros correspond en fait à la valeur en litige c’est-à-dire à la réclamation présentée par la famille de la victime soit en réalité 487.000 euros.

L’affaire devrait désormais être examinée et jugée par la cour d’appel d’Innsbruck (OberLandesGericht) et, le cas échéant, sera définitivement tranchée par la cour suprême autrichienne (OberGerichtsHof).

Affaire à suivre donc. Mais qu’en est-il en France ?

III - En France:

En France également des faits divers se rapportant à des rencontres "problématiques" entre randonneurs et bovidé sur les alpages font régulièrement la une de la presse régionale.

Ainsi en juin 2010 dans le Jura un couple de randonneurs suisses effectue une randonnée près du Reculet, lorsqu’il est victime d’une attaque de vaches. A cette occasion les deux randonneurs ont été blessés et ont subi des dommages matériels (vêtements déchirés et montre brisée). L’éleveur mis en cause n’a pas contesté que son troupeau était dans l’alpage mais aucun témoin en dehors des victimes ne peut confirmer les propos tenus par ces derniers. En janvier 2016 le Tribunal de grande instance de Bourg-en Bresse retient la responsabilité de l’éleveur et alloue une indemnité de 95.000 euros aux victimes.

Plus dramatique, une attaque mortelle s’était produite dans les Pyrénées en 2013. Les faits s’étaient produits déroulés sur une route du col d'Azet (Hautes Pyrénées). Un touriste de 85 ans avait été mortellement blessé suite à une attaque d’une vache en pâture. A priori la vache était accompagnée de son veau ce qui devait la rendre particulièrement nerveuse et a pu expliquer le drame.

Au plan juridique, l’article 1243 du Code civil français stipule que "Le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé". Le propriétaire d’un animal est donc présumé responsable. Pour s’exonérer de sa responsabilité, il lui appartient le cas échéant d’établir la faute de la victime ou d’un tiers.

IV - Quelques conseils pour une rencontre paisible en alpage avec nos amies les vaches:

Ainsi que nous l’avons vu ci-dessus les rencontres entre randonneurs (généralement peu ou pas formés à la problématique et informés des précautions d’usage) et bovidés (en général des vaches allaitantes) peuvent, dans certaines circonstances, provoquer des drames. Des pancartes alertent généralement les randonneurs sur la présence de vaches en pâture assorties de quelques conseils de prudence. Il faut savoir que chaque année ce sont des dizaines de milliers de vaches qui paissent librement dans les alpages dans les divers massifs de notre pays. Le risque zéro n’existe pas.

Le Tyrol a édité un guide de bonne conduite accompagné d’une vidéo très instructive qui mérite d’être signalés afin de permettre aux randonneurs de fréquenter les alpages en connaissance de cause et d’adapter leurs comportements.

Le plus souvent deux "ingrédients" se retrouvent dans les affaires les plus dramatiques: présence de vaches allaitantes et présence de chiens (considérés comme des ennemis). Il convient donc que les randonneurs prennent en compte ces facteurs de nature à déclencher des attaques. La vache n’est pas une "tueuse" comme certains journaux l’ont rapporté; elle cherche simplement à protéger son veau contre ce qu’elle perçoit comme pouvant constituer un danger potentiel.

Quant aux éleveurs, il leur est fortement recommandé de mettre en place des pancartes signalant la présence de troupeaux et indiquant quelques règles de bon sens (éviter le contact, tenir les chiens en laisse, contourner à distance les animaux, ne pas gesticuler et conserver son calme).

Il est utile de rappeler que la présence des vaches dans les alpages est un facteur essentiel de leur bien-être (elles vivent au plein air et en quasi liberté) mais qui est aussi générateur de stress… généralement causé par l’homme et son meilleur ami, le chien.

A chacun de prendre ses responsabilités et d’adopter son comportement afin que la randonnée en alpage reste une source de bonheur.

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