Lancet, OMS : l’effet de halo dans la prise de décision

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Marine Balansard et Marine de Cherisey pour FranceSoir
Publié le 09 juin 2020 - 14:15
Mis à jour le 06 janvier 2023 - 11:25
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Si the Lancet le dit
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Si The Lancet le dit
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Le 22 mai 2020, la prestigieuse revue médicale ‘The Lancet’ -The best science for better lives’- publie une étude démontrant les effets dangereux de l’hydroxychloroquine sur des patients atteints de COVID-19. Trois jours après la publication de l’étude, l’OMS décide de suspendre les essais cliniques incluant la molécule controversée, et le gouvernement français lui emboite le pas : ce médicament ne sera plus prescrit en France dans le traitement du COVID, milieu hospitalier inclus. 

Très vite, les auteurs de l’étude se rétractent, The Lancet suspend la publication. Entre temps, d’importantes décisions ont été prises sur la base de cette étude concernant les essais et le traitement du COVID-19.

En soi, demander rapidement la suspension d’une molécule dès lors qu’on a des suspicions avérées de danger n’est pas une mauvaise décision. C’est même un excellent réflexe… à quelques conditions. Intéressons-nous au mécanisme de décision dans ce cas précis, non pas pour juger de la décision au fond, ce qui n’est absolument pas notre propos, mais pour extraire quelques bonnes habitudes pour tout décideur au quotidien. 

Si c’est The Lancet qui le dit …

Si c’est une autorité qui le dit, cela doit être vrai. Si c’est The Lancet qui l’écrit, c’est certainement sérieux et vrai, et ça l’est effectivement dans la plupart des cas.

Mais « tout ce qui brille n’est pas or » … L’impression de départ sur un individu ou une organisation (The Lancet est une revue de référence en médecine) est si présente et imprégnée qu’elle risque de contaminer (positivement ici) notre perception, au détriment de l’analyse réelle de l’information. Ce phénomène est bien connu en management d’entreprise, sous le nom ‘d’effet de halo’ ou ‘biais de notoriété’. Si un leader est reconnu ou perçu comme hors du commun (pour sa vision par exemple ; ou certaines réalisations), tout ce qu’il va dire ou faire sera interprété avec le prisme de ce ‘halo’ positif qui brouille notre capacité à évaluer. 

Un biais des paresseux, comme tous les autres biais… 

L’effet de halo est un de ces mécanismes qui visent à une simplification ou tout au moins un raccourci de la pensée et de la prise de décision.

En préjugeant de la qualité des informations, il nous incite à baisser la garde, nous permet de réfléchir plus rapidement sans creuser le fond du sujet, plus complexe forcément. Si c’est The Lancet, alors c’est fiable, plus besoin de lire l’étude dans le moindre détail. L’effet de halo est également un puissant ressort commercial. Si une marque vend un produit phare, les clients auront un a priori très positif sur ses autres produits, qu’ils achèteront sans vérifier vraiment. C’est une forme d’économie d’énergie ou de paresse décisionnelle.

On peut penser que l’OMS a été victime de cet effet de halo émanant du Lancet. Idem probablement pour le gouvernement français qui a accordé naturellement du crédit au Lancet et à l’OMS.

Ce n’est pas critiquable en soi, sauf si cela conduit à un relâchement dans la vérification de l’information. La décision concernant l’hydroxychloroquine devient, pour l’instant et en attendant d’autres études, une décision mal ajustée, puisqu’elle est mal fondée… alors même qu’elle a été prise sur la recommandation et les études d’une, puis deux institutions faisant autorité. 

Le piège de l’effet de halo n’est pas inéluctable : trois stratégies pour le contourner

Comme pour beaucoup de biais cognitifs, prendre conscience de son fonctionnement ne suffit pas. Il faut développer à l’avance des stratégies permettant de le contourner ou d’en réduire la portée : c’est ce que font tous ceux qui travaillent leur prise de décision.

Le premier réflexe lorsque l’on veut vérifier une information, surtout lorsque l’on est en situation de stress, est de l’extraire du halo, de l’impression a priori (positive ou négative) qui l’entoure.

Il n’est pas question de remettre en cause systématiquement The Lancet, cela serait totalement absurde et inefficace dans la prise de décision. Mais pour limiter l’effet de halo qui entoure The Lancet, dans le cas d’une décision hautement stratégique à suivre, l’étude gagne à être décortiquée avec un double regard, en se disant : « et si elle n’était pas du Lancet » … ou « et si elle était publiée dans un journal auquel j’accorde moins de crédit » ... quelles seraient mes conclusions sur l’étude ? Cela permet de remettre la réflexion en route, ce qu’on fait nombre de scientifiques (tant des défenseurs que des sceptiques vis-à-vis de l’hydroxycholoroquine), qui ont pris le temps de mettre les données et modalités de l’étude en perspective et ont manifesté leur doute quant à sa fiabilité. Dans la vie de l’entreprise, c’est le même état d’esprit qui permet de parer ce piège : il consiste à s’obliger à distinguer ce qui est dit de celui qui le dit, afin de permettre une analyse plus juste de l’information grâce à une prise de recul.

Pour contourner l’effet de halo -lorsqu’il est positif comme pour la revue de référence The Lancet-, le deuxième réflexe est de garder en tête que l’erreur se glisse partout, même lorsqu’elle paraît impossible. Et c’est bien peut-être ce que l’on a oublié au cas présent : impossible que ce grand journal fasse des erreurs dans sa sélection de publication ? Pourtant il est arrivé au Lancet de retirer des études, c’est le principe en matière de recherche scientifique. En réalité, ceux qui font autorité ne sont pas à l’abri de l’erreur, et ce de toute bonne foi. N’oublions pas donc de penser l’erreur comme une possibilité, chez nous comme chez les autres, pour redonner de la place à notre capacité d’analyse. 

Enfin, positif ou négatif, l’effet de halo est solidement ancré dans nos préjugés…  L’une des meilleures stratégies consiste donc à s’entourer de personnes diverses, dont l’histoire, l’expérience, la culture a façonné des préjugés différents des nôtres. Cette précieuse diversité pourrait résulter au cas présent de l’inclusion d’une ou plusieurs personnes capables par leur formation intellectuelle et expérience d’analyser une étude, mais ne travaillant pas dans le secteur de la santé, et donc risquant peu d’avoir un quelconque apriori sur la revue ou l’auteur de l’étude.

 

Les biais cognitifs, incluant l’effet de halo, sont difficiles à éviter, surtout si on ne les travaille pas en amont. Des solutions simples existent pour s’y préparer. Elles consistent d’une part en la connaissance de ces biais, et d’autre part à mettre en place des stratégies systématiques pour anticiper leur émergence qui est… presque certaine.  Un décideur averti en vaut deux.

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