Maille, un succès de 268 ans
Si aujourd’hui les produits Maille, pourtant de grande consommation, défendent toujours une image de denrées d’exception, c’est qu’à ses débuts la marque faisait presque partie de l’industrie du luxe, fournisseur des plus prestigieuses tables d’Europe.
En 1720, Marseille est touchée par une épidémie de peste. Antoine-Claude Maille père, distillateur-vinaigrier à Paris, se fait connaître en fabriquant et distribuant du "vinaigre des quatre voleurs". Un mélange censé lutter contre la maladie dont certains lui attribuent la paternité.
Mais la réputation de Maille est surtout le fruit du travail du fils de ce dernier, également nommé Antoine-Claude Maille. Il exploitera la renommée de son père pour distribuer ses produits, notamment ses vinaigres de toilette.
En 1742, il devient maître vinaigrier. Cinq ans plus tard, il fait découvrir ses moutardes aromatisées dans sa première boutique à Paris. Maille est née.
Cette même année 1747, Antoine-Claude Maille fils devient fournisseur officiel de la cour de Louis XV. C’est de là que Maille tient l’emblème qu’elle arbore encore aujourd’hui, les deux anges entourant une couronne et des fleurs de lys faisant référence aux armes des rois de France.
Durant les 25 années suivantes, les produits Maille seront plébiscités par l’empereur d’Autriche-Hongrie puis par Catherine II de Russie. Quelques décennies et une Révolution plus tard, Louis XVIII, puis Charles X et Louis-Philippe ainsi que le roi d’Angleterre feront également de Maille leur fournisseur de vinaigres ou de moutardes.
Entre-temps, Antoine-Claude Maille fils, décédé en 1802, avait cédé le contrôle de l’entreprise à son associé André-Arnoult Aclocque. Leurs fils respectifs s’associent en 1819, créant Maille et Aclocque. Elle deviendra, suite à une nouvelle association, la maison Maille Robillard en 1826.
A l’origine entreprise parisienne, Maille veut alors se rapprocher des origines bourguignonnes de la moutarde et ouvre à Dijon en 1845 sa seconde boutique. Le XIXe siècle ne flétrira en rien le succès de l’entreprise, qui reste une référence de l’épicerie fine. C’est donc un poids lourd que rachète en 1878 un certain Victor Tendeau. La saga familiale s’achève après 131 ans.
Mais avec le XXe siècle s’achève le temps des rois et débute celui des industries de masse. De nouveaux concurrents s’invitent, comme Amora en 1919. Sans compter l’impact de la Première guerre mondiale sur le commerce international.
Le temps de la grande distribution
Bien que toujours parmi les leaders du marché, Maille doit alors réaliser sa mutation. En 1923, elle est acquise par Philippe de Rothschild, propriétaire des célèbres vignobles Mouton Rothschild. Premier rachat d’une série que vivra la marque tout au long du XXe siècle. Autre symbole de cette modernisation, en 1930, le fameux slogan "Il n’y a que Maille qui m’aille" est lancé.
La Seconde guerre mondiale portera cependant un nouveau coup d’arrêt au développement de Maille. Au lendemain de la guerre, un nouveau défi attend la marque. Les Trente Glorieuses verront en effet l’avènement de la consommation de masse et des supermarchés, alors que les produits Maille sont encore destinés aux épiceries.
Cette évolution sera réalisée par le nouveau propriétaire de la marque depuis 1952, Grey-Poupon, fabricant de moutarde presque aussi ancien que Maille. Moutarde, vinaigre et surtout cornichons –une nouveauté pour Maille– font leur entrée dans les grandes surfaces.
Pour retrouver son statut de vinaigrier (Maille achetait alors son vinaigre mais ne le produisait plus), le nouveau dirigeant crée une usine dans l’Yonne en 1966. Déjà l’année précédente, une fabrique avait été installée près de Dijon pour y préparer les moutardes mais aussi de nouveaux condiments: ketchup, pâte d’anchois et mayonnaise (sous l’appellation "Maille Onnaise").
Au début des années 1970, Grey-Poupon et donc Maille, ainsi que leur concurent Parizot, sont rachetés par les chocolats Poulain. Forte de son image haut de gamme, le nom de Maille est retenu pour regrouper les trois enseignes.
En trois ans, Maille connaîtra encore trois rachats. D’abord par le groupe pharmaceutique Clin-Midy, puis par le groupe Jimmy Goldsmith, déjà propriétaire d’Amora –scellant l’union des deux grandes marques françaises– et enfin par Danone en 1980. Un rachat gagnant puisque sur les quinze années suivantes, la part de marché de Maille va plus que doubler sur la vente de moutarde, tripler sur celle de cornichons dont elle devient le leader français.
Maille entre dans le XXIe siècle en devenant la propriété d’une multinationale anglo-hollandaise, Unilever, qui rachète en même temps Amora. Neuf ans plus tard, les usines bourguignonnes de Dijon et d'Appoigny sont fermées. L’ensemble de la production de moutarde de la marque et le conditionnement des cornichons (désormais récoltés en Asie) sont transférés à Chevigny-Saint-Sauveur, dans la banlieue de Dijon.
Aujourd’hui Maille surfe toujours sur son image de marque en tentant d’exporter la qualité française. Depuis 2013, elle a pignon sur rue à Londres dans le quartier du West End, célèbre pour ses boutiques de luxe. Ses ambitions internationales payent puisqu’un pot de moutarde sur deux est vendu hors de France dans un des 70 pays où s’exporte la marque de 268 ans.
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