Incivilités, violence, agressivité à l’ère du déconfinement

Auteur(s)
Rabah Aït-Hamadouche pour FranceSoir
Publié le 28 mai 2020 - 10:08
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Déconfinement, vivre ensemble et agressivité.
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Rabah Ait-Hamadouche
Déconfinement, vivre ensemble et agressivité.
Rabah Ait-Hamadouche

Les mesures sanitaires mises en place depuis le déconfinement dans les commerces sont vécues comme des contraintes pour les commerçants comme pour les clients. Les témoignages de tensions affluent depuis le 11 mai. Sur Internet des vidéos virales de rixes pour cause de non-respect de distance de sécurité ou encore pour non-port de masques dans les espaces publics circulent ces derniers jours. Si dans la plupart des cas, les français jouent le jeu, beaucoup d’incidents sont signalés.

Elle nous reçoit dans le jardin cossu de sa demeure de Courbevoie. Son domicile donne sur une jolie artère commerçante du centre-ville. Derrière son sourire de circonstance reste le traumatisme sourd, lancinant de l’agression qu’elle a subie. C’était mardi dernier. Alors que Anne se rend comme d’habitude chez son boucher de quartier, rue de Bezons, elle remarque très vite que quelque chose ne va pas :

« Chez ce commerçant : Il n’y a pas de bandes de marquage au sol pour respecter la distanciation sociale.

Pas d'information ni écrite ni verbale sur le nombre maximum de clients autorisés en simultané, pas de respect de la distanciation sociale entre les employés et ils sont au moins quatre ou cinq; ils sont trois à touche-touche derrière la vitrine de présentation des viandes donc en fracture par rapport à sa responsabilité d'employeur et enfin pas de port de masque permanent pour les employés, ni pour le patron, qui sont toute la journée au-dessus des dites viandes. Ce monsieur juge bon de ne pas les respecter, au profit de son chiffre d'affaires ».

Citoyenne dans l’âme et engagée dans diverses associations, elle décide de faire remarquer son fait au boucher derrière son comptoir. Celui-ci ne prête guère attention à ces doléances. Mais dans un mouvement brusque elle effleure un homme dans la queue.

« A cause du commerçant qui a choisi délibérément de ne pas faire respecter la distance sociale dans son espace client: j'ai dû demander gentiment à un client de  reculer pour rester à un mètre de moi; à ma troisième demande ce client a littéralement pété un plomb et s'est jeté sur moi pour me frapper de toutes ses forces avec son poing, devant témoins »
 

Un coup violent

Accompagné de sa femme, celui-ci pris de colère et d’un accès de rage, lui décoche un coup violent qu’elle réussit à esquiver partiellement et se cogne. L’homme, d’un certain âge, « Un monsieur Lambda, respectable, de la bonne bourgeoisie de la ville » précise-t-elle l’invective dans le même temps.

« Je ne comprends pas un tel comportement, une telle violence.

C’est incompréhensible, j'ai échappé de justesse à ses coups car ai plongé entre la vitrine intérieure du magasin et le comptoir de la caisse, à l’arête très pointue, que ma tête a évitée par miracle à quelques millimètres près. Aucun des salariés de la boucherie n’a pris la responsabilité de demander à ce client violent de respecter le mètre réglementaire dans leur magasin, bien que m’ayant entendu à deux reprises lui demander avant l’agression. Personne n’a réagi dans la boucherie, à part la caissière qui a crié quand elle a vu cet homme se jeter sur moi ».

Nous avons accompagné Anne dans la boucherie où a eu lieu l’agression, pour interroger le commerçant, «je voulais qu’ils regardent si on peut retrouver ce monsieur par son ticket de carte bleue ». Le boucher botte en touche mais s’il confirme cette version, il avoue son impuissance, gêné : « nous ne pouvons pas contrôler tous les clients, nous avons déjà assez de travail comme ça». Julie, la jeune caissière qui a crié pour faire cesser l’agression, déplore l’évènement mais minimise « Il y a eu plus peur que de mal, mais finalement le coup n’a pas atteint la dame ». Anne, dépitée, a finalement décidé de porter plainte, plusieurs jours après : « La prochaine fois, je laisserai ma place dans la queue, je n’essaierai pas d’appliquer la loi moi-même. Liberté, égalité, fraternité ne vont plus bien ensemble » Elle a aussi alerté la mairie de Courbevoie dans un courrier. Pour Arash Derambarsh, élu de la ville et avocat pénaliste, l’agressivité, les tensions et des phénomènes similaires sont courant ces derniers temps avec le déconfinement. Son cabinet a traité plusieurs cas similaires. Lui qui a récemment perdu son père du Covid-19 déplore le relâchement, « Ces deux derniers mois, il y a eu 4 fois plus de morts à Courbevoie qu’en temps normal, je trouve déplorable que des commerçants n’appliquent pas les recommandations, affichages et mesures barrière. Je n’admets pas non plus que les nerfs à fleur de peau, l’agressivité soit la seule réponse. Anne est dans son bon droit ». Vécus comme des mesures contraignantes, le port du masque et la distanciation sociale ne font pas l’unanimité partout. Des clients sont rebutés à l’idée de bouleverser leur quotidien, parfois ce sont les commerçants qui doivent prendre de nouvelles mesures contraignantes pour continuer à ouvrir. Tiphaine, patronne du salon Jean Louis David voisin de la boucherie, a remarqué à la réouverture

« une agressivité plus présente chez certains clients. J’ai vu devant mon commerce il y a quelques jours, un homme descendre de voiture et battre sa femme, en plein jour »

Décompensation psychique collective
Le confinement, phase de tous les dangers ? Ces derniers jours, en tout cas, plusieurs incidents ont émaillé l’actualité. À Coulommiers, en Seine-et-Marne, c’est une vieille dame qui s’est fait cracher dessus dans le bus pour avoir demandé à un homme de porter un masque. À Aubenas, dans l’Ardèche, un contrôle de masques, encore, a failli dégénérer en départ d’émeute. Ailleurs dans le monde, aux Etats Unis, la montée de l’incivisme, symbolisée par ces manifestations anti-confinement ici et là encouragées par Donald Trump, est massive. Là-Bas on réclame même le droit « d’attraper le Coronavirus ».

Pour expliquer le phénomène, certains parlent de décompensation psychique collective à la suite de la période de stress et d’incertitude que le pays vient de traverser. Pour la psychanalyste Catherine Blanc, « les mêmes patients qui se plaignaient de devoir s’enfermer, le regrettant alors comme une perte de liberté, ont par suite du déconfinement développé pour certains une peur de l’extérieur, peur de retrouver une vie sociale », les réflexes grégaires ressurgissent quand «l'autre » devient danger et vecteur de maladie et d’insécurité.

Une phase à passer, avec le temps.

 

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