Logement : le locataire peut-il imposer son animal de compagnie au propriétaire ?
Avec l'été qui s'achève, de nombreux étudiants rejoignent les bancs de l'Université et regagnent leur studio ou logement étudiant, pour certains avec leur animal de compagnie ou l'idée d'en adopter un. Malheureusement, ils risquent d'être confrontés à un refus verbal de leur propriétaire, voire une clause de leur bail ou du règlement d'immeuble interdisant la présence d'un compagnon à quatre pattes. Mais ceci est-il bien légal? Un propriétaire peut-il interdire à son locataire de vivre avec un animal? Si oui, dans quelles conditions?
L'article L.214-2 du code rural et de la pêche maritime[1], instaure un véritable droit à l'animal pour l'homme, dès lors qu'il le détient "dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce"[2], qu'il s'abstient de tout mauvais traitement à son égard [3], et "sous réserve des droits des tiers et des exigences de la sécurité et de l'hygiène publique et des dispositions de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature".
Selon le professeur de droit privé spécialiste du droit animalier Jean-Pierre Marguenaud ce droit à l'animal se subdivise en plusieurs droits, dont celui d'avoir son animal auprès de soi[4]. Ce droit à la présence de l'animal implique bien évidemment le droit de vivre avec lui, dans son logement, et ce, que l'on soit propriétaire ou locataire. Pourtant, ce droit va s’exercer avec plus ou moins de facilité selon les droits que l'on détient sur le local d'habitation. Par ailleurs, il s'articule avec d'autres exigences, telles que les droits des tiers et autres règles de sécurité ou salubrité publique.
Voir - Le statut de l'animal, une jurisprudence qui reste à écrire
Interprété par certains auteurs comme une composante du droit à la vie privée ou du droit à mener une vie familiale normale, ce droit de vivre avec son animal de compagnie a suscité une littérature abondante et de nombreuses décisions de jurisprudence.
Dans ce premier article, nous nous intéresserons au droit des locataires à vivre avec leur animal de compagnie.
En matière de contrat de location, le législateur a prévu expressément la situation du locataire propriétaire d'un animal familier. En effet, l'article 10-1 de la loi n°70-598 du 9 juillet 1970, modifiant et complétant la loi du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel, prévoit que: "Sauf dans les contrats de location saisonnière de meublés de tourisme, est réputée non écrite toute stipulation tendant à interdire la détention d'un animal dans un local d'habitation dans la mesure où elle concerne un animal familier".
En prohibant les clauses interdisant à un locataire de posséder un animal familier, le législateur a ainsi tenu à protéger le lien d'affection unissant le maître à son animal en lui permettant notamment de ne pas avoir à se séparer de son compagnon au gré de ses déménagements éventuels.
Le législateur a dû intervenir en la matière, dans un contexte où de nombreux bailleurs inséraient dans leurs contrats de locations des clauses interdisant la présence d'un animal.
La validité de telles clauses avait à l'époque été consacrée par la juridiction suprême, qui avait même considéré que l'introduction d'un animal dans le logement, en dépit de l'interdiction contractuelle, pouvait conduire à la résolution du bail et l'expulsion du logement[5].
Il a fallu attendre la loi n°70-598 du 9 juillet 1970 précédemment citée pour que le droit de vivre avec son animal de compagnie soit enfin reconnu aux locataires, et ce, grâce à Jacqueline Thome-Patenôtre et Michel De Grailly.
La Cour de Cassation a par la suite donné une portée élargie à cet article puisque, dans un arrêt du 13 octobre 1981, elle a jugé que "par la généralité de ses termes, l'article 10-1 s'appliquait à tout local d'habitation quel qu'en soit le régime [6]".
Pour autant, le droit à l'animal familier consacré par l'article 10-1 de la loi du 9 juillet 1970 n'est pas absolu et connaît des limites, liées à l'animal lui-même d'une part, et à la catégorie de location, d'autre part. Une autre limite, qui ne sera pas développée dans cet article, tant la jurisprudence est abondante, consiste en l'absence de troubles de voisinages causés par ces animaux.
En premier lieu, il convient donc de s'interroger sur le type d'animal que l'on peut détenir dans son local d'habitation. L'article 10-1 n'autorise le locataire qu'à détenir un animal "familier".
Cette notion d'animal familier mérite d'être éclaircie. En effet, le texte de l'article 10-1, pas plus qu'un autre, ne précise ce qu'il entend par animal familier.
Si l'on regarde la définition de "familier" dans le Larousse, on trouve: "Se dit d'un animal qui vit dans le voisinage de l'homme: Les pies sont des oiseaux familiers".
On pourrait donc considérer qu'"animal familier" s'entendrait comme "animal domestique". Toutefois, sans faire l'inventaire des différentes définitions données par les textes de l'animal domestique[7], cette notion n'apparaît pas adéquate puisqu'elle englobe également les animaux dits "d'élevage", comme les vaches, cochons, moutons ou encore les équidés, que l'on voit mal vivre en appartement, ne serait-ce que parce que l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime l'interdit[8].
Pourquoi alors, le législateur n'a-t-il pas plutôt utilisé la formule d'animal de compagnie? Si l'on se réfère à l'article L. 214-6 du code rural et de la pêche maritime, il s'agit de "l'animal détenu ou destiné à être détenu par l’homme pour son agrément". Il peut s'agir d'un animal domestique, mais aussi d'un animal sauvage apprivoisé ou tenu en captivité, dans la limite du respect des dispositions de la réglementation[9]. La Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987, signée par la France, définit quant à elle l'animal de compagnie comme: "tout animal détenu ou destiné à être détenu par l'homme, notamment dans son foyer, pour son agrément et en tant que compagnon[10]".
Selon, le professeur Claire Hugon, le législateur a volontairement retenu le terme d'animal familier, afin de limiter la détention d'un animal dans le logement à celle d'"un animal susceptible par sa taille et par ses mœurs de vivre dans un local d'habitation sans générer pour autrui de troubles anormaux"[11]. Ainsi, le comportement des juges varie en fonction du type d’animal; par exemple avec les Nouveaux Animaux de Compagnie (Nac). A titre d’exemple, une cour d’appel a pu juger valide la résiliation du bail pour trouble de jouissance, pour un locataire qui vivait avec un serpent[12].
Lire aussi - Nouveaux animaux de compagnie: faut-il une autorisation pour en détenir?
Il existe également une limite quant au nombre d'animaux détenus. En effet, si on regarde certains baux d’habitation, il arrive que certaines clauses interdisent la présence de plusieurs animaux. Cette interdiction est-elle, elle aussi, bien légale?
La jurisprudence n’est pas constante en la matière, certaines décisions ont pu admettre la résiliation du bail pour manquement à l’obligation de jouissance paisible, dès lors que le locataire détenait un grand nombre d’animaux familiers: par exemple, a été condamnée la présence de cinq chiens, deux cacatoès et cinq canaris[13], ou encore celle de trente chats et deux chiens[14]. A contrario, une cour d’appel a pu juger que la présence de sept chats dans un appartement était tout à fait valable, dès lors que ceux-ci ne causaient pas de trouble au voisinage[15].
Enfin, il est à noter que le législateur a réservé la possibilité pour le bailleur d'interdire la présence de chiens catégorisés. En effet, depuis le 7 janvier 1999, l'article 3 de la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, prévoit la possibilité pour le bailleur d'interdire la présence des chiens dits de 1ère catégorie, autrement dits les chiens d'attaque (Staffordshire terrier ou American Staffordshire terrier (chiens dits pitbulls), Mastiff (chiens dits boerbulls), ou Tosa)[16].
On pourrait objecter que cette "exclusion" soit contraire au droit au respect de la vie privée. La Cour d'appel de Paris[17] a pourtant confirmé la licéité d'une clause d'un règlement intérieur d'immeubles, qui interdisait la présence de chiens de 1ère catégorie, au motif qu'"elle s'analysait en une restriction à l'usage des lieux respectueuse du droit au respect de la vie privée parce que «dictée par un intérêt de sécurité collective» et poursuivait ainsi un but légitime[18]".
Une fois cette notion d'animal familier éclaircie, il convient de s'interroger sur la notion de local d'habitation.
Alors que l'article 10-1 de la loi n°70-598 du 9 juillet 1970, dans sa version d'origine, réputait "non écrite toute stipulation tendant à interdire la détention d'un animal dans un local d'habitation dans la mesure où elle concerne un animal familier", les propriétaires de locaux meublés de tourisme peuvent désormais interdire la présence d'animaux de compagnie, depuis l'avènement de la loi de simplification du droit du 29 février 2012[19].
Tout a commencé avec un arrêt de la Cour de cassation du 3 février 2011[20], qui avait jugé illicite la clause d'un contrat de location saisonnière interdisant la présence d'un animal familier, rappelant le caractère impératif de l'article 10-1 de la loi du 9 juillet 1970 et confirmant sa généralité[21].
Peu de temps après, l'article 74 bis de la proposition de loi Warsmann de simplification du droit et d'allégement des démarches administratives, est venu proposer la modification de l'article 10-1 de la loi du 9 juillet 1970 en permettant la possibilité d'insérer une clause interdisant la présence d'un animal familier dans les locaux meublés de tourisme. Arguant des conséquences néfastes de la présence de l'animal familier dans les locaux de tourisme sur l'activité de leurs exploitants, le rapporteur de l'amendement affirmait que certains étaient même contraints de cesser leur activité. Parmi les arguments avancés figuraient le fait que l'article ne visait que les baux à usage d'habitation, les risques d'allergies des propriétaires et autres clients ainsi que la prévention des troubles de voisinage.
Aller plus loin - Un particulier peut-il détenir un animal "sauvage" chez lui?
En définitive, force est de constater que le législateur et la jurisprudence sont enclins à protéger le lien d’affection existant entre un maître et son animal, ainsi que le droit reconnu à tout un chacun d’avoir un animal domestique, sous réserve bien entendu des éventuelles restrictions légales pouvant exister en la matière[22]. Néanmoins, la notion d'animal familier, pour laquelle il n'existe aucune définition juridique, présente une certaine insécurité puisqu'elle laisse une large place à l'interprétation. De cette façon, un animal considéré comme étant familier par son maître, pourra ne pas l'être par le propriétaire du logement. Alors, comment protéger le lien d'affection qui unit un locataire à son iguane, dont la détention en appartement pourra être prohibée par le bailleur? Le droit de vivre avec son animal familier n'a pas fini d'être sujet de l'interprétation des juges....
Voir aussi:
Divorce: que deviennent les animaux de compagnie?
Vacances d'été et animaux de compagnie: le guide de 30 Millions d'amis
Acte de cruauté envers un animal domestique: que risque la personne responsable des sévices?
[1] "Tout homme a le droit de détenir des animaux dans les conditions définies à l'article L. 214-1 et de les utiliser dans les conditions prévues à l'article L. 214-3, sous réserve des droits des tiers et des exigences de la sécurité et de l'hygiène publique et des dispositions de la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la natur".
"Les établissements ouverts au public pour l'utilisation d'animaux sont soumis au contrôle de l'autorité administrative qui peut prescrire des mesures pouvant aller jusqu'à la fermeture de l'établissement, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées au titre de la loi précitée. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent article et de l'article L. 214-1"
[2]"Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce". Article L.214-1 du code rural et de la pêche maritime
[3] "Il est interdit d'exercer des mauvais traitements envers les animaux domestiques ainsi qu'envers les animaux sauvages apprivoisés ou tenus en captivité.
"Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les mesures propres à assurer la protection de ces animaux contre les mauvais traitements ou les utilisations abusives et à leur éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage des animaux.
"Il en est de même pour ce qui concerne les expériences biologiques médicales et scientifiques qui doivent être limitées aux cas de stricte nécessité". Article L214-3 du code rural et de la pêche maritime
[4]Jean-Pierre Marguenaud, L'animal en droit privé, thèse de doctorat en droit privé 1987
[5]Cass. Civ, sect. Soc, 28 mai 1953, GP. 1953 II 139 Cass. Civ 5 juin 1959
[6]Cass. Civ 1ère, 13 octobre 1981, Dalloz 1982.IR.95
[7]Cours du Diplôme Universitaire de droit animalier, Lucille Boisseau Sowinski 2016
[8]Article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime Ibid
[9]Lucille Boisseau Sowinski Ibid
[10] Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie du 13 novembre 1987, STE n°125
[11]Revue Semestrielle de droit animalier – RSDA 1/2011 p 67 Christine HUGON http://www.unilim.fr/omij/publications-2/revue-semestrielle-de-droit-
[12] CA, Colmar 3ème ch. 25 octobre 1993
[13] CA Aix 11ème civ 25 juin 1992
[14] CA Paris 8ème chambre 13 juillet 1987
[15] CA Toulouse 3ème chambre 22 février 2005
[16]Article 1 de l'Arrêté du 27 avril 1999 pris pour l'application de l'article 211-1 du code rural et établissant la liste des types de chiens susceptibles d'être dangereux, faisant l'objet des mesures prévues aux articles 211-1 à 211-5 du même code
[17]Cour d'appel de Paris, Pôle 4 Ch.4, 15 mai 2012, n° 09/19495, Frossard c/ EPIC Paris Habitat OPH, inédit
[18]Revue Semestrielle de droit animalier – RSDA 1/2012 p 63
[19]Article 96 de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives (1)
[20]Cass. Civ 1ère, 3 février 2011, n° 08-14402, publié au bulletin
[21]Revue Semestrielle de droit animalier ibid p 67 http://www.unilim.fr/omij/publications-2/revue-semestrielle-de-droit-
[22] Mineurs, majeurs protégés en ce qui concerne les chiens catégorisés, personnes condamnées à la peine complémentaire d’interdiction temporaire ou définitive de détenir un animal.
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