Les médias et les Français : « Je ne t’aime plus…moi non plus ! » (1/2)

Auteur(s)
Yan Labêche journaliste pour France Soir
Publié le 23 octobre 2020 - 16:27
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Yan Labeche
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@Jean-Louis Carli
Yan Labêche
@Jean-Louis Carli

Selon un sondage Kantar pour la Croix sur le traitement de la crise des gilets jaunes, un Français sur deux est mécontent. Dans la même veine, on retrouve le journaliste dans le top 10 des métiers les plus détestés en France. Cette profession est devenue depuis 20 ans, le souffre douleur d’une société qui se décompose de plus en plus en communautés. On en oublierait presque le rôle essentiel des médias dans la construction démocratique.

 

L’autocritique n’est jamais facile. Encore moins quand celle-ci met en doute une profession dont l’essentiel repose sur la crédibilité de ses propos. Piges plus précaires et moins rémunérées, hiérarchisation à outrance, médias aux mains de milliardaires,… A cela, se rajoute l’accueil du public pas toujours tendre avec les médias, qu’ils prennent au mieux pour des suppôts du pouvoir, au pire pour des agents de communication. Malmenés lors de manifestations, invectivés ou menacés, les journalistes sont devenus au fil du temps les boucs émissaires parfaits. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, remettons de l’ordre dans ce qui ne va pas dans notre profession !

 

Au cœur des « merdias »

 

C’est devenu monnaie courante. Dés que l’on décline sa carte de presse, il n’est pas rare d’entendre des insultes. Le grand reporter, Olivier Goujon qui a travaillé pendant près de 30 ans pour plusieurs médias, a nommé son livre aux Editions Max Milo, « ces cons de journalistes »*. « C’est un renversement ironique, une provocation, indique Olivier Goujon. Je voulais parler de la fin du journalisme ! Je suis venu à ce métier par « vocation », pour transmettre, voyager et avoir un certain rapport au monde. J’ai arrêté le grand reportage il y a 4 ans. C’était un métier de liberté et utile à la démocratie. Mais les changements dans les médias sont terrifiants.»

 

La bouteille de vin à 1000 euros

 

L’anecdote peut prêter à sourire. Elle est, hélas, bien réelle. A un dîner « gentiment » offert par une personnalité de la télévision, Jean*, un pigiste évoque, sur le ton de la blague, le prix de 200 euros pour la bouteille de Bordeaux posée sur la table. Le présentateur le reprend : « 200 euros, tu rigoles ! On est sur 1000 euros. C’est un Château Lafite 1996,…». Pendant l’exposé sincère du présentateur sur le tanin et la robe, Jean prend alors conscience que chaque verre bu représente une semaine de son travail. « Il était très aimable mais nous ne vivons pas dans le même monde. Il y a l’élite et le prolétariat dans cette profession.»

Olivier Goujon abonde dans ce sens. « Le changement des conditions de travail est un élément qui revient constamment dans les discussions entre journalistes. Il faut y rajouter l’autocensure, l’emprise de la communication et le climat de l’urgence. C’est que je nomme dans mon livre, la précarisation économique. Les Français n’ont plus confiance dans la presse, notamment avec la concentration de la presse aux mains de multimilliardaires et le primat de la communication qui supplante le journalisme. » Il évoque ainsi le cas de Sophie*, qui travaille dans un média mais vit dans des conditions particulièrement difficiles.

 

« Tu fais le même métier que l’autre c.. sur CNews ? »

 

Fabrice* arrive à une table composée de plusieurs catégories sociales. L’une des questions qui revient souvent est « Tu fais le même métier que l’autre c… sur CNews ? Bravo ! ». Les chaines d’information en continu ont « starisé » les éditorialistes, qui sur tous les sujets, ont un avis. Avis qu’ils ont soi-disant pris sur le terrain quand bien même, les journalistes sur place disent le contraire. Il n’est pas rare de les entendre parler de leur public avec des formules comme « Il veut quoi Monsieur Robert ? Et Madame Michu ? », reflétant le dédain qu’ils ont pour des populations qui ne leur ressemblent pas ou plus. « Dans l’esprit du public, il y a une confusion entre le journaliste, le pigiste, l’éditorialiste ou le présentateur, explique Olivier Goujon. Dans mon livre, j’aborde le phénomène de ces 40 à 50 éditorialistes connivents et paresseux. Le pigiste du Progrès de Lyon peut lire les mêmes livres que Léa Salamé mais elle le fait pour des dizaines de milliers d’euros par mois, là où le pigiste n’en gagne que 100. Autrefois, les différences de salaires étaient moindres et on avait une sécurité de l’emploi. On pouvait alors se reposer sur un sentiment d’appartenance. C’était à l’époque gratifiant de faire partie de la même famille que ces têtes de gondole. Ca a volé en éclats ! Cette « caste » est déconnecté de la profession.»

 

Au revoir Albert Londres

 

Frédéric, Stéphanie, Brahim,…Ils ont tous la quarantaine et ont quitté le journalisme avec peine. Ils sont toutefois bien plus heureux aujourd’hui. Leurs nouveaux métiers : agriculteur, étudiante en psychologie ou instituteur. Les griefs sont nombreux : « je suis resté des dizaines d’années sans contrat », « je faisais plus de la communication que du journalisme », « je me suis fait étriper par Twitter alors que tout ce que je révélais était vrai ! Ma hiérarchie ne m’a bien sûr pas soutenu », « La course aux clics a dénaturé le métier ».

Si le nombre de cartes de presse (35 000) se maintient, ils sont nombreux à aller voir ailleurs, malgré leur attrait pour un métier qui les a fait rêver. La transformation du rédactionnel vers le digital fait ressembler dorénavant ce métier aux jeux du cirque. Les « likes » peuvent faire ou défaire une carrière. De plus en plus, le journaliste précarisé écrit sous la menace réelle ou supposée d’une main de l’opinion. Pire, sur les terrains difficiles, il ne peut même pas compté sur sa hiérarchie. Pas étonnant dès lors, que la peur installée détourne les plus valeureux d’aller « planter la plume dans la plaie ».

 

Voir la deuxième partie « Les médias et les Français : je ne t’aime plus…moi non plus ! » (2/2)

 

* les prénoms ont été modifiés

* Olivier Goujon, Ces cons de journalistes, Editions Max Milo, 18€

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