Sous le masque, le futur citoyen exemplaire ?
Tribune: Je viens d’écluser une cafetière à décortiquer le point épidémiologique hebdomadaire publié le 23 juillet par la très officielle agence Santé Publique France, concernant d’une part la France (1), mais surtout les Hauts-de-France (2) où je vis encore, en attendant de mourir du COVID. Et j’ai le regret de vous annoncer que ça m’a rassuré. J’ai appliqué un simple calcul. Avec un taux d’incidence de 8,5/100 000 pour le Nord (deux millions d’habitants), de 1,5/100 000 dans le Pas-de-Calais
(1,5 millions d’habitants), et un taux de létalité estimé à 1%, le potentiel mortel du SARS-CoV-2, dans le Nord-Pas-de-Calais, est à l’heure où j’écris ces lignes, de moins de trois morts (2,3 pour être exact), lesquels ont 85% de probabilité d’avoir plus de 75 ans et d’être atteints de facteurs de morbidité tels que des problèmes cardiaques, du diabète ou de l’hypertension artérielle. Certes le nombre grandissant de tests effectués augmente mécaniquement le nombre de cas positifs, et donc le taux d’incidence, mais le taux de positivité diminue, lui, de façon tendancielle depuis plusieurs semaines (2). Quant au fameux R0, je vous laisse réfléchir à la manière dont on peut le calculer (3).
Malgré cela, le bulletin national de l’agence Santé Publique France ne désespère pas et fait des efforts pour nous inquiéter, en remarquant que « les personnes asymptomatiques représentaient 54% des cas positifs en S29 » et que « l’augmentation des personnes symptomatiques testées est plus importante (S28: +49%, S29: +5%) que l’augmentation des personnes asymptomatiques testées. »(1). D’où elle conclut en insistant que « Ces résultats montrent que l’augmentation des cas observée depuis la semaine 27 n’est pas uniquement liée à l’intensification des actions de dépistage de personnes asymptomatiques telles que mises en place dans le cadre d’investigations, mais reflète une augmentation réelle du nombre de cas symptomatiques. » (1).
1+2= peur
Fichtre ! J’avais lu, vu et compris que plus on fait de tests, moins on trouve de cas (en proportion) mais, patatras , « il y une augmentation réelle de cas symptomatiques ». Moi qui étais sur le point de m’octroyer une bière, au milieu de la nuit, pour fêter la survie de l’humanité, voilà que ce vil croche-pied statistique me fauchait là où je croyais être : au bas de la courbe, à droite, en sortie d’épidémie… Et ça m’a ennuyé ! Mais ennuyé ! Parce que, voyez-vous, je suis un honnête homme. Face à une femme, je peux être de mauvaise foi, nier la vérité. Mais les chiffres, ça ne ment pas. « Ça ne ment pas, me repris-je aussitôt, mais ceux qui les utilisent peuvent en faire ce qu’ils veulent. » Ce qui m’a fait tilter, c’est que j’ai dû relire trois fois leur raisonnement et leur conclusion pour comprendre ce que les alpinistes statisticiens de Santé Publique France me disaient. Alors moi aussi j’ai repris ma calculette et les mêmes chiffres (1), et j’ai compté, d’une autre façon. 334.357 tests ont été effectués en Semaine29 (S29), apprend-on page 12, dont 3589 se sont révélés positifs.
« Les personnes asymptomatiques représentaient 54% des cas positifs », remarque-t-on aussitôt avec gravité. Je note, pour ma part, que les cas symptomatiques représentaient donc 46% des cas positifs, soit 3589 x 0,46 =1651 personnes.
Bon. Retour à la page 12 : « Les personnes asymptomatiques représentaient 63% des personnes testées. ». Ok, donc les patients symptomatiques représentaient les 37% restants, soit 334.357 x 0,37 = 127 412 personnes. Je pose quatre, je retiens deux. Il en ressort, si on s’en sort, que la part des personnes symptomatiques testées (la fameuse part qui augmente depuis deux semaines et qui a refoutu mon moral a zéro), et qui finalement s’est révélée positive au COVID est de : (1651/127
412) x 100 = ...1,3%. CQFD.
On en rirait. Mais il n’y a à vrai dire rien de drôle. Mon propos de vise pas à démontrer l’indémontrable : que le SARS-CoV-2 n’est pas une menace. Car elle est bien réelle. Quelle est son niveau ? Il n’y a pas de méthode pour en définir le juste degré, le seul curseur valable étant en définitive celui de sa propre perception. On peut néanmoins constater l’alarmisme politico-médiatique qui a rendu, depuis le 20 juillet dernier, le port du masque obligatoire dans tous les lieux publics clos. Si l’on est honnête, il n’y a strictement aucun argument rationnel à opposer à la décision prise par le gouvernement. Et pourtant ça me gène. Surtout je m’interroge : pourquoi cette peur ? Quel effet produit-elle sur nous-même et la société ?
La crise du COVID, délire collectif ou « fait social total » ?
Le pédopsychiatre Thierry Gourvénec émet l’hypothèse que nous vivons un épisode de délire collectif (4). Auteur d’une thèse sur les bouffées délirantes (5), il décèle, pas tant à l’échelle de l’individu que du groupe, plusieurs signes correspondants : troubles majeurs de la logique, imprévisibilité et incohérence des comportements, multiplication des paradoxes. Autant de symptômes qui toucheraient à la fois les populations que leurs dirigeants.
Sommes-nous donc « pris » ? Puisqu’on s’aventure sur le terrain de l’irrationnel, on peut tirer parti des méthodologies déployées par les anthropologues, qui en ont vu d’autres. Lorsque, dans les années 1930, Edward Evans-Pritchard étudie la sorcellerie chez les Azandé du Soudan (6), il sait que ce ne sont pas les actes en eux-mêmes qui "guérissent". Dès lors, il se pose la question suivante : « Quels sont les effets produits par ces pratiques sur le groupe ? ». Plusieurs raisons ont été mises à jour : gestion des conflits, réaffirmation des valeurs du groupe, etc. Si l'on se pose, maintenant, la question « qu'est-ce que la crise du COVID a provoqué sur notre société ? », on peut relever, de même, plusieurs effets : 1. réaffirmation de la cohésion du groupe, face à une menace commune, omniprésente, où chacun se retrouve, par l'application de normes comportementales (distanciation sociale, masques,...) responsable vis à vis de tous. 2. Adhésion quasi obligatoire à un récit (le scénario d'une épidémie "jamais vue depuis..."). 3. Rejet ou déni de tout discours discordant. 4. Relégitimation du pouvoir institué comme dépositaire d'un salut collectif inexplicablement engagé, et émetteur exclusif, dans cette perspective imposée, des comportements et normes à adopter, dans l'espace public ET domestique. A l'heure où, tiens tiens !, il était totalement délégitimé. 5. Requalification de tout évènement (particulièrement la crise économique) et légitimation de toute prise de décision politique dans le nouveau récit référentiel (« C'est le COVID," "à cause du COVID »)).
Un autre anthropologue, Marcel Mauss a, dans son Essai sur le don, publié en 1924, forgé le concept de fait social total qui doit nous faire réfléchir.
Un fait social total est un moment particulier, dans une société considérée, où « s’expriment à la fois et d’un coup toutes sortent d’institutions : religieuses, juridiques, morales (..), économiques » (7). Bref, une société se donne à voir telle qu’elle est, dans sa totalité. Nous sommes dans un tel moment depuis exactement le 17 mars 2020, date de la mise en place du « confinement » dont, paradoxe, le mot n’a pas été prononcé par celui qui l’a déclaré. Et personne ne sait quand ce moment prendra fin.
Reprendre le contrôle de l’Etat
A ce stade, on me permettra de partager librement quelques observations et interprétations subjectives qui n’ont d’autre objectif que de soulever et mettre en perspective les problèmes qui se posent à nous et qu’il faudra résoudre.
On l’a vu, le « Moment social total » que nous vivons est l’occasion d’identifier les valeurs fondamentales et les contradictions qui à la fois nous travaillent et façonnent, sans que nous nous en rendions compte, le nouveau contrat social qui devra nous rassembler, au sortir de cette crise.
Une analogie me frappe, depuis quelque temps, entre la nature même du COVID et la réaction de l’Etat. Voilà un virus inconnu, qui touche tout le monde mais d’abord les plus faibles. Quand la réponse immunitaire du corps infecté s’emballe, elle finit par détruire ses propres organes, jusqu’à menacer son existence. La réaction de l’Etat et la nôtre est-elle disproportionnée par rapport au mal invisible qui s’est révélé ? Une chose est sûre : l’Etat, nos dirigeants et nous-mêmes, sommes devenus incapables de gérer une complexité devenue trop importante, dès lors qu’elle contient une part d’éléments inconnus. Et nous découvrons que ceux sur qui nous comptions en cas de problèmes, les scientifiques, gardiens d’un monde que nous ne comprenons plus, se trouvent mis en échec, se contredisent, se déchirent, bref, sont aussi paumés que nous.
Le confinement, dès lors, apparaît comme l’ultime soubresaut d’un mode de gouvernance en train de s’effondrer. A tout prix, il faut désormais garder le contrôle de tous les corps et de tous les esprits. En 1950, le cybernéticien Norbert Wiener, dans un livre aussi instructif que prophétique (8), avait averti : dans une société gouvernée exclusivement de manière rationnelle, le pouvoir centralisé est condamné à transformer chaque citoyen en atome individualisé entièrement et parfaitement contrôlable, sans quoi l’ensemble tend à l’entropie, c’est-à-dire la désagrégation. On nous répète à l’envie que la responsabilité en incombe à chacun de respecter les règles pour « sortir de la crise », on ne sait quand, et « éviter le pire » qui guette toujours. A défaut de légitimité politique, il ne reste plus que la légitimité sanitaire, et demain, écologique. Ne pas respecter scrupuleusement les règles, aussi absurdes et incohérentes puissent-elle apparaître parfois, ou ne serait-ce que les interroger, donc réfléchir, c’est désormais commettre un tabou, briser la sécurité collective, donc la mettre en danger, donc être mauvais citoyen. Il faut donc entretenir la peur, à grand renfort de chiffres, voire l’amplifier. On aura toujours raison de s’inquiéter. Sous le masque, le citoyen exemplaire est, pour l’Etat, celui qui veille à ce que chacun ne prenne aucun risque, pour les autres, pour lui-même. Il compte sur les politiques pour s’occuper de son monde qui ne peut s’écrouler. La question étant : où cela va-t-il nous mener ?
1)Site de Santé Publique France :
(2) Site de Santé Publique France :
(3). Vous trouverez des éléments de réponse dans cette étude italienne publiée par deux chercheurs de l'Institut National des Maladies Infectieuses de Naples, intitulée "COVID-19 R0: Magic number or conundrum?" ("COVID-19 R0
: magie des chiffres ou énigme ?"). Où l'on apprend que les estimations, menées par douze équipes de chercheurs différents, ont conclu à des résultats variant du simple au quintuple.
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7073717/
(4) « COVID-19 : la peur a-t-elle déclenché un délire collectif ? », entretien avec Denis Robert pour Le Média, 1er juillet 2020.
https://www.youtube.com/watch?v=2QFirQKLhEI&lc=z23idd0yduedefbs4acdp43adbsgh143p1r4qpylzgdw03c010c
(5) Thierry Gourvénec, Une bouffée délirante, des syndromes délirants aigus ; leurs rapports avec la paradoxalité, le rêve et la rumeur, Thèse médecine, Brest, 1991.
(6) « Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé », Edward Evans-Pritchard, Ed. Gallimard.
(7) « Sociologie et Anthropologie », Marcel Mauss, Editions Quadrige, puf.
(8) « Cybernétique et société, l’usage humain des êtres humains », Norbert Wiener. Ed Points.
Présentation : Martin M, diplômé en anthropologie, écrivain essayiste.
Auteur de « A l’Avant du Monde, plus que Français », publié aux Editions du Net (2017).
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